dimanche, novembre 14, 2010

La maladie, l'amour et la brouette

CITE_SOLEIL__LABANMATTEI 08.jpg © Olivier Laban-Mattei


Douce était la caresse du vent chaud du Sud, ce matin, et riche en couleurs était le paysage où le jaune de feu du feuillage automnal trouvait un juste contrepoint dans les coups de pinceau de graphite et de blanc d'un ciel se préparant à la pluie.
Mon corps est là disponible et réactif, et si je suis confronté quelquefois à ses limites, je puis faire beaucoup plus, en ce qui est bien, que je ne le fais.
Oui, le monde me traverse, encore beau, toujours beau, malgré tout, et moi je peux... Je suis "une puissance d'agir" comme disait Spinoza.
Il m'arrive que les larmes me montent aux yeux de la bienveillance à mon égard de ce qui ne dépend pas de moi (ce qu'on nomme parfois le destin).
Et je pense là à mes pauvres grands-parents et parents qui ont été laminés par les guerres dont je voyais encore les dévastations dans leurs rides, et au fond de leur regard.
Et je vois ce matin, à le une du Monde, cette photo tout juste envoyée d'Haïti : un garçon, et sa sœur, transportant dans une brouette leur mère, atteinte du choléra, jusqu'à l'hôpital.
Et j'ai le cœur gros ...

Transporter sa mère dans un brouette par amour. L'avoir emprunté à un voisin peut-être, en devenant son obligé, pour qu'elle soit assez solide ; y placer tous les coussins et couvertures de la maisonnée, pour que l'on ne sente pas trop les soubresauts dus aux voies détériorées du bidonville. Et c'est peut-être un long chemin car il faut aller assez loin vers le centre de Port-au-Prince, il n'y a pas d'hôpital près du bidonville. Et on ne sait pas comment on sera reçu, s'il faudra que la mère passe beaucoup d'heures dans la brouette.
Mais l'on sait où l'on va – vers l'amour, vers la vie – quand on a la mort aux basques !

Mais n'a-t-on pas tous la mort aux basques ?
Ces haïtiens sont beaux parce qu'ils sont sages. Ils savent cette vérité dont je me divertis si facilement !
Ils font de pas mal de nos problèmes, de pauvres problèmes.
Madame Liliane Bettencourt, ne restez pas pauvre ! Enrichissez-vous ! Suspendez un agrandissement de cette photo dans votre salon !

Ils lancent leur flèche d'amour sans un regard pour le photographe qui est l'œil d'un monde où l'on ne semble pas aimer.
Oh ! sans doute ne s'arrêtent-ils même plus sur la possibilité de notre aide; ils savent qu'il s'agit d'un monde lointain et étranger, dont ils n'ont jamais demandé qu'il vienne les voir, leur promettre, et les photographier.

Mais peut-être leur est-il important de savoir que dans ce monde-là peuvent exister des gens qui savent aimer leurs équivalents de locomoteurs à brouette.
Mettre sa mère, malade, dans une brouette, et traverser la ville pour qu'elle continue à vivre, c'est aimer sa mère. N'est-ce pas tout autant aimer l'humanité ?
Ce sont eux qui nous aident en nous montrant que l'humanité est  a i m a b l e  par delà toutes nos ratiocinations chagrines.
Alors, merci photographe !

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