mercredi, mars 31, 2010

L'humanité comme un corps étranger

Simplement pour examiner l'hypothèse :
L'humanité n'est pas comme un corps étranger sur la planète Terre parce qu'elle est libre, mais justement parce qu'elle ne l'est pas.

Que l'humanité serait comme un corps étrange sur la surface de la Terre est une thèse issue de la philosophie moderne : elle se fonde sur la constatation que les hommes ont une liberté de comportement d'un autre ordre que toutes les autres espèces peuplant la biosphère. Régulièrement, que ce soit chez Pic de la Mirandole (XVe), Descartes (XVIIe) ou Kant (XVIIIe), cette liberté est rapportée à la capacité de l'homme de réfléchir et de choisir les valeurs finales en fonction desquelles il vit.

Or, on pourrait défendre l'idée que cette capacité de choisir ses valeurs finales fasse de l'espèce humaine, non pas l'espèce étrange, mais l'espèce la mieux équipée pour épouser la variabilité des conditions de vie sur la planète.
L'espèce humaine serait cette espèce – produite par l'évolution – qui, seule, serait capable d'échapper à une catastrophe dinausorienne.
Pourquoi ? Parce que sa capacité de modifier ses valeurs finales en fait la seule espèce qui n'est pas arrimée à un biotope défini.

Parce qu'elle est libre en ce sens supérieur, l'espèce humaine serait la plus terrienne, c'est-à-dire la créature vivante la mieux capable d'épouser les évolutions ou soubresauts du support physique de la biosphère.

Par contre, il peut arriver que les valeurs finales des hommes soient comme bloquées sur des positions passionnelles.
Historiquement, ce sont tout particulièrement les passions malignes répertoriées par Kant qui ont manifesté ce blocage : les passions du pouvoir, telles la domination, la gloire et la cupidité.
Ces passions relèvent d'un mode besogneux du désir : pour le dire vite, le désir est bloqué sur des positions fantasmatiques de réparation du passé, il n'est plus capable d'épouser les variabilités de l'environnement – le désir a perdu de sa plasticité, celle qui nourrit  la possibilité d'envisager d'autres buts, il fonctionne comme un besoin.
L'homme alors insiste pour atteindre une même satisfaction – de pouvoir – qui se reconduit constamment puisqu'elle vise, au fond, à réparer un passé (qui n'est plus), n'obtenant alors que la satisfaction  fantasmatique.
Ce qui se voit à travers la domination d'autrui, mais aussi dans une certaine manière de dominer les processus naturels au moyen d'objets techniques (lorsque cette domination ne peut être justifiée par l'entretien de la vie, comme on le voit en situation d'abondance de biens).
Dans cette configuration, l'espèce humaine deviendrait alors la plus inadaptée des espèces vivantes : elle se comporterait comme un corps étranger sur la planète.
 Le système de pouvoir marchand – que l'on peut appeler le système "mercatocratique"– actuel, en lequel se conjuguent la primauté de la valeur marchande et l'adhésion sans condition à l'innovation technique, serait une occurrence spécialement spectaculaire de cette configuration.
C'est ainsi que l'homme – espèce la mieux adaptable – serait devenue la plus inadaptée à sa planète.

mercredi, mars 24, 2010

Nature, intelligence et entendement

Il y a une intelligence dans la nature, c'est flagrant !

Tout est agencé de manière si rationnelle en fonction de principes !

Il y a mille exemples.

Regardons simplement la conception de cet instrument pour voler qu'est la plume.

Le Hasard et la Nécessité – titre d'un livre de Jacques Monod (1970) – seraient les facteurs ultimes de l'ordre des choses. On aimerait bien le croire. Ce serait fort réconfortant pour l'ego humain :

  • l'homme seul être intelligent, privilégié par hasard et nécessité ; donc les qualités dont il est si fier ne le font pas tributaire d'un être transcendant.

  • mais aussi l'homme comme le seul être produit de l'évolution qui peut la placer (l'évolution !) au-delà du hasard et de la nécessité sur la voie de la raison, donc l'homme comme véritable démiurge.

Hé bien non, ça ne marche pas. J. Monod lui-même l'avoue sans le reconnaître lorsqu'il essaie de rendre compte de l'apparition d'un ordre vivant :

« Il y a apparition d'ordre, différenciation structurale, acquisition de fonctions, à partir d'un mélange désordonné de molécules individuellement dépourvues de toute activité, de toute proriété fondamentale intrinsèque autre que de reconnaître les partenaires avec lesquelles elles vont constituer la structure. » ( c'est moi qui souligne).

Mais comment J. Monod, par ailleurs prix Nobel de biologie (1965), ne s'est-il pas aperçu qu'il réintroduisait ainsi la finalité et l'intelligence par la bande ? « Reconnaître » n'est-ce pas connaître déjà ? Ne reconnaît-on pas en fonction d'un but que l'on poursuit ? L'intelligence n'est-elle pas déjà dans ces « molécules ... dépourvues de toute activité » ? (reconnaître les partenaires est peut-être l'activité essentielle du vivant)

Dire qu'il y a intelligence dans la nature c'est effectivement poser une spiritualité extra-humaine qui prend en compte la raison. Cela expliquerait l'étonnante adéquation des mathématiques à la réalité, alors que les mathématiques ne sont que des connaissances établies sur des objets idéels (construits par notre intelligence).

Alors, tout de suite l'idée d'une « spiritualité extra-humaine » déclenche les défenses : le dépassement, durement acquis, du fatras spiritualiste hérité des croyances religieuses semble remis en cause. On subodore le retour des obscurantismes du passé qui ont été si dommageables.

Mais peut-être faut-il comprendre que l'on puisse reconnaître l'intelligence de la nature sans dériver dans des délires anthropomorphiques. Il suffit d'être rigoureux.

La nature, c'est la cohérence que manifeste la biosphère et son support aqueux-minéral-aérien.

L'intelligence de la nature n'est rien de plus que la manifestation, par celle-ci, d'un savoir qui tient compte de la raison. Nous ne pouvons nous prononcer sur sa forme. En particulier nous n'avons pas à lui attribuer la forme verbale (la conceptualisation).

Cette ignorance du modus operandi de l'intelligence dans la nature est un fait qui, pour être mieux pris en compte, devrait amener à réactualiser la notion d'« entendement ».

L'entendement est cette faculté proprement humaine de mettre en œuvre la raison au moyen du langage, elle se traduit en particulier par l'activité mentale de réflexion. En effet la faculté de langage au sens strict – capacité de faire signe de manière générique, indépendamment d'intérêts particuliers pour le monde – apparaît spécifique à l'homme.

Hé bien la nature serait intelligente mais n'aurait pas d'entendement ; elle agencerait rationnellement mais ne réfléchirait pas.

Je sais, c'est difficile à imaginer ? Tant mieux ! Nous n'avons aucune idée dont la nature est intelligente. Car cela nous préserve des croyances régressives et obscurantistes. Mais c'est la manière la plus raisonnable de rendre compte de l'expérience.

Alors l'humanité serait cette espèce en laquelle l'intelligence dans la nature aurait pris la forme de l'entendement.