tag:blogger.com,1999:blog-327474862024-03-18T04:02:52.431+01:00Blog de l'anti-somnambulique<i>"Une vie dépourvue de pensée n'a rien d'impossible ; elle ne réussit pas à développer sa propre essence, c'est tout... Les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules."</i> Hannah Arendt <br>
Cf le site <a href="http://pjdesser.free.fr/index.html">L'anti-somnambulique</a>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.comBlogger187125tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-2068986550083628602024-01-01T07:52:00.013+01:002024-01-13T09:47:39.787+01:00Des vœux pour 2024 au défi du retour séculaire de la violence<p></p><p style="text-align: center;"><br />
</p><div style="margin-left: 0in; text-align: right; text-indent: 0in;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiJY54KMy3TjNqDIrxBEswnEQSKr0hR2MmbNgWx50Fcll2uq861UlS2QtcRmhvuz2rWV55_ENt71FeaIh0TTO2OU3IrbAnpC3XEbjl88a5IQsniNvtClwQhLhcXWknUps3KYqAO5d3q68oZgiudyS1QWftYHWmErZr9sOlhgXTQcZ1Wfbs9Bu2J/s1600/kharkiv311223.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="1600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiJY54KMy3TjNqDIrxBEswnEQSKr0hR2MmbNgWx50Fcll2uq861UlS2QtcRmhvuz2rWV55_ENt71FeaIh0TTO2OU3IrbAnpC3XEbjl88a5IQsniNvtClwQhLhcXWknUps3KYqAO5d3q68oZgiudyS1QWftYHWmErZr9sOlhgXTQcZ1Wfbs9Bu2J/w400-h200/kharkiv311223.jpg" width="400" /></a></div> </div><div style="margin-left: 0in; text-align: right; text-indent: 0in;">« <i>Aujourd’hui,
ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la
Cisjordanie.</i> »<br />
Stéphane Hessel, <i><u>Indignez-vous !</u></i> , 2010.</div>
<div style="margin-left: 0in; text-indent: 0in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La période de 1792 à 1815, qui a vu s’enchaîner en Europe
occidentale les guerres liées à la nouvelle république française puis à
l’empire napoléonien, a été nommée rétrospectivement par nos voisins
européens la période de <i>La Grande Guerre</i>. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On estime son bilan global à environ 4,5 millions de tués dans
l’Europe d’alors, Russie comprise (Haegele, Bey et Guillerat, <i><u>Infographie
de l'Empire napoléonien</u></i>, Perrin, 2023).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il n’y eut plus de guerre en Europe
pour près d’un demi-siècle après le Congrès de Vienne (1815).
Puis un nouveau cycle de violences s’initia, d’abord avec la guerre de
Crimée (1853), puis, la décennie suivante, avec les guerres de la
Prusse contre l’Autriche (1866) puis contre la France (1870). Ce
nouveau cycle de violences s’exaspéra entre 1914 et 1945 par les deux
guerres mondiales avec L’Europe pour épicentre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans cet épisode de violence de la première moitié du XX<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup> siècle, on peut évaluer à
près de 100 millions le nombre de tués – ce qui inclut, outre le
victimes militaires, toutes les victimes civiles, en particulier les
victimes génocidaires des nazis et les massacres de la guerre menée par
les Japonais en Asie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais il faut toujours, à un moment ou à un autre, revenir des
désolations laissées par la violence qui s’est généralisée. Les
bravades de la force qui annonce qu’elle « éradiquera »
l’ennemi ne sont jamais les derniers mots. Les humains finissent
toujours par prendre la mesure de l’absurdité de cette violence qui
s’auto-alimente et se mettre à reconstruire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Comment sommes-nous revenus de l’épisode de violence du tournant du
XIX<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup> siècle ? Par la
promotion du commerce et de l’industrie – Benjamin Constant : « il
doit venir une époque où le commerce remplace la guerre. Nous sommes
arrivés à cette époque. » (<i>De la liberté des anciens comparée à
celle des modernes</i>, 1819)<span style="font-size: 10pt;">. I</span>l
s’en est suivi une nouvelle forme de pouvoir qui a pris la place du
pouvoir fondé sur la domination de lignées autoproclamées supérieures.
C’est le pouvoir mercatocratique, fondé sur l’enrichissement pécuniaire
privé, et auquel nous sommes encore assujettis.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous avons, dans <a href="https://www.kheper.org/Democratie-ou-mercatocratie" target="_blank"><i>Démocratie
… ou mercatocratie ?</i></a>, explicité les procédés de ce pouvoir et
montré en quoi ils tendaient à nier l’humanité des individus. C’est en
cela que l’emprise grandissante de la mercatocratie sur les
populations, à la fois en intensité (intrusion dans les consciences par
propagande et réclame), et en extension (exode rural et
prolétarisation, colonisation), en engendrant une épidémie de
frustrations humaines, a pu être le terreau de l’épisode des violences
démesurées qui caractérisent la première moitié du XX<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup> siècle. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous ne sommes revenus de cette violence que par la mise en place de
l’Etat-providence qui ambitionnait d’encadrer les menées
mercatocratiques en fonction de la préservation d’un minimum de dignité
et de bien-être pour tous, en particulier en sauvegardant un domaine de
biens publics assumé par l’État (cf. le programme du Conseil National
de la Résistance, 1944).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais l’État-providence a progressivement été démonté au profit du
pouvoir mercatocratique à partir du tournant libéral des années
quatre-vingt. La mercatocratie a pu démultiplier son emprise sur les
consciences grâce à la massification de la communication numérique par
écran interposé qu’elle maîtrise désormais largement. C’est ainsi que
les valeurs spécifiquement mercatocratiques – l’individualisme réduit
au pouvoir qu’apporterait l’enrichissement pécuniaire – n’ont jamais
été aussi prégnantes dans le monde, comme elles n’ont jamais été vécues
aussi violemment par les populations les moins bien placées dans la
compétition qu’elles impliquent. Ce qui ouvre des boulevards aux
prétendants populistes qui s’aménagent des situations de pouvoir en
désignant des ennemis à détruire comme condition du soulagement des
frustrations populaires.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui dans une période de montée de
la violence qui est assez parallèle à celle de nos ancêtres des années
vingt du siècle dernier. Avec cette différence que le terreau de la
violence contemporaine est beaucoup plus ample. On voit bien que de
nouvelles guerres surviennent, durent, et s’intensifient, que d’autres
son prêtes à exploser. Oui, il faut envisager un avenir de progression
de la violence à un degré inconnu…</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tout se passe comme si nous étions entrés dans un nouveau cycle
séculaire, celui du XXI<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup>
siècle, de la violence humaine se généralisant.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais quel sens peut avoir cette notion de cycle séculaire ? Quel
rapport y a-t-il entre ces violences révolutionnaires et
post-révolutionnaires d’il y a plus de deux siècles, qui réagissaient à
la domination plus que millénaire de la force et de la peur de la part
de lignées autoproclamées nobles sur les humbles qu’elles mettaient à
leur service, et la violence présente qui est largement le contrecoup
de la manipulation des consciences par la communication mercatocratique
?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et si le rapport était exclusivement temporel ? Ou, plus
précisément, de mémoire ? Un siècle n’est-ce pas le temps requis pour
perdre le contact avec la mémoire vivante des témoins ayant survécu à
ces violences ? </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, aujourd’hui disparaissent les derniers témoins vivants de
l’épisode violent du siècle dernier. C’est pour cela que nous citons
en exergue Stéphane Hessel s’indignant de la violence qui était imposée
aux palestiniens. Car lui-même était témoin de la violence de
l’occupation allemande. Il savait vers quel nuit de malheurs elle ne
manquerait pas de précipiter cette partie du monde. Les événements
actuels lui donnent raison ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Sa voix, en 2010, avait été écoutée. Mais insuffisamment, elle était
trop seule. Le pouvoir politique était déjà trop largement occupé par
des oublieux de cette mémoire de leurs ascendants.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce cycle de violence du XXI<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup>
siècle est désormais enclenché, on le voit bien. Et il peut nous
précipiter vers des abîmes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors quels vœux pour 2024 ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Que cette conscience des cycles centenaires déterminés par la
disparition inévitable des mémoires vivantes, nous permette de ne plus
en être simplement des victimes passives. Qu’en 2024, face à
l’actualité violente sans cesse assénée, nous ayons le recul d’une
mémoire plus longue qui nous maintienne dans la pensée du malheur des déchainements de violence des siècles passés.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais j’entends l’argument des fatalistes : « Il faut bien qu’un
certain nombre d’humains disparaissent puisque nous sommes trop
nombreux ! ». Il faut leur rappeler que nous disposons des moyens
bien moins coûteux, moins malheureux, pour contrôler notre démographie !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, nous le savons, la pensée ne peut rien contre la force qui ne
veut qu’être la plus forte !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors, qu’au moins, en 2024 nous anticipions que, quel que
dramatique soit le nombre de ses victimes, il faudra bien un jour que
nous humains du XXI<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup>
siècle revenions de ce nouvel épisode d’égarement dans la violence. Il
est sage alors de se mettre dès à présent dans la perspective du monde
plus humain à construire par lequel nous en reviendrons.</div><br />Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-83633871174352450502023-12-18T11:13:00.005+01:002023-12-18T11:18:00.844+01:00Peut-on s’accorder avec la nature ?<p> </p><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-_G4PkMNnSko/UZFR7cbCxGI/AAAAAAAAAEk/CsDfNNQ1NmM/s320/hirondelle_avril98b.jpg" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="182" data-original-width="320" height="182" src="https://1.bp.blogspot.com/-_G4PkMNnSko/UZFR7cbCxGI/AAAAAAAAAEk/CsDfNNQ1NmM/s320/hirondelle_avril98b.jpg" width="320" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Hirondelle prenant un temps de repos<br /> sur la filière d'un voilier en Méditerranée <br /></td></tr></tbody></table><br /><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La nature a été longtemps divinisée comme dispensatrice intarissable de bienfaits, mais aussi capable de colères destructrices envers les humains au nom d’une Justice qu’il n’était pas toujours facile d’interpréter.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Aujourd’hui la nature est pensée de manière terriblement ambivalente. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’une part il y a un imaginaire de la nature tout uniment positif, diffusé à l’envie par les médias dominants, justement par l’image (publicités, internet, documentaires souvent animaliers) ; c’est comme une nature idéalisée qui serait la consolation des frustrations qu’amène l’environnement urbanisé qui est celui de la majorité des populations aujourd’hui.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, chez ces mêmes sujets humains, il y a en même temps acquiescement de l’usage purement instrumental de la nature qui se voit, par exemple, à travers les fruits sans la moindre trace d’insectes, parfaitement standardisés, qu’ils choisissent d’acheter.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut être conscient du mépris avec lequel est actuellement majoritairement traité l’environnement naturel par les humains, organisés en société de telle sorte qu’ils mettent en œuvre des techniques toutes puissantes et implacables pour lui extorquer, en une violence dévastatrice, ses bienfaits.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, l’humain semble avoir surtout considéré la nature de manière excessive, passionnelle pouvons-nous dire, d’abord en l’élevant trop haut, en une sujétion ambivalente d’adulation et de crainte, ensuite en la mettant trop bas comme simple instrument de ses intérêts propres. Et il est certain que la seconde attitude n’a pas oublié la première ; d’ailleurs n’en serait-elle pas la revanche ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Se poser la question « Peut-on s’accorder avec la nature ? » n’est-ce pas explorer la possibilité d’un rapport enfin serein de l’humain avec son environnement naturel ?</div>
<div style="margin-left: 0.35in; text-align: center; text-indent: 0in;">* * *</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’emblée se pose la question de savoir si l’on parle bien de la même réalité lorsqu’on échange sur <i>la nature</i>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La nature, pour les Anciens – <i>phusis</i> – incluait tout ce qui pouvait se manifester aux sens humains, et donc également tous les phénomènes célestes. Car tout cela relevait d’une unité qui pouvait être mise à jour comme ordre rationnel. D’où la multitude de traités philosophiques dans l’Antiquité qui, de Thalès (fin -VII<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup> siècle), à Lucrèce (-I<sup><span style="font-size: 8.8pt;">er</span></sup> siècle), ont pour titre « De la nature ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tous ces traités avaient l’ambition de donner une pensée « en accord avec la nature ». Mais l’attitude contemplative qu’ils impliquaient, toute passive, méconnaissait largement la nécessité des humains d’intervenir sur l’environnement naturel, de le transformer, pour satisfaire leurs besoins vitaux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La nature pour l’homme de la modernité est bien autre chose. Rappelons que la modernité commence au tournant du XVII<sup><span style="font-size: 8.8pt;">e</span></sup> siècle avec pour principaux initiateurs Bacon, Galilée et Descartes. La nature est dès lors pensée comme cet environnement terrestre déjà là, mis à la disposition de l’homme pour qu’il l’exploite à son profit, grâce à sa raison et à son inventivité technique. C’est donc une nature d’extension beaucoup plus restreinte, et par rapport à laquelle l’homme se doit d’être actif.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De ce point de vue, pour penser correctement la nature, il convient de ne pas hésiter à lui extorquer ses secrets en la contraignant dans les situations non spontanées que sont les expérimentations. La <i>science expérimentale</i>, c’est l’audace humaine de mettre la nature à la question ! L’expérimentation animale, et parfois humaine, en est la forme la plus problématique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous savons que nous sommes aujourd’hui dans l’héritage de cette conception moderne de la nature. Mais avec une rectification majeure. Les conséquences écologiques désastreuses de la surexploitation de l’environnement naturel ont amené à une redécouverte de la valeur de la contemplation de l’ordre que la nature recèle. Mais la nature est alors ramenée au domaine de la vie qui s’est développée à la surface de la planète Terre. La nature est <i>biosphère</i>. Elle est cette très fine pellicule de mousse verte qui s’est développée à la surface d’une planète, la Terre, et qu’on n’a, à ce jour, retrouvée nulle part ailleurs. La biosphère est un système de lignées (espèces) d’êtres vivants doté d’un dynamisme d’auto-développement indéfini, au travers d’êtres qui apparaissent, se transforment en transformant leur environnement, et disparaissent, mais en manifestant des propriétés d’auto-adaptation, d’auto-reproduction, et d’auto-régénération – ce qu’on appelle la <i>vie</i>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La nature donc, pour nous, est la biosphère, ce système d’êtres vivants sur la Terre avec son support rocheux, aqueux et atmosphérique. Et c’est un système que nous savons désormais fragile, menacé par les menées humaines, et qu’il faut admettre comme mortel. Nous ne connaissons, au-delà de la Terre, que des planètes mortes !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi penser son accord avec la nature, serait ne plus se penser <i>en assujettis</i> à la toute-puissance de la nature, ce serait ne plus se penser <i>contre</i> la nature en la violentant pour lui extorquer ses richesses. Penser son accord avec la nature serait penser l’homéostasie de la biosphère et l’insertion humaine en tant qu’elle ne la fausse pas. On parle d’« homéostasie » pour rendre compte de certaines règles d’échanges d’éléments dans la biosphère qui garantissent les équilibres qui soutiennent son dynamisme. Si on appelle écologie le savoir rationnel de cette homéostasie planétaire, alors s’accorder avec la nature serait établir des relations avec elle conformes à l’écologie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais cette réponse à notre question de départ, même si elle est précieuse en nous extrayant des pensées passionnelles antérieures sur la nature, est frustrante en ce qu’elle suppose un fort investissement intellectuel collectif, et sans doute une importante régulation, parfois contraignante, des comportements. Faudrait-il mettre l’« écologie » en enseignement obligatoire à l’école primaire ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En réalité l’écologie ainsi définie n’est pas un savoir achevé, et ne le sera jamais. La biosphère est d’une richesse qui semble infinie et apporte sans cesse des surprises qui remettent en cause les savoirs acquis. Pensons aux incessants remaniements dans la classification zoologique. En ce point on se rend compte de la pertinence de la notion de « surrationalisme » de Gaston Gaston Bachelard. Cette notion signifie que la raison se doit d’être créatrice pour être à la hauteur des défis que lui posent son objet – ici la biosphère – qui n’en finit jamais, dans sa créativité propre, de redéfinir son mode d’être. Par exemple, par rapport au fourmillement des formes du vivant, la raison doit dépasser le modèle du « tableau » du vivant dont le progrès consisterait à en remplir les cases. La théorie de l’évolution a été une création en ce sens, aujourd’hui la théorie de l’épigénétisme qui permet de penser les transformations du vivant à court terme – pourquoi les humains sont-ils plus grands qu’il y a un siècle ? – en est une autre. Penser en accord avec la nature serait alors considérer que ces redécouvertes sur la biosphère puissent se poursuivre indéfiniment.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors il faut prendre conscience que l’écologie est plus qu’une rectification de la pensée moderne de la nature. Car reconnaître que la nature, en son infinie créativité, défie la raison en l‘obligeant à sans cesse se réinventer, c’est reconnaître à la fois son unité et sa transcendance sur l’humain. Cette transcendance signifie finalement que lorsqu’il violente la nature, l’humain se violente lui-même !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant, l’humain ne saurait retourner à son ancienne attitude de sujétion face à une divinité qu’il faut ménager pour ne pas la craindre. Il ne s’agit pas de renier la science et les applications techniques qu’elle permet – car, on le sait l’espèce humaine a besoin de se donner des techniques pour être viable sur cette planète (pensons à tout ce qu’il faut de techniques pour se faire un habit chaud qui permette de survivre à l’hiver des zones tempérées). Il ne s’agit même pas de renier la méthode expérimentale. Car une chose est de faire rouler des billes sur un plan incliné, autre chose est d’inoculer un virus à un chimpanzé. On le voit, tout est une question de mesure. L’humain doit assumer se servir de cette réalité qui le transcende, et, forcément en y laissant son empreinte, plus ou moins profonde, plus ou moins effaçable. Mais dans quelle mesure ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, notre recherche d’une pensée qui accorde l’humain avec la nature se précise ainsi : sur quel principe, tiré d’une juste considération des bienfaits de notre absolue dépendance avec la nature, va-t-on mesurer notre empreinte laissée sur elle par notre indispensable maîtrise technique ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il peut être intéressant de s’inspirer de la « Philosophie de la nature » de Schelling (1799) pour fonder ce principe. Schelling, s’appuyant sur la science de son temps, reconnaît trois caractères à la nature : unité, dynamisme, et spiritualité. Les deux premiers caractères sont reconnus par la notion de « biosphère » que nous avons établie plus haut. La spiritualité de la nature est incontestable, du moins comme disséminée. On ne saurait déduire l’établissement d’un code génétique dans nos cellules ADN par la disposition de radicaux cellulaires appropriés, de la simple combinaison « du hasard et de la nécessité » au long de l’évolution (cf. le livre éponyme de J. Monod – 1970). Et on pourrait en dire autant de maintes autres réalités naturelles, telles de la structure de l’œil, la structure fractale du chou-fleur, la suite de Fibonacci dans la répartition des pétales de la pomme de pin, etc., toutes occurrences qui laissent voir une raison qui ordonne. Et comme il y a une unité dans toutes ces manifestations spirituelles, on peut tout-à-fait penser la nature comme un esprit maintenant les bons paramètres pour un maximum de développement de la vie sur la planète Terre compte tenu des circonstances qu’elle offre du fait de sa composition et de sa situation dans l’espace. Mais on ne retombera pas sur une divination de la nature en l’anthropomorphisant. Car on ne peut pas le faire ! L’esprit de la nature ne saurait avoir un corps comme nous en avons un, et il ne saurait dépendre de sa relation à d’autres vivants pour être : la biosphère ne saurait être un vivant au sens où la biologie peut le définir (c’est la faiblesse de l’hypothèse Gaïa de J. Lovelock dans « La Terre est un être vivant », 1979).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est dans cette direction qu’il faut chercher la possibilité d’une relation viable de l’humain avec la nature. Vivre en accord avec la nature, c’est comprendre au mieux l’esprit qui se manifeste dans les êtres naturels, et ainsi inférer vers quoi tend l’esprit de la biosphère qui a rendu possible qu’advienne cette espèce particulièrement ingénieuse qu’est l’humanité. Vivre en accord avec la nature, c’est savoir que nous pouvons prélever dans la prodigalité naturelle, mais seulement dans la mesure où l’on ne l’épuise pas, en préservant sa pleine fécondité future, comme si on la jardinait pour que puissent encore la jardiner nos petits-enfants. Vivre en accord avec la nature c’est inventer des techniques intéressantes qui seront toujours mesurées à la préservation de la générosité de la biosphère.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qu’il ne faut surtout pas faire, si l’on veut s’accorder avec la nature, c’est détruire massivement du vivant pour un plus grand rendement agricole à court terme, c’est laisser des déchets qui seront une source d’empoisonnement du vivant pour l’avenir à long terme. Ce que nous faisons sans vergogne en ce moment même avec de nombreux produits issus de nos techniques par lesquels nous ne laissons à nos descendants que du pur négatif qui compromettra la générosité future de la biosphère – ne citons que les centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs HAVL (haute activité à vie longue) de l’industrie nucléaire !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Car, d’une attention à penser en accord avec la nature, il s’ensuit nécessairement que les rapports de l’humain avec son environnement naturel ne sont plus de prédation, de destructions et souffrances infligées aveugles, d’irresponsabilité par rapport à l’avenir de l’humanité. Ils sont d’échanges.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humain doit partir de la gratitude pour cette générosité de la biosphère dont il dépend absolument, pour lui rendre par ses créations. Des techniques, comme la domestication, comme les habitats humains bien pensé pour s’insérer dans un biotope singulier, comme l’irrigation et autres aménagements de l’environnement naturel (lorsqu’ils favorisent la vitalité au lieu de la bouleverser ou de la détruire), peuvent contribuer à l’enrichissement de la biosphère. De même des créations artistiques peuvent être heureuses à la vie naturelle qui nous entourent – pensons par exemple au Land Art.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Au fond penser en accord avec la nature, c’est aussi penser en accord avec sa nature humaine. C’est donc tenir compte des deux puissances, celle de la nature qui nous est définitivement transcendante dans sa prodigalité sans limites, mais aussi celle de l’homme qui est nécessairement d’emprise technique sur son environnement naturel.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est cela le principe d’un accord de l’humanité avec la nature : que les comportements humains soient mesurés à favoriser l’échange de bienfaits entre ces puissances.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-10404319308415193642023-10-31T21:34:00.009+01:002023-11-06T11:18:13.832+01:00Sous les bombes<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgpLzGc-NnhMZdFkZzsoNjUOgI6GfR7264hZ7Ou-7pGW4Cx80K2RV3zK-b5XVu0DipR5xeMrFd8LerhpDFvLV5NGuaNELV7dww_6NbWKIC23TY0FRyQgfr0vzBZFOoTnSQdYjs9zslBs_i5KzYccNn-aCSxNFa6qmrVOONRsd-21behNwzbsaQe/s718/Hiroshima%20apr%C3%A8s%20la%20bombe.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="536" data-original-width="718" height="239" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgpLzGc-NnhMZdFkZzsoNjUOgI6GfR7264hZ7Ou-7pGW4Cx80K2RV3zK-b5XVu0DipR5xeMrFd8LerhpDFvLV5NGuaNELV7dww_6NbWKIC23TY0FRyQgfr0vzBZFOoTnSQdYjs9zslBs_i5KzYccNn-aCSxNFa6qmrVOONRsd-21behNwzbsaQe/w320-h239/Hiroshima%20apr%C3%A8s%20la%20bombe.png" width="320" /></a></div><div style="text-align: center;"><br /></div><div style="text-align: center;"></div><div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On appelle bombe un dispositif technique créé par l'homme qui constitue un mal potentiel collectif, lequel se concrétise à l’improviste – c’est l’explosion – détruisant de manière indiscriminée et donc générant massivement des victimes innocentes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a beaucoup de dispositifs techniques humains destructeurs, comme la tapette à souris, l’arbalète, etc. Ce qui caractérise la bombe c’est bien qu‘on ne peut s’en prévenir car on ne la voit pas venir (« improviste »), et l’arbitraire de ses destructions (« indiscriminée »).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a un taux particulièrement élevé de destructions par bombe, aujourd’hui, sur notre planète. C’est ainsi que les bombes explosent de manière répétée sur la bande de Gaza et sur l’Ukraine. Les bombes sont l’arme inhumaine par excellence. Rappelons-nous ce qui est advenu aux habitants d’Hiroshima (Japon) en ce beau matin du 6 août 1945.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant, il faut remarquer que la définition de la bombe donnée ci-dessus ne la caractérise pas comme une arme : il y a en effet des dispositifs techniques qui n’ont pas été créés pour neutraliser un ennemi, et qui pourtant sont porteurs d’un « effet bombe ». C’est en ce sens que Le Monde numérique propose un article des <i>Décodeurs</i> du 31 octobre 2023, intitulé :</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="color: blue;"><u></u></span><a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2023/10/31/bombes-carbone-ces-projets-fossiles-qui-ruinent-les-efforts-pour-le-climat_6197484_4355770.html" target="_blank">« Bombes carbone » : ces projets fossiles qui condamnent les efforts pour le climat !</a></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’article est édifiant car il pointe très précisément la toute petite minorité d’humains responsables des décisions qui compromettent l’avenir de l’humanité en déréglant le climat.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Aux peuples de faire de ces informations le meilleur usage pour retrouver plus de confiance en leur avenir !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cependant, il ne faudrait pas que cette enquête salutaire masque une autre bombe à la portée destructrice autrement plus redoutable.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le problème est celui-ci. Depuis <sup><span style="font-size: 8.8pt;">3</span></sup><i>/</i><sub><span style="font-size: 8.8pt;">4</span></sub> de siècle les humains développent une industrie nucléaire de production d’énergie qui génèrent massivement des déchets radioactifs.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La radioactivité est la propriété qu’ont certains matériaux de diffuser, à flux continu, de l’énergie dans leur environnement sous forme de rayonnements. Ces rayonnements sont constitués d’ondes électromagnétiques et de particules atomiques qui sont susceptibles de créer des désordres dans le plus intime de notre physiologie, en particuliers dans les cellules qui codent nos gènes. Or, comme ces rayonnements passent sous le radar de notre sensibilité (lorsqu’ils nous traversent nous ne sentons rien), nous sommes individuellement démunis pour nous en défendre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous avons pu montré que la vie n’a pu s’adapter à la condition aérobie sur la surface de la Terre que très tardivement après l'apparition de la vie aquatique, à partir du moment où la forte radioactivité originelle de notre planète avait suffisamment baissé pour être compatible avec des vivants au patrimoine génétique complexe. Voir notre article <a href="http://agora.qc.ca/documents/radioactivite--radioactivite_et_experience_humaine_par_pierre-jean_dessertine" target="_blank">Radioactivité et expérience humaine</a>. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si intervient une rehausse de la radioactivité dans l’atmosphère terrestre, l’espèce humaine, et avec elle les primates et les autres mammifères supérieurs, sera la plus vulnérable à ses effets destructeurs pour le vivant.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut donc absolument confiner tous ces déchets radioactifs de l’industrie nucléaire, spécialement ceux qui sont classés HAVL (Haute Activité à Vie Longue). Or, un des principaux composants de ces déchets est le plutonium 239 qui doit – plutôt <i>qui devrait</i> (comment faire des projets à cette échelle de temps ?) – être confiné pendant 200 000 ans ! Sans compter qu’il faut des systèmes de refroidissement, car l’énergie ainsi contenue engendre de la chaleur.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, en 2008, il y avait déjà accumulés 250 000 tonnes de déchets HAVL dans le monde. Ce chiffre a été donné oralement par B. Boullis du « Commissariat à l’énergie atomique » lors d’un colloque en 2009. Qu'en est-il en 2023 ? On ne trouve nulle part de chiffres plus documentés, plus officiels, plus récents – les responsables de cette industrie ne seraient-ils pas fiers de cette croissance là ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, on n’a toujours aucune solution viable pour entreposer tous ces déchets en des sites de confinement pérenne compatibles avec l’avenir à long terme de l’humanité et de la biosphère.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De même, on est toujours incapable de démanteler une centrale nucléaire ayant cessé son activité pour rendre le site disponible pour les vies humaines à venir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, dans une activité toute récente, certains humains recréent les conditions que notre planète soit potentiellement inapte à la continuation de la vie humaine. Et, voyez-vous, on ne le sent pas... du côté de l'industrie nucléaire, tout à l'air si propre ! Tout laisse à penser que les catastrophes surviendront à l'improviste. <br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Telle est la « Bombe radioactivité ».</div></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-77655278976747191092023-10-14T09:14:00.003+02:002023-12-18T07:17:30.622+01:00Misère de la vengeance<p><br /></p><p></p><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjoWvihEf_rNn01510RUEWMkoWEElvCrtnFd5JmiFLNXMsrNWHIHtjqNk6KxXsAs12NPoCF4LIeWqj6zqBCXrzcOY0MUHHCy2umqwGxYJ9prwBBRb_xhdmAQNoJjsKqI1F1tVHAbbCid4Tu0IsTLLTjNPWNxhYY6_709OWyoXu2swe_4go8GJ0E/s560/Gaza_apr%C3%A8s071023.png" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="315" data-original-width="560" height="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjoWvihEf_rNn01510RUEWMkoWEElvCrtnFd5JmiFLNXMsrNWHIHtjqNk6KxXsAs12NPoCF4LIeWqj6zqBCXrzcOY0MUHHCy2umqwGxYJ9prwBBRb_xhdmAQNoJjsKqI1F1tVHAbbCid4Tu0IsTLLTjNPWNxhYY6_709OWyoXu2swe_4go8GJ0E/s320/Gaza_apr%C3%A8s071023.png" width="320" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Gaza, après le 7 octobre 2023<br /></td></tr></tbody></table><br />La vengeance n'est pas un comportement adulte - nous voulons dire : qui procède de l'âge de raison - il est un comportement infantile. Il n'est que la réaction vers la satisfaction de voir subir des dommages celui qu'on considère être l'agent de dommages qu'on a subis.<p></p><p>Tout dans ce mode de fonctionnement relève de la puérilité : le diktat de l'émotion, l'évidence magique de la réparation par le dommage causé en retour et la satisfaction qu'elle promet, le court-circuitage de la réflexion, l'urgence vers cette satisfaction "à tout prix". C'est la logique de l'enfant qui a besoin de frapper le coin de la table où il s'est cogné : il se fera peut-être aussi mal (à la main) que lors du premier heurt ... mais il aura la satisfaction de s'être vengé ! Plus tard, il faut le croire, avec l'âge de raison, il réfléchira sur les moyens d'éviter le coin de la table, ... avec beaucoup de commisération pour ses impulsions enfantines.<br /></p><p>Il est navrant de voir aujourd'hui, si communément, des responsables politiques incapables de dépasser ce niveau.</p><p>Rappelons Hegel : </p><p></p><blockquote>"La vengeance n'a pas la forme du droit, mais celle de l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constituant à son tour une nouvelle offense, n'est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l'infini, de nouvelles vengeances." <br /> <u><i>Propédeutique philosophiqu</i></u>e", 1809 (trad M. de Gandillac, ed. de Minuit)<br /></blockquote><br /><br /><p></p>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-80981585926613698572023-09-18T04:52:00.004+02:002023-09-19T07:41:17.013+02:00De la non existence de l’intelligence artificielle et de ses effets<p style="text-align: center;"> </p><br /><p></p>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjW7H-XzKQ5ua7kBcv_NT7SMX2BEi8Q8Kpg6sWPRDdlo8wzdyR7KQQcIh6u0UGl_4oizAlqT4LR57jQ5eal07DkKny_YyVh0_R9MzR8vxFjs_by9v5Ku2kG8c1khgw-4jD-_JABjKuj_KDaDmFkhB4-rW6TI_JFKgjSTZri6YUWsf__rRAV68Lt/s400/boulier%20antique.jpeg" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="400" data-original-width="190" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjW7H-XzKQ5ua7kBcv_NT7SMX2BEi8Q8Kpg6sWPRDdlo8wzdyR7KQQcIh6u0UGl_4oizAlqT4LR57jQ5eal07DkKny_YyVh0_R9MzR8vxFjs_by9v5Ku2kG8c1khgw-4jD-_JABjKuj_KDaDmFkhB4-rW6TI_JFKgjSTZri6YUWsf__rRAV68Lt/w152-h320/boulier%20antique.jpeg" width="152" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><span style="font-size: x-small;">Boulier antique</span></td><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><br /></td></tr></tbody></table><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’intelligence artificielle est une technique de production d’œuvres auparavant exclusivement pilotées par l’esprit humain.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En ce sens l’intelligence artificielle est une virtualité de multiples nouvelles œuvres culturelles aisément et rapidement produites.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De ce point de vue l’intelligence artificielle pourrait être vécue comme un élargissement du champ de notre liberté.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On pourrait donc se féliciter de cette nouvelle avancée technique. Sauf qu’il y a un trouble en son idée même dans le fait que l’on ne sait trop de quoi l’on parle quand on parle d’<i>intelligence artificielle</i>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Déjà, concernant l’intelligence simplement humaine, on serait bien en peine d’en donner une définition qui fasse consensus. Mais au moins, dans l’histoire de la pensée, on s’est longtemps accordé pour en faire une qualité propre à l’espèce humaine qui lui donne une supériorité décisive sur les autres espèces animales. Pourtant, depuis peu, on n’hésite pas à s’interroger sur l’« intelligence animale ». Mais en quel sens alors ? Après tout, l’homme crée des pièges à animaux, l’animal ne crée pas des pièges à humains !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et comment peut-on parler aujourd’hui d’« intelligence artificielle » en attribuant cette qualité d’intelligence à des dispositifs techniques ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En ce point, le mot <i>intelligence</i> apparaît comme un embouteillage de confusions.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors, comme voie pour éclairer cette notion d’<i>intelligence artificielle</i>, abordons-la en décrivant simplement le phénomène qui est censé la manifester. L’intelligence artificielle se présente comme une machine capable de produire une œuvre originale sous forme de texte, d’image ou de bande-son. Elle capte aujourd’hui l’intérêt commun parce qu’elle semble concurrencer des savoir-faire que les humains avaient toujours jusqu’alors considérés comme leur privilège.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette machine est un ordinateur, ce que les anglo-saxons appellent <i>computer</i>, soit, littéralement, <i>machine à calculer</i>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le principe d’une machine à calculer est simple. C’est un dispositif matériel construit autour d’un certain nombre d’éléments identiques sur lesquelles on peut provoquer deux états définis en leur appliquant une impulsion énergétique définie. Si on nomme 0 et 1 chacun des états que peuvent prendre ces unités élémentaires, une série de huit donnera un nombre de huit chiffres en 1 et 0, donc de base binaire. En informatique on appelle <i>bit</i> chaque unité élémentaire, et <i>octet</i> le nombre élémentaire composé de 8 bits (donc une mémoire d’1 gigaoctet signifie qu’elle a un million d’octet, en sachant que chaque octet, du fait des possibilités de combinaison des 0 et 1, peut prendre 256 valeurs différentes).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le boulier (voir l’image d’en-tête) est la plus ancienne machine à calculer, il remonte à au moins deux millénaires avant notre ère. Dans sa forme achevée, il consiste en boules pouvant se déplacer sur un certain nombre de tringles parallèles. Le boulier ci-dessus a une mémoire de 91 bits soit le nombre de boules qui peuvent par leur position – à gauche ou à droite sur la tringle – prendre les valeurs de 0 ou 1</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Un ordinateur contemporain peut être considéré comme un boulier à énergie électrique qui aurait l’équivalent de millions de tringles à plusieurs boules (8 le plus souvent). Sauf que ce ne sont pas des boules qui font les bits mais des infimes particules matérielles, par exemple des particules d’oxyde de fer qui changent d’orientation magnétique par une impulsion électrique minimale.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous évaluons un ordinateur à sa capacité de mémoire car, finalement, comme dans toute machine à calculer, il n’y a que de la mémoire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Blaise Pascal présentant, en 1645 (à 23 ans), la première machine à calculer moderne qu’il venait d’inventer, écrivait : « Tu sais … combien, d’erreurs se glissent dans ces rétentions et emprunts à moins d’une très longue habitude et qui fatigue l’esprit en peu de temps. Cette machine délivre celui qui opère par elle de cette vexation ; il suffit qu’il ait le jugement, elle le relève du défaut de la mémoire. » Autrement dit, la machine à calculer a essentiellement pour fonction d’assurer la mémoire dans le calcul humain par des agencements matériels dynamiques (les changements d’état dus à l’action humaine). Pascal n’est pas du tout dans l’idée d’avoir créé une <i>intelligence</i> artificielle. Jamais il n’a eu le soupçon de l’idée d’accoler le caractère d’intelligence à son invention.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, tous nos ordinateurs ne sont que des machines à calculer qui ont poussé au plus loin la quantité de mémoire et la labilité de celle-ci – ce qui est particulièrement le cas du processeur, dont les bits sont constitués de transistors en nombre (désormais de l’ordre du milliard), et dont les changements d’état rapides (indiqués par la cadence du processeur), permettent de gérer les impulsions électriques dans le système.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Encore une fois, il n’y a aucune intelligence dans ces systèmes, que de la mémorisation dynamique engendrée par la numérisation de la modification d’états de particules matérielles. Toute l’intelligence de ces machines numériques est dans leur agencement par le moyen du nombre. Le nombre n’existe pas dans l’ordinateur, il est une création de l’intelligence humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi l’ordinateur ne peut être crédité d’aucune intelligence <i>artificielle</i>, il n’est, comme toutes les autres techniques inventées par l’homme, qu’un précipité de l’intelligence humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si l’on voulait parler clairement, il faudrait proscrire l’expression « intelligence artificielle ». L’intelligence artificielle n’existe pas, ne peut pas exister.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On ne devrait parler que de « machines-à-calculer-pour-produire-du-texte » (ou des graphismes, ou des bandes sonores).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui fait mieux voir qu’il n’y a dans ces productions que des combinaisons de mémorisations suivant des logiques propres à l’intelligence humaine et implémentées par traduction numérique dans la machine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Prenons par exemple un texte élaboré par le programme « ChatGPT ». Si on lui pose une question philosophique, on a bien le pour et le contre, et finalement une conclusion relativiste : c’est oui ou non selon certaines circonstances. Donc, pour le professeur de classe prépa, une copie très moyenne qui fait état d’une bonne culture commune, qui est capable de mettre en ordre des idées, mais qui est incapable de construire un chemin de réflexion ouvrant des horizons nouveaux. Avec quelquefois des erreurs grossières. À la question « Le mensonge peut-il être moral ? », le programme soutient que Kant admet la possibilité de mentir par humanité. Ce qui est tout simplement faux ! Pourquoi cette erreur ? Elle s’explique par la manière dont le programme mobilise les données : comme il rencontre régulièrement, associé au nom de Kant, l’expression « droit de mentir par humanité », il conjoint l’un et l’autre. Et cela tout simplement parce que Kant a écrit un texte « D’un prétendu droit de mentir par humanité » (1797) qui se trouve dans la liste de ses œuvres. Mais ce texte conclut justement qu’on ne peut admettre un tel droit ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est là que l’on voit mises au jour les limites de la machine à calculer qui prélève des données numériquement mémorisées et les combine entre elles selon les mots de la question posée et la bonne forme du discours. Elle opère à partir du calcul de la plus grande fréquence statistique de la manière dont sont associés les mots-clés de la question – pas de chance pour Kant, le mot « prétendu » dans son titre n’a pas l’heur d’être un mot-clé !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement la machine à calculer est bien incapable de produire une <i>œuvre</i> au sens d’Hannah Arendt c’est-à-dire comme constitutive du monde humain (voir <i>La condition de l’homme moderne</i>, 1961, chap IV, <i>La durabilité du monde</i>). Elle ne fait que ressasser le monde passé en accommodant des bribes de culture passée selon des formes calculées comme statistiquement les plus communes. Si on demande plusieurs productions à une même requête de texte, la machine donnera toujours la priorité à celui qu’elle a calculé comme restituant les chaînes de mots les plus communes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’apporte cette pseudo intelligence artificielle, sinon la virtualité des variantes d’expression du conformisme ayant trait à la requête ? La mal dite « intelligence artificielle » nous apporte une liberté bien vaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">S’exciter, comme c’est dans l’air du temps, sur ce nouveau « progrès », n’est-ce pas, paradoxalement, s’ankyloser dans le statu quo social, alors que notre société de la troisième décennie du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle a un besoin vital de sortir du statu quo?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est certain que cela n’est, humainement, pas du tout intelligent !</div><br />Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-9607376484296722023-09-14T11:15:00.018+02:002023-09-21T16:57:33.296+02:00Grandeur et limite de la virtualisation<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9Jkm4Rq14_vCWZ721fyY2xng7VQsCYILE_W9nuxVYqK_cbxYe1wdkXjWDM8S9BTgDTNKhYs9n-1-HtT_PVml5gG5Ri7u2ycUmCaOWs8qJm9mHc4ms9PwD1mrMwQCdiVgknfFOnJ1vmPtn6S86mTGe5KhgftdBCBY4xi7sRJm3LBMQ0ittEslJ/s1024/realite-virtuelle-1.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="640" data-original-width="1024" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj9Jkm4Rq14_vCWZ721fyY2xng7VQsCYILE_W9nuxVYqK_cbxYe1wdkXjWDM8S9BTgDTNKhYs9n-1-HtT_PVml5gG5Ri7u2ycUmCaOWs8qJm9mHc4ms9PwD1mrMwQCdiVgknfFOnJ1vmPtn6S86mTGe5KhgftdBCBY4xi7sRJm3LBMQ0ittEslJ/s320/realite-virtuelle-1.jpg" width="320" /></a></div><br /><div style="text-align: center;"></div><br /><div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La notion de <i>réalité virtuelle</i> s’est popularisée ces dernières décennies comme mode d’irruption massive dans la vie sociale de la technologie numérique. En ce sens particulier elle consiste dans la simulation d’un environnement par stimulation artificielle des sens.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or la technologie numérique permet d’aller très loin en ce sens : on parle aujourd’hui d’« immersion à 360° » ou d’« immersion 3D » ! Cela signifie que l’on se voit immergé dans un environnement artificiel qu’on peut regarder à 360° et dans lequel on peut se déplacer, et aussi exécuter des actions sur les objets qui en font partie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Jusqu’où peut aller cette virtualisation de la réalité dans nos vies ? Ne rencontre-t-elle pas une limite ? Qu'est-ce qui résistera toujours à toute virtualisation artificielle ?<br /></div>
<p style="line-height: 1; margin-left: 0in; margin-top: 12pt; text-indent: 0in;"><br /></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il convient d’abord de clarifier cette notion de réalité virtuelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Est-ce la technologie numérique qui l’a inventée ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Non ! le téléphone, qui date de la seconde moitié du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, est déjà de la communication virtuelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourquoi virtuelle – me direz-vous – c’est de la communication bien réelle ! Certes mais dans un autre mode de réalité que la réalité que nous pouvons qualifier de première - celle qui procède d’un ici-et-maintenant clairement identifié. Où se réalise une communication téléphonique ? On voit qu’il n’y a pas de réponse simple !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De plus il faut élargir le domaine de la réalité virtuelle bien au-delà des techniques humaines. Le futur arbre n’est-il pas virtuellement dans le noyau du fruit ? Les infimes gouttelettes d’eau qui forment un nuage ne sont elles pas une pluie virtuelle ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La réalité virtuelle fait fondamentalement partie de la nature.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ces considérations permettent de préciser ce qui caractérise la réalité virtuelle</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’abord, la réalité virtuelle n’est jamais dans un ici-et-maintenant. On ne saurait dire où est la pluie virtuelle dans les nuages qui s’avancent, ni où est l’encyclopédie virtuelle Wikipédia, ni où se déroule le jeu collectif par connexion internet.<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi le virtuel ne s’oppose pas au réel – il est bien réel ! – il s’oppose à l’<i>actuel</i>, c’est-à-dire le réel qui est déterminé par des coordonnées spatio-temporelles.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il s’ensuit que le <i>virtuel</i> n’a rien à voir avec le <i>possible</i>. Est possible toute conception d’une réalité qui n’est pas contradictoire. Ainsi Léonard de Vinci a fait le croquis d’un sous-marin possible. Mais le possible n’est pas le réel. Pour qu’il soit réel il faut le faire exister. Il n’y avait aucun sous-marin au XVI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De cette opposition virtuel/possible on peut tirer un autre caractère du virtuel. Si on peut aller du possible au réel, c’est un aller sans retour. Ça n’a aucun sens d’aller du réel au possible. Par contre, on peut aller de l'actuel au virtuel, par exemple, dans sa messagerie numérique, en rediffusant le message actuel.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On retrouve ces caractères dans les productions numériques contemporaines. Par exemple, un jeu vidéo est la virtualité pour tout joueur de vivre des segments de vie fictive dans un environnement fictif – l’expérience de la course automobile, du combat héroïque contre des méchants, de la fondation d’une ville, etc. Une telle virtualité ne saurait être située dans un lieu et un temps déterminés, disséminée qu’elle est dans les terminaux de multiples joueurs ; par contre elle s’actualise de manière bien précise dans l’endroit et le moment où l’un d’eux joue </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui fait le succès de ces productions contemporaines de réalités virtuelles est d’abord le très grand réalisme des situations fictives auquel elles parviennent grâce à la numérisation. Mais ne faut-il pas également prendre en compte un attrait humain plus général pour les réalités virtuelles ? <br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Virtualiser, n’est-ce pas toujours échapper aux déterminations temporelles qui cadenassent le réel actuel pour ouvrir à des séries indéfinies d’actualisations nouvelles ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Prenons, par exemple, la conversion massive au télétravail dans les entreprises lors des confinements sanitaires à partir du printemps 2020 – on ne va plus tous dans un même lieu, les locaux de l’entreprise, voir les mêmes têtes, établir les mêmes relations enkystées par l’organisation du lieu de travail, on échappe à une pesante surveillance mutuelle liée aux relations hiérarchiques. Mille possibilités nouvelles se révèlent dans la relation à son travail : nouvelles collaborations, possibilité de franchir les limites de l’entreprise pour traiter certains problèmes, nouvelles possibilités d’organiser son temps de travail, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Puisque la liberté c’est d’abord la capacité de choisir entre des possibilités, on se sent d’autant plus libre que les possibilités sont nombreuses. On comprend que la virtualisation du travail en entreprise ait été le plus souvent vécue comme une libération ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais n’était-ce pas déjà le cas, dans les années 90, pour ceux qui avaient acquis un ordinateur équipé d’un modem ? Ils découvraient la virtualisation de la connaissance, du courrier, des relations sociales, du jeu, des échanges marchands aussi, et tout ce qui devenait possible avec cela. Ils pouvaient effectivement le vivre comme une formidable libération ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On pourrait remonter bien en deçà, l’écriture est une virtualisation de la parole, le livre est une virtualisation du discours, laquelle s’amplifie avec l’imprimé, puis avec le magnétophone et la radio. Chaque fois ces inventions furent vécues comme des libertés nouvelles pour les communications humaines.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement il faut reconnaître que toute invention technique est une virtualisation du rapport que l’on a à son objet d’usage : le moulin à vent est une virtualisation de l’énergie éolienne, comme la photographie est une virtualisation de la production d’images réalistes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Plus profondément, la mémoire, l’imagination, sont des états de conscience virtuels, la culture d’un groupe social est un éventail de comportements virtuels – et, à l’intérieur de la culture, la langue que l’on possède est une infinité de communications virtuelles, aux autres, mais aussi à soi-même (réflexion).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La virtualisation a donc été un processus décisif pour l’histoire humaine, et même pour l’évolution du vivant – par exemple la reproduction sexuée virtualise des singularités vivantes qui favorisent l’adaptation d’une espèce.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette puissance du virtuel est indiquée par l’étymologie même du mot : le mot virtuel vient du latin médiéval <i>virtualis,</i> lui-même issu de <i>virtus, </i>qui signifie force, puissance !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi la virtualisation est intrinsèquement libération.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Comment se fait-il alors que l’on puisse ressentir l’évolution de la virtualisation contemporaine par la technologie numérique comme une menace ?<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut remarquer toute virtualité doit déboucher sur une réalité actuelle, car une virtualité sans fin serait une virtualité de rien du tout : elle n’aurait pas de sens ! C’est ainsi que la graine s’efforce de devenir plante, comme la flûte a vocation à produire le son joué par le flûtiste.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, il ne suffit pas de dire que la réalité virtuelle suscitée par l’invention d’une technique libère par les possibilités qu’elle donne, il faut aussi savoir <i>pourquoi</i> elle libère, c’est-à-dire vers quelle valeur on veut aller qui va nous permettre de choisir entre les possibilités offertes d’actualiser la réalité virtuelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si je taille une flûte dans du bambou, c’est pour jouer de la musique pour moi ou dans les soirées entre amis, et la virtualité musicale propre à cet instrument se réalisera dans le sens de l’idée que je me fais du bien ; mais je ne voudrais en aucun cas que l’on utilise ma flûte pour détourner l’attention de quelqu’un afin de lui voler son portefeuille.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La réalité virtuelle est parvenue à la popularité ces dernières décennies essentiellement en permettant le développement du jeu vidéo. Depuis la banalisation des terminaux numériques, le secteur des jeux vidéos est devenu le premier secteur culturel dans le monde !<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or la principale force de la technologie numérique qui a permis cet essor est sa capacité de créer des simulations étonnamment réalistes du monde commun par des stimulations sensorielles – la vue d’abord, de plus en plus avec la profondeur (3D), ainsi que le son, et quelquefois dans des environnements aménagés spécialement, d’autres sens (toucher, odeur), avec aussi la possibilité d’entrer dans ces environnements en vue subjective (à partir de son propre champ visuel simulé), et en s’isolant assez radicalement de son environnement actuel. S’ajoute aussi la capacité de jouer à plusieurs connectés sur la même plate-forme. Ces jeux, comme tous les jeux de simulation, permettent d’expérimenter des segments de vie autres qui résonnent avec son imaginaire. Ils sont donc vécus comme extrêmement satisfaisants.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans ces simulations délibérément captatrices de la conscience de celui qui y accède, il y a effectivement l’ouverture d’un champ de possibilités qui peut être très large et par là séduisant, mais qui n’existe plus dès lors que fait défaut tout l’appareillage technique qui conditionne – la panne d’électricité en est l’ennemi radical.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais pourquoi ? Pourquoi s’absenter une grande partie de son temps de veille de la réalité commune actuelle où se décide finalement la valeur de son existence ?<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour fuir une réalité actuelle trop frustrante ? Pour être séduit par des produits qu’il faut acheter parce qu’on nous en fait ressentir le manque ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est évident qu’il faut regarder aussi du côté de l’intérêt particulier des majors mondiaux de l’industrie du numérique. Ils engrangent de substantiels profits par la marchandisation des applications, de l’équipement en terminaux (ordinateurs, smartphones, consoles et autres), et des produits dérivés. Mais cela va plus loin. Ils organisent l’univers parallèle qu’ils proposent de telle manière que le quidam ait du mal à éteindre le terminal, et reste en attente d’y retourner. En ce qui concerne la pratique du jeu vidéo, que ce soit seul ou à plusieurs, il est devenu nomade entre les supports connectés : il peut accompagner chacun et être repris à tout instant. Cet élargissement des possibilités d’usage favorise l’arrivée des adultes, en particulier des femmes, et même des seniors, dans le « vidéoludisme ». Il est avéré qu’aujourd’hui les femmes de 30 à 50 ans sont le groupe de joueurs le plus actif dans le monde !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’un point de vue général, le temps de vie de plus en plus envahissant passé en interaction avec les terminaux captant la conscience dans une réalité virtuelle numérisée, la distrait d’autant de la vie sociale actuelle et par là contribue largement à une passivité politique des populations. Ce qui se voit par l’importance et l’accroissement régulier du taux d’abstention dans les élections des pays à régime démocratique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">S’amplifient ainsi des comportements qui sacrifient l’avenir pour une satisfaction immédiate, ce qui est d’ailleurs, lorsque de tels comportements sont réguliers et vécus comme irrépressibles, un marqueur reconnu d’un état d’addiction.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, la réalité virtuelle numérique est devenue un puissant moyen de contrôle des comportements des populations. Et nous ne parlons pas ici du problème du traçage des comportements rendu possible par l’évolution des smartphones et la généralisation de leur usage. Nous parlons d’un contrôle plus insidieux parce qu’il ne s’oppose pas à la liberté de choix des individus. Il l’intègre ! Car l’individu choisit bien lui-même de négliger le monde commun actuel pour aller vers la satisfaction immédiate à laquelle l’écran l’invite.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tout se passe comme si le marché, qui en cette troisième décennie du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e </span></sup>siècle a étendu son emprise sur à peu près l’ensemble de la planète, devait continuer à croître dans un univers parallèle (il ne peut en effet survivre qu’en croissant), tellement les dommages qu’il engendre dans le monde actuel sont devenus intolérables. Pour cela, il aurait mis au point la technique de la réalité virtuelle numérisée hyperréaliste afin de détourner les consciences de l’espace public et de la question du bien commun. C’est en cela que la virtualisation numérique serait manipulatrice.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N’y a-t-il pas le danger que, d’avancée en avancée, cette technique de simulation d’un univers parallèle nous rende de plus en plus étrangers au monde actuel, dès lors de moins en moins protégé des prédations à court terme des affairistes ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais ne manquera-t-il pas toujours quelque chose d’essentiel à cette réalité virtuelle pour qu’elle ne soit pas prise pour la réalité, tout simplement ?<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous proposons la thèse suivante : il manquera toujours à la réalité virtuelle un caractère essentiel de la réalité commune. <b>Le virtuel ne sera jamais ni habitable ni aventureux</b>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pas plus que l'on peut repeindre l'arc-en-ciel, ou s'abreuver dans le lac-mirage du désert, on ne peut habiter la maison, truffée de webcams et autres capteurs, dont on pourrait partager, en temps réel, tous les stimuli sensoriels par l'intermédiaire d'un équipement technique adéquat. Comme le dit Merleau-Ponty « Notre corps n’est pas dans l’espace, il habite l’espace ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourquoi ? Parce qu’habiter engage le corps vécu comme une totalité en ce qu’il donne sens à l’espace qu’il occupe : il en fait le centre du monde. Et ce sens se distribue d’emblée entre deux pôles :</div>
<p style="margin-left: 0.57in; text-indent: -0.57in;">1- D’une part, il doit choisir et délimiter un lieu dans l’espace ouvert en lequel il peut s’assurer de se défendre contre les dangers venant de l’extérieur tout en assurant la satisfaction de ses besoins. Ce lieu de sécurisation est l’« habitation ».</p>
<p style="margin-left: 0.57in; text-indent: -0.57in;">2- D’autre part, il est spontanément curieux de cet espace au-delà des limites de son habitation ce qui ouvre à une autre modalité d’être corporellement dans l’espace, qui n’est pas sans risque, mais qui répond à sa capacité d’étonnement et à sa curiosité. Cette autre manière d’être dans l’espace est l’« aventure ».</p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le virtuel ne sera jamais habitable. Et, de même, le virtuel ne sera jamais aventure. Tout simplement parce que dans le virtuel il n’y a qu’un nombre fini d’environnements possibles et donc de comportements possibles, alors que dans la réalité spatiale actuelle il y a une infinité d’environnements et donc de comportements possibles.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette infinité est illustrée par la perception du ciel : l’impossibilité de restituer la perception du ciel est la limite infranchissable de la simulation de la réalité première par une réalité virtuelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le ciel n’est pas virtualisable parce qu’il n’est pas un objet reproductible. Il n’est pas un objet reproductible parce qu’il n’est pas un objet. Et il n’est pas un objet parce qu’il n’a pas de forme. Et il n’a pas de forme parce qu’il n’a pas de limite. Marche vers l’horizon, vole vers la Lune ou vers Mars, toujours et encore du ciel tu découvriras !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi, en réalité virtuelle, même avec un casque intégral connecté et des électrodes au bout des membres, le corps que je suis n'est toujours engagé que partiellement, par ses parties qui sont concernées par les stimuli émis ; et il ne répondra que partiellement, par exemple par l'index sur le bouton de la souris.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mon corps comme conscience d'une unité, est toujours déconnecté de la réalité virtuelle. Même capté par mon jeu en vue subjective, je ne saurais avoir la conscience d'un espace global qui s'ouvre à mon corps.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C'est pour cela que je n'ai pas l'idée de me lever pour aller voir derrière l'écran l'objet disparu dans l'horizon de l'image.</div></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-26991474551076615172023-07-21T02:32:00.000+02:002023-07-21T02:32:05.545+02:00Épigramme érotique<p> <table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiv3NvGPBhljvgd_PjPmKWVfveGDA1b51GS7JcnB9nTn_thZSa6EGaN9wKXOcuF5JQudIBm0wiM1caoI9BJiDrsXynYVHo5EckwVNzKOkxK64lpo2QFoNswkw0si6X20LjSwzbCl4ILl7KOa5oemMtV6sciAhdAwfzT_b3YGxvVgRHLSRUs1GVE/s439/Carnac-6rt.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="439" data-original-width="324" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiv3NvGPBhljvgd_PjPmKWVfveGDA1b51GS7JcnB9nTn_thZSa6EGaN9wKXOcuF5JQudIBm0wiM1caoI9BJiDrsXynYVHo5EckwVNzKOkxK64lpo2QFoNswkw0si6X20LjSwzbCl4ILl7KOa5oemMtV6sciAhdAwfzT_b3YGxvVgRHLSRUs1GVE/s320/Carnac-6rt.jpg" width="236" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">À Carnac, Morbihan<br /></td></tr></tbody></table><br /></p><p>Féministe, n'es-tu pas celle qui n'a jamais accédé au paradoxe du mâle humain, en lequel le plus dur est aussi le plus doux ?</p><p>Macho, n'es-tu pas celui qui n'a jamais compris que ce qu'il y a de plus dur en toi devait se faire le plus doux ?<br /></p>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-89786122320369770152023-06-16T13:43:00.001+02:002023-06-16T21:00:19.616+02:00Sommes-nous encore modernes ?<div> </div><div> </div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: left;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiAufeXo9uBygA3QIwFMxLW2vvNJ0l-CPxkUVsP6zLkyboxCwnB2Gp54LU2ePUuf1ZserF0WsfZZpmvJ9pc6jM7QcRY_FVYDYv74Af4y-RJWraqgZ5iuo1lBzONDIL2K4ncbSm3f9MG-AtQX62w4Sih9kBgTdCEoTBuP1WTPMgTb5kgIPqKQA/s610/modern.jpeg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="610" data-original-width="455" height="301" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiAufeXo9uBygA3QIwFMxLW2vvNJ0l-CPxkUVsP6zLkyboxCwnB2Gp54LU2ePUuf1ZserF0WsfZZpmvJ9pc6jM7QcRY_FVYDYv74Af4y-RJWraqgZ5iuo1lBzONDIL2K4ncbSm3f9MG-AtQX62w4Sih9kBgTdCEoTBuP1WTPMgTb5kgIPqKQA/w225-h301/modern.jpeg" width="225" /></a></div><div><br /><br /></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a quelques décennies, il fallait être moderne !<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Aujourd’hui, il semble bien que le <i>moderne </i>ne soit plus envisageable comme slogan politique. Le modernisme semble passé de mode, si l’on peut dire. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant n’est-ce pas être encore être moderne de passer à la caisse automatique dans les commerces, à la fibre, à la 5G, à la robotisation dans l’industrie, et à l’usage tous azimuts de l’intelligence artificielle ? L’agriculteur qui ne démord pas de l’épandage de pesticides particulièrement destructeurs pour la biosphère, ne le revendique-t-il pas au nom d’une agriculture moderne ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Un des paramètres de l’impuissance actuelle face à la nécessaire transition écologique ne serait-il pas que nous soyons encore restés modernes ?</div>
<div style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-indent: 0in;"><b><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;">1</span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"><sup><span style="font-size: 11.2pt;">ère</span></sup></span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"> idée : Il faut découpler le moderne et le progrès</span></b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On tend spontanément à associer le fait d’être moderne à l’adhésion au progrès – enfin, disons plutôt au Progrès (avec majuscule) puisqu’il s’agit du progrès dans la connaissance et la maîtrise de l’environnement naturel qui s’est mondialement répandu, à partir de l’Occident, depuis quatre siècles.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais on a été moderne avant ! Dans le bas-latin, dès le V<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, on utilisait le mot <i>modernus</i> pour caractériser l’attitude consistant à acter la disparition de la grande civilisation gréco-latine de l’Antiquité, et à assumer la période historique nouvelle qui se présentait alors.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On se rend compte que s’il faut dissocier <i>moderne</i> et <i>progrès</i>, il faut par contre associer <i>moderne</i> à <i>antique</i> (ou <i>ancien</i>). Mais comme à son antonyme. C’est ainsi que l’on parle de la « Querelle des Anciens et des Modernes » du milieu littéraire français de la fin du XVII<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’autre part il existe des progrès saufs de toute prétention moderniste. Ce sont toutes les formes de progrès qui s’appuient sur les acquis du passé.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Par exemple Pascal : « …toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. », <i>Préface sur Le Traité du vide</i> (1651)</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette conception du progrès de la connaissance est parfaitement antimoderne : elle ne s’oppose pas au passé, elle s’appuie sur lui.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Au fond, s’il faut découpler <i>moderne</i> et <i>progrès</i>, c’est parce que ces deux notions ne concernent pas la même modalité de la conscience humaine.</div><ul style="text-align: left;"><li>Le <i>progrès</i> implique d’abord la pensée théorique : il est toujours une certaine interprétation du cours l’histoire. </li><li>
<i>Moderne</i>, au contraire, qualifie une certaine manière de vivre dans le temps – déconsidérer le passé pour s’attacher au plus récent. </li></ul><div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-indent: 0in;"><b><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;">2</span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"><sup><span style="font-size: 11.2pt;">ème</span></sup></span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"> idée : Le Progrès qui caractérise notre modernité n’est pas si moderne que ça !</span></b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On appelle <i>modernité</i> l’époque historique qui commence au XVII<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, au sortir de la Renaissance, et qui a transformé la planète sous une avalanche d’innovations techniques, d’abord en Occident, puis sur l’ensemble des continents. C’est le temps du Progrès dont nous ne sommes pas sortis.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, on ne s’aperçoit généralement pas que cette période porte toute une ligne du progrès pour laquelle la prétention d’être moderne n’a pas de sens. Cette ligne avait été aperçue par Pascal, comme dans la citation ci-dessus. Elle est celle du progrès des sciences, non pas en tant qu’elles permettent d’inventer de nouvelles techniques, mais en tant qu’elles valent pour elles-mêmes, comme progrès de la raison dans l’humanité. À cette même ligne de progrès appartient aussi le mouvement culturel des Lumières au XVIII<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, avec pour débouché politique, dans ses dernières décennies, le renversement des hiérarchies sociales séculaires et l’accès à l’égalité citoyenne dans plusieurs pays occidentaux. La « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » de 1789, en France, ne saurait être qualifiée de moderne tant est prégnante sa référence à l’héritage grec. L’expression théorique la plus significative de cette pleine adhésion au Progrès initié par l’Occident, et qui pourtant exclut tout modernisme, est l’« <i><u>Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain</u></i> » rédigée par Condorcet en 1793 (dans les semaines qui ont précédé sa mort). En ce manifeste, un des plus beaux qui ait été écrit sur la confiance en la valeur de l’humanité, il n’y a pas une occurrence du mot « moderne » ou de ses dérivés !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi ce qui aimante la revendication d’être moderne, ce sont précisément les innovations techniques, ou plutôt la dynamique technoscientifique de multiplication indéfinie des innovations techniques. Comment comprendre cette aimantation ?</div>
<div style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-indent: 0in;"><b><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;">3</span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"><sup><span style="font-size: 11.2pt;">ème</span></sup></span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"> idée : Être moderne est un comportement réactif</span></b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est au sortir de la Renaissance que l’histoire de l’Occident s’est orientée vers le progrès technoscientifique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On peut faire débuter la Renaissance avec l’invention de l’imprimerie en 1454, et la clore avec le livre-manifeste <i>Novum organum</i> de Bacon en 1620 (cet ouvrage expose la méthode expérimentale de connaissance). Cette période de révolution culturelle a permis aux hommes de retrouver le sens de leur autonomie par rapport au divin. C’est ainsi qu’elle a été vécue comme une <i>renaissance</i> de l’homme à lui-même.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On peut appeler <i>humanisme</i> la nouvelle configuration de valeurs qui s’est alors imposée dans les cercles cultivés occidentaux. C’est l’idée que l’humanité doit d’abord s’occuper de sa propre valeur : « Pour les autres, leur nature définie est régie par des lois que nous avons prescrites ; toi, tu n'es limité par aucune barrière, c'est de ta propre volonté, dans le pouvoir de laquelle je t'ai placé, que tu détermineras ta nature. » écrit Pic de la Mirandole, en 1486, sous la fiction d’une adresse divine aux humains.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humanisme a pris, dans la seconde moitié du XVI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, plusieurs formes. Il y eut le panthéisme de Bruno, l’humanisme modeste, quasiment écologique, de Montaigne, l’humanisme technoscientifique de Galilée et aussi de Bacon, qui en a été le principal théoricien et propagandiste : « Le but (…) est l'expansion de l'Empire humain jusqu'à ce que nous réalisions tout ce qui est possible. Nous volerons comme les oiseaux et nous aurons des bateaux pour aller sous l'eau. » écrit-il dans <i>La nouvelle Atlantide</i> (1627).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est cette dernière forme d’humanisme qui s’est finalement imposée et a lancé la période de la <i>modernité</i> qui a bouleversé la planète, et dont nous sommes aujourd’hui tributaires. Pourquoi?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La thèse d’Hannah Arendt, dans <i><u>Le concept d’histoire</u></i> (in <i>Crise de la culture</i>,1989, p75), mérite notre intérêt :</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">« L'époque moderne a commencé quand l'homme, avec l'aide du télescope, tourna ses yeux corporels vers l'univers, sur lequel il avait spéculé pendant longtemps - voyant avec les yeux de l'esprit, écoutant avec les oreilles du cœur, et guidé par la lumière intérieure de la raison - et apprit que ses sens n'étaient pas ajustés à l'univers, que son expérience quotidienne, loin de pouvoir constituer le modèle de la réception de la vérité et de l'acquisition du savoir, était une source constante d'erreur et d'illusion. Après cette désillusion - dont l'énormité est pour nous difficile à saisir parce qu'il a fallu des siècles avant que son plein choc fût ressenti partout et non seulement dans le milieu plutôt restreint des savants et des philosophes - le soupçon commença à hanter de tous côtés l'homme moderne. Mais sa conséquence la plus immédiate fut l'essor spectaculaire de la science de la nature, qui pendant longtemps sembla être libérée par la découverte que nos sens ne disent pas la vérité. Désormais convaincue de l'incertitude de la sensation et par conséquent de l'insuffisance de la simple observation, les sciences de la nature se tournèrent vers l'expérience qui, en intervenant directement sur la nature, assura ce développement dont la progression a depuis lors semblé sans limites. »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce que pointe Arendt est une situation de grand désarroi créée en Occident suite à l’effondrement de sa vision du monde vieille de près de deux millénaires – un Cosmos parfaitement structuré avec Dieu (ou les dieux) tout en haut et la terre qui se nourrit d’excréments et de pourritures tout en bas, avec, sur cette Terre au centre du Cosmos, les humains qui, par leur privilège de verticalité, sont les seules créatures à pouvoir communiquer avec la divinité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En 1530 Copernic publie la démonstration ôtant à la Terre le privilège d’être au centre du Cosmos. Vers la fin du siècle, Bruno, par raisonnement, Galilée en s’appuyant sur les observations inédites apportées par son télescope, montrent que la Terre n’est qu’un astre mouvant parmi une infinité d’autres et qu’il y a toute vraisemblance que le Cosmos ne soit pas limité à la « sphère des fixes » (on appelait ainsi le ciel étoilé qui paraît être la limite du Cosmos faisant le tour de la Terre annuellement en restant inchangé), mais infini.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut ajouter à ce dynamitage du Cosmos :</div>
</div><div style="text-align: left;"><ul style="text-align: left;"><li>les grandes découvertes des navigateurs qui reconfigurent complètement la carte de la Terre, en mettant à jour des continents inconnus (Christophe Colomb débarque en Amérique en 1492) ;</li><li>
la Réforme protestante qui remet en cause l’autorité de la chrétienté romaine sur la vision du monde commune (la dissidence de Luther a lieu au début du XVI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup>).</li></ul></div><div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’homme cultivé occidental abordant le XVII<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle se trouve rejeté en un Univers en lequel il a perdu ses repères. Comme l’exprime Pascal : « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ! » (<i><u>Pensées</u></i>, 1656).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pendant plusieurs décennies la cléricature catholique fera barrage pour que les nouvelles connaissances cosmologiques n’atteignent pas la conscience populaire – Bruno est brûlé vif en 1600, et avec lui tous ses livres ; Galilée ne reste en vie, suite à son procès en 1633, qu’en abjurant les connaissances qu’il avait publiées. Mais, avec la diffusion de l’imprimé, le monopole de la maîtrise de l’écrit par une élite ne tient plus, et le nouveau savoir sur l’Univers infusera progressivement dans les populations.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Arendt nous fait comprendre que le modernisme issu de la Renaissance est une <i>réaction</i> à ces nouvelles connaissances apportées par le XVI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle occidental, qui bouleversent non seulement la vision du monde et la place qu’il réserve à l’humain, mais aussi l’approche que celui-ci doit avoir de ce monde pour le mieux connaître. Et la réaction consiste à se raccrocher à tout prix à ce qui est indiscutablement positif dans cette nouvelle connaissance – les innovations techniques qui augmentent son pouvoir sur l’environnement naturel – et à rejeter ce monde ancien par lequel on a été mis en défaut.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dire que, dans le contexte historique post-Renaissance, se vouloir moderne est un comportement réactif, c’est admettre qu’il vise essentiellement à une rectification du présent qui doit ainsi passer d’un état émotionnellement négatif à un état émotionnellement positif. Car c’est le propre de tout comportement réactif de ne pas voir plus loin que « le bout de son nez », c’est-à-dire, en l’occurrence, au-delà de son état affectif présent.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il s’ensuit que le temps de la modernité est un temps où les comportements tendent à l’escamotage de la perspective d’avenir dans leur propension à se vouloir modernes. C’est pourquoi la dynamique de la technoscience semble se développer hors de contrôle. Prise dans le vécu moderniste, elle est nécessairement aveugle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et nous savons aujourd’hui que cet aveuglement a mené la société dans une impasse dont le coût est exorbitant pour la biosphère, et qui pourrait être fatale à l’humanité. </div>
<div style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-indent: 0in;"><b><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;">4</span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"><sup><span style="font-size: 11.2pt;">ème</span></sup></span><span style="color: #2e74b5; font-family: Calibri Light; font-size: 14pt;"> idée : Nous n’avons jamais été aussi modernes !</span></b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous pouvons dire que nous sommes aujourd’hui, selon l’expression d’Hartmut Rosa, dans une « modernité tardive » (voir son livre <i><u>Aliénation et accélération</u></i> – <i>vers une théorie critique de la modernité tardive</i> – 2010).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cela signifie d’abord que cette société, désormais mondialisée, promeut toujours le modernisme. Ensuite cela prend en compte que, depuis le tournant du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, s’est révélé l’incapacité de la société à maîtriser les effets écocidaires de sa dynamique technoscientifique – il faut pointer en particulier l’échec de l’application de l’accord mondial de Kyoto de 1997 pour réglementer les rejets carbonés suite à une campagne de désinformation financée par des majors du secteur énergétique. L’humanité a dès lors perdu la possibilité de se projeter dans un avenir de progrès.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Notre moment historique actuel est donc inédit : c’est celui d’un modernisme sans le progrès (puisqu'il n'y a plus de but final en fonction duquel progresser). </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Rappelons qu’il y a eu pendant longtemps un progrès avec un accompagnement moderniste limité, en particulier dans la période des Lumières. C’est seulement dans la première moitié du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, à partir du moment où les grands bourgeois affairistes ont accaparé le pouvoir pour favoriser les affaires en développant les marchés, et donc en industrialisant massivement, que le modernisme a pris toute son ampleur.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La grande époque de la modernité a donc été les XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> et XX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècles. Pourtant ce modernisme restait tempéré par les aspirations populaires à un progressisme humaniste qui, particulièrement en prenant la forme de doctrines socialistes ou anarchistes, a alimenté des mesures de progrès social. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Avec le tournant de ce siècle, il y a eu la diffusion d’Internet, soit la communication instantanée mondialisée, suivie par sa prise de contrôle par le marché, de plus la communication marchande s’est goinfrée de la popularisation des terminaux individuels connectés pour accaparer comme jamais la conscience de chacun dans sa vie de veille. Si bien que disparaît progressivement cette respiration par la vie privée qui relâchait la pression mercatocratique (mercatocratie = régime social où le marché a le pouvoir souverain) pour le modernisme qui enjoint d’investir les dernières nouveautés en biens marchands.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Sans doute, n’a-t-on jamais eu des comportements aussi densément modernes, mondialement parlant, qu’aujourd’hui !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors que – ce qui rend notre <i>modernité tardive</i> si ébahissante – le modernisme ne s’est jamais montré aussi irrationnel !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est certain qu’une telle situation historique ne peut être que très instable…</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’issue positive existe. Elle a des principes très simples à appliquer : </div>
</div><div style="text-align: left;"><ul style="text-align: left;"><li> s’écarter des flux de communications frénétiques avec toujours, sinon des offres explicites, au moins des arrière-pensées de nourrir l’expansion du marché,</li><li>
se rencontrer pour échanger sur les possibles voies de progression vers un avenir plus humain.</li></ul></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-20133908490634164082023-05-03T10:30:00.018+02:002023-05-07T11:27:53.871+02:00Le tableau caché est-il beau ?<p> </p><table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgVffBZZBV4J3oK-2XcQ9wOhwL7j_Z_EhDfV9rhzPESEHyXyCxDOfCkd4OhxNkpNQQhpgNXYsx9aYiTR2rXaF6fkAY-3syyHIpIasHgJNGJgGJpba0aLAAV4N7ob0wtAwwdpeTiVpaWGr8WmzfM2wmM4mMucW2_WF-sAtC09e8uB6fkpi_2ng/s704/XVM9a1b00e8-ecd5-11e8-b0fd-f9ead81fd4e4.webp" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="396" data-original-width="704" height="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgVffBZZBV4J3oK-2XcQ9wOhwL7j_Z_EhDfV9rhzPESEHyXyCxDOfCkd4OhxNkpNQQhpgNXYsx9aYiTR2rXaF6fkAY-3syyHIpIasHgJNGJgGJpba0aLAAV4N7ob0wtAwwdpeTiVpaWGr8WmzfM2wmM4mMucW2_WF-sAtC09e8uB6fkpi_2ng/w320-h180/XVM9a1b00e8-ecd5-11e8-b0fd-f9ead81fd4e4.webp" title="Fresque récemment mise à jour à Pompei" width="320" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Fresque à Pompei<br /></td></tr></tbody></table><p></p>
<br />
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Les tableaux, comme toute œuvre d’art, ont une histoire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et les contingences de l’histoire ont pu maintenir cachées très longtemps des œuvres d’art.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Les fresques de Pompei ont attendu près de deux millénaires sous la lave du Vésuve avant de rejoindre le patrimoine culturel de l’humanité. Récemment on a découvert une peinture de Van Gogh qui dormait depuis un siècle dans la poussière d’un grenier.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Souvent ces découvertes marquent parce qu’elles sont une révélation esthétique – pour le dire simplement : elles sont jugées <i>belles</i>. C’est pourquoi on a de cesse de les mettre dans les meilleures conditions d’exposition et de conservation.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais ces <span style="font-family: Times New Roman;">œ</span>uvres étaient-elles belles pour ceux qui les ont créées ? Ou pour ceux qui les ont remisées dans un grenier ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La beauté d’une œuvre dépend-elle des circonstances de son histoire ? Et tout particulièrement de la sensibilité, de l’état d’esprit, de ceux qui la regardent. Ou bien reste-t-elle belle toujours, même soustraite à tous les regards – ou même à toute perception, car ce pourrait être une partition musicale – parce qu’elle a les caractères sensibles qui la font belle ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Remarquons d’abord que l’adjectif « caché » peut renvoyer à trois types de situations différentes :</div>
<p style="margin-left: 0.5in; text-indent: -0.25in;"><span style="font-family: Times New Roman;">a. </span>Le tableau m’est caché, tout simplement parce que je n’ai pas été, et ne suis pas, en situation de le voir, bien que j’en connaisse l’existence et que des personnes dignes de confiance l’aient vu, me disant qu’il était beau.</p>
<p style="margin-left: 0.5in; text-indent: -0.25in;">b. Le tableau est irrémédiablement soustrait à ma perception pour des raisons historiques, mais j’ai des témoignages qu’il est (ou était) beau.</p>
<p style="margin-left: 0.5in; text-indent: -0.25in;"><span style="font-family: Times New Roman;">c. </span> Le tableau dont nul ne peut témoigner l’avoir vu mais dont ont sait qu’il a existé, ou qu’il existe peut-être encore, et que tout indique qu’il aurait une valeur esthétique<span style="font-family: Times New Roman;">.</span></p>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 6pt; margin-left: 0in; margin-top: 7pt; text-indent: 0in;"><b>1.</b><span style="font-size: 14pt;"><b> Le jugement esthétique est-il objectif ?</b></span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans la première situation, il s’agit, au fond de savoir si le jugement esthétique d’un ami qui a vu le tableau peut-être aussi valable pour moi. Bien sûr<span style="font-family: Times New Roman;">,</span> il peut y avoir une description fidèle du tableau – « c’est une peinture à la manière d’un portrait qui présente un visage distordu, … » (pour un tableau de Francis Bacon). Certes, en un tel exemple le tableau n’est sans doute pas agréable à regarder. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir s’il est beau<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>; et le beau, entendu comme la valeur esthétique, n’a rien à voir avec l’agréable, lequel se juge selon la polarité plaisir / déplaisir associée à sa perception visuelle. Kant<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>: </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><blockquote>« Lorsqu'il s'agit de ce qui est agréable, chacun consent à ce que son jugement, qu'il fonde sur un sentiment personnel et en fonction duquel il affirme d'un objet qu'il lui plait, soit restreint à sa seule personne. (…) La couleur violette sera douce et aimable pour celui-ci, morte et éteinte pour celui-là. Celui-ci aime le son des instruments à vent, celui-là aime les instruments à corde. Ce serait folie que de discuter à ce propos. (…) Il en va tout autrement du beau. Il serait ridicule que quelqu'un, s'imaginant avoir du goût, songe en faire la preuve en déclarant : cet objet (l'édifice que nous voyons, le vêtement que porte celui-ci, le concert que nous entendons, le poème que l'on soumet à notre appréciation) est beau pour moi. Car il ne doit pas appeler beau, ce qui ne plaît qu'à lui. (…)<span style="font-family: Times New Roman;">.</span> C'est pourquoi il dit : la chose est belle et dans son jugement exprimant sa satisfaction, il exige l'adhésion des autres.<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>» <i>Critique de la faculté de juger</i>, 1790, §7.</blockquote></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi les deux assertions « Ce tableau me plaît ! » et « Ce tableau est beau ! » ne signifient pas du tout la même chose. La première n’intéresse que moi : elle est subjective ; la seconde se veut valable universellement : elle vise l’objectivité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C'est pourquoi le savoir d’un tableau qui m’est caché, mais dont mon ami m’a dit qu’il est beau, est une bonne nouvelle<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>: cette œuvre existe qui donne plus de valeur à l’humanité !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a une importante conséquence pratique de ce statut du beau : le jugement esthétique est désintéressé. Cela signifie que je n’ai pas besoin de posséder ce tableau pour ressentir pleinement la satisfaction liée à sa valeur esthétique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Un ami, assez fier d’être parvenu à un statut socialement valorisé, m’avait invité à une soirée chez lui. J’ai vite remarqué dans son salon un tableau que j’ai trouvé très beau, et je l’en ai félicité. Revenant chez lui en une autre occasion, je m’aperçois que le tableau a disparu. « Qu’en as-tu fait<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>?<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>» lui demandé-je. « Je m’en suis débarrassé. » m’a-t-il répondu, « Je vais mettre quelque chose de plus gai ! » La différence entre lui et moi, c’est que, pour lui, qui voulait agrémenter son salon, ce tableau n’a plus aucun intérêt, alors que pour moi, où qu’il soit, il reste un beau tableau.</div>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 6pt; margin-left: 0in; margin-top: 7pt; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 14pt;"><b>2. Pourquoi alors y a-t-il des controverses sur la beauté des œuvres ?</b></span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant, on a pu très souvent confondre le beau et l’agréable, ce qui est toujours revenu à faire du beau de l’agréable maximisé, comme avec l’écossais Hume<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>:</div>
<p style="margin-left: 0in; text-indent: 0in;"></p><blockquote>« On juge belles la plupart des œuvres d'art en proportion de leur adaptation à l'usage de l'homme, et même beaucoup des productions de la nature tirent leur beauté de cette source. Dans la plupart des cas, élégant et beau ne sont pas des qualités absolues mais relatives, et ne nous plaisent par rien d'autre que leur tendance à produire une fin qui est agréable<span style="font-family: Times New Roman;">. </span>» <i>Essais esthétiques</i>, 1757.</blockquote><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a pourtant une circonstance atténuante à cette confusion : si le jugement esthétique « exige l’adhésion des autres » (Kant), il ne peut pas justifier cette prétention à l’universalité – ce que Kant exprime ainsi : « On ne peut pas indiquer une règle d’après laquelle quelqu’un pourrait être obligé de reconnaître la beauté d’une chose » (<i>ibid.</i> §8).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir essayé !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Par exemple chez les Grecs anciens, on voulait que la règle de la beauté soit, pour la peinture ou la sculpture, dans la fidélité au modèle qu’est la nature. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De ce point de vue on considérait que la beauté est dans l’harmonie des figures, en particulier dans la bonne proportion d’une forme – par exemple celle d’un temple – en ce qu’elle respecte le <i>nombre d’or</i><span style="font-family: Times New Roman;"> </span>: le rapport de la somme de la longueur (L) et de la largeur (l), avec (L>l)<span style="font-family: Times New Roman;">, </span>est tel que (L+l)/L = L/l <span style="font-family: Times New Roman;">≈</span> 1,618.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais l’expérience montre que le jugement de beau déborde constamment de telles règles. Des icônes religieuses peuvent être très belles, alors qu’elles ne représentent pas une réalité naturelle ; les statues de Giacometti sont belles dans leur disproportion même.<br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’ailleurs, contrairement à la thèse de Platon, qui considérait que l’œuvre d’art ne pouvait être qu'une <i>imitation</i> de la nature forcément toujours inférieure à son modèle, il faut penser l’œuvre d’art comme une <i>création</i> humaine, laquelle peut s’appuyer, ou non, sur les formes naturelles, mais ne saurait s’y réduire. Parce que s’y investit toujours l’esprit humain en tant qu’il est capable de prendre du recul par rapport au donné naturel.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est en ce sens qu’il faut considérer les œuvres humaines comme supérieures aux manifestations naturelles. Et cela inclut aussi bien les œuvres techniques : dans la navigation à voile, l’homme obtient du vent des effets qui vont bien au-delà de ses effets naturels – ils lui ont permis de faire le tour de la Terre. </div>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 6pt; margin-left: 0in; margin-top: 7pt; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 14pt;"><b>3. Qu’est-ce qui est visé dans le jugement esthétique ?</b></span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cela signifie que ce n’est pas un retour à la nature qui est en jeu dans le jugement du beau.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si ce n’est ni le plaisir du sujet (l’agréable), ni le retour à la nature, qu’est-ce qui est visé par la recherche universelle du beau ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est certain que le petit enfant, dès 3-4 ans, perçoit chez les adultes une valeur essentielle dans l’usage du mot « beau », puisqu’il n’a de cesse d’interroger, à l’occasion de maintes expériences visuelles : « Est-ce que c’est beau ? »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut considérer que le beau est une valeur absolue. Non seulement elle revendique de s’imposer à tous les humains, mais elle porte à conserver les œuvres, dans leur intégrité, de façon pérenne (par exemple dans les musées), comme si on les voulait transmissibles perpétuellement aux générations futures.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi Kant parle, à propos d’une œuvre belle d’une « finalité sans fin » (<i>ibid.</i> §10). Cette formulation signifie que l'on reconnaît que cette œuvre vaut comme un but en soi, quoiqu'on ne saurait dire en quoi consiste ce but, et donc expliquer la satisfaction universelle qu’apporte ce but que l’œuvre incarne.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Va-t-on s’en tenir à cette impuissance ? Pour aller plus loin, examinons notre rapport à la beauté d’œuvres que nous n’avons jamais contemplées, que nous ne contemplerons peut-être jamais, mais dont nous savons qu’elles ont été reconnues comme belles par d’autres humains.</div>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 6pt; margin-left: 0in; margin-top: 7pt; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 14pt;"><b>4. Pourquoi sommes-nous attachés aux œuvres d’art que nous ne connaissons pas ? </b></span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine, on apprend qu’un certain nombre de musées ont été bombardés, et que des nombreuses œuvres d’art qui y étaient entreposées ont été détruites<span style="font-family: Times New Roman;">.</span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour nous, qui n’avons pas eu l’occasion de visiter l’Ukraine, ces œuvres sont restées cachées et le resteront à jamais. Pourtant nous nous surprenons d’être attristés par la perte de ces œuvres que nous ne connaissons pas, peut-être aussi fortement que par le décompte des morts et des blessés de ces dramatiques événements, mais pas de la même manière.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tout se passe comme si ces œuvres irrémédiablement cachées étaient belles. Non pas en tant que nous en avons une représentation – nous ne savons quelquefois rien d’elles. Mais comme si le simple fait d’avoir pris soin de ces œuvres pour en préserver l’intégrité et la transmission aux générations futures nous faisait signe de quelque chose sur la valeur de l’humanité. Leur perte serait comme autant de promesses sur ce que peut l’humanité qui nous échapperaient<span style="font-family: Times New Roman;">.</span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dès lors, il faut plutôt considérer l’œuvre d’art consacrée et conservée pour sa valeur esthétique comme le signe qui porte une signification infiniment riche puisqu’elle nous dit quelque chose sur le bien dont est capable l’humanité. Mais cette signification ne peut pas se décliner avec des mots<span style="font-family: Times New Roman;">,</span> elle ne peut que se déployer au moyen de l’imaginaire du potentiel spectateur, lequel s’appuie pour cela sur les perceptions sensibles que lui délivre l’œuvre. N’est-ce pas exactement cela que l’on nomme <i>contempler </i>?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, un signe qui délivre une signification qui ne peut s’adresser qu’à l’imaginaire car elle déborde tout discours possible s’appelle un <i>symbole</i>. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est ainsi que Kant en vient à écrire : « Le beau est le symbole du bien moral » (<i>ibid.</i> §59)</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oublions l’adjectif « moral » utilisé par Kant et qui renvoie à sa doctrine morale qui, pour lui<span style="font-family: Times New Roman;">,</span> est le sommet de la spiritualité humaine, mais dont on sait qu’elle est critiquable par son trop strict formalisme<span style="font-family: Times New Roman;"><sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a name="_footnoteref1"></a><a href="#_footnote1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-family: Times New Roman;"><sup><span style="font-size: 9.6pt;"></span></sup></span>. Entendons la formule ainsi : « Le beau est le symbole du Bien » – le mot <i>Bien</i> renvoyant au but final qui seul peut donner sens à l’histoire humaine<span style="font-family: Times New Roman;">.</span>
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On comprend alors la tristesse commune lorsqu’on apprend la destruction des œuvres d’art<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>: ce sont des points d’appui pour notre confiance en l’humanité<span style="font-family: Times New Roman;">,</span> en son avenir, que l’on perd. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On le comprendra encore mieux si l’on fait intervenir la notion de <i>monde</i> avec Hannah Arendt<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>qui écrit :</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><blockquote>« La vie humaine comme telle requiert un monde dans l'exacte mesure où elle a besoin d'une maison sur la terre pour la durée de son séjour ici.<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>» <i>La crise de la culture</i>, 1961<span style="font-family: Times New Roman;">.</span></blockquote><span style="font-family: Times New Roman;"></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En effet l’humanité se caractérise, entre toutes les espèces, par son absence de biotope dédié. Autrement dit, les humains n’ont pas une configuration environnementale qui leur serait physiologiquement adaptée, et en laquelle ils pourraient vivre harmonieusement, comme la taupe dans la terre champêtre ou l’oiseau dans la ramure. Ils ne savent trop où se mettre pour vivre sur la Terre, c’est bien pourquoi, ils se mettent un peu partout. Car leur véritable habitation, ils se la créent eux-mêmes, par leur culture, et c’est le <i>monde</i>. Seul l'individu humain habite le monde. Les mots du langage sont comme les briques qui constituent le monde, par lequel la Terre est rendue habitable aux humains. Mais nous dit Hannah Arendt dans le même texte : </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><blockquote>« Du point de vue de la durée pure, les œuvres d'art sont clairement supérieures à toutes les autres choses<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>; comme elles durent plus longtemps au monde que n'importe quoi d'autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n'avoir aucune fonction dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations.<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>»</blockquote></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Les œuvres d’art, en ce que leur valeur esthétique est reconnue au long des générations – les Vénus de pierre polie retrouvées dans les grottes où elles attendaient de nouveaux regards depuis des dizaines de milliers d’années, les scénettes linéaires dessinées sur les murs par les <span style="font-family: Times New Roman;">É</span>gyptiens datant de plusieurs millénaires, la statuaire grecque antique, etc. – en fin de compte tout ce qui mérite d’être préservé indéfiniment comme beau, constituent les fondations les plus durables de ce monde commun qu’habite l’humanité. C’est en ce sens qu’ils sont les principaux points d’appui pour orienter son histoire vers la réalisation d’un Bien commun.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi les œuvres d’art attestées, quoique pouvant nous demeurer irrémédiablement cachées, sont belles du fait simplement qu’elles existent.</div>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 6pt; margin-left: 0in; margin-top: 7pt; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 14pt;"><b>5. Qu’en est-il d’un tableau dont personne ne pourrait témoigner l’avoir vu ?</b></span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce serait un tableau dont on aurait simplement le témoignage de l’existence par des documents historiques, et dont le contexte de la mention rendrait possible qu’il ait une valeur esthétique. Par exemple telle œuvre d’un Giorgione citée dans un document historique et considérée comme perdue.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais est-ce une situation essentiellement différente de celle qui a été examinée précédemment ? Nous l’avons vu, ce sont les mots de la langue qui constituent le monde. Cette table n’a aucune consistance tant que je ne l’ai pas nommée, car sensitivement, elle est constamment changeante, suivant les caractères de la vision de celui qui la voit, le point de vue qu’il a sur elle, la lumière qui l’éclaire, les objets qui y sont disposés, etc. C’est à partir du moment où je dis « c’est la table de mon salon » qu’elle devient une chose identifiable de la même manière par tout le monde, et donc qu’elle fait partie du monde.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il en est de même pour le tableau désormais caché à tous. <span style="font-family: Times New Roman;">À</span> partir du moment où il est établi qu’un tableau avait été peint par Giorgione pour la salle d'audience du palais des Doges à Venise, et dont on a perdu la trace, cela suffit pour qu’il ait une place dans notre monde humain et qu’il contribue à le valoriser.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, bien que personne ne sache rien de ce qu’il présentait en son cadre, ce tableau est beau, simplement par le savoir qu’il a existé (au moins, car le dire perdu n’exclut pas qu’il existe encore).</div>
<p style="text-align: center;">* * *<br /></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oui, le tableau caché est beau<span style="font-family: Times New Roman;"> </span>!</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Même si on ne l’a pas vu soi-même, car la beauté se veut universelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Même si on ne pourra jamais le voir, car l’existence même du tableau renforce la confiance en notre capacité collective d’aller vers un Bien commun.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Même si nul ne l’a vu, car la simple désignation de son existence dans le langage contribue à renforcer le monde que nous habitons en tant qu’humanité, et sur lequel nous devons nous appuyer pour croire en notre avenir.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le tableau caché est beau parce que la valeur qui est visée par l'adjectif dépasse infiniment l'expérience sensible qui en est l'occasion. <br /></div>
<p style="margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Times New Roman;"> </span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">
<hr align="left" size="1" width="33%" /><p id="_footnote1" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Times New Roman; font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-family: Times New Roman; font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Par exemple réfléchissons à l’applicabilité de la règle : « on ne doit </span><span style="font-size: 10pt;"><i>jamais</i></span><span style="font-size: 10pt;"> mentir ! »</span></p></div>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-27194538513862573252023-01-17T11:44:00.001+01:002023-02-13T04:08:48.447+01:00L’humanisme est-il dépassé ?<br /><br /><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgcr2ajf1AjhrCRh_UEcdys0g0Omhzy3hwj5oa-XkZ2uZGymF_w9s0fNm2NEPAzClDMKG9jfaOaNJg3MacDiCDi3LpsMgIbRwPV5GRv__vCI7Fww0ab6c9IDDd-I1lwcEWgG1Fc1K6j2uZDhXhFGG3euIKZkfgo8NXc7tu6dR4lfFzKRUBv_w/s449/Da_Vinci_Vitruve_Luc_Viatour.jpg.webp" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 2em;"><img border="0" data-original-height="449" data-original-width="330" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgcr2ajf1AjhrCRh_UEcdys0g0Omhzy3hwj5oa-XkZ2uZGymF_w9s0fNm2NEPAzClDMKG9jfaOaNJg3MacDiCDi3LpsMgIbRwPV5GRv__vCI7Fww0ab6c9IDDd-I1lwcEWgG1Fc1K6j2uZDhXhFGG3euIKZkfgo8NXc7tu6dR4lfFzKRUBv_w/s320/Da_Vinci_Vitruve_Luc_Viatour.jpg.webp" width="235" /></a></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humain se
trouve aujourd’hui dotés de pouvoirs potentiels
vertigineux, dont il n’avait jamais eu l’idée auparavant, ne serait-ce
que rêvée : la puissance de calcul des ordinateurs, la rapidité et
la facilité de la communication numérique, l’intelligence artificielle,
la réparabilité de son organisme, la maîtrise du génome du vivant,
l’ouverture à une aventure spatiale qui semble illimitée.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, par
ailleurs, l’humain apparaît totalement impuissant à
maîtriser la dégradation accélérée de la biosphère – cette mince
pellicule d’efflorescence du vivant à la surface de la planète Terre –
dont il est inévitablement dépendant pour l’entretien et la
reproduction de sa vie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Doit-il toujours
se considérer comme la valeur principale en
fonction de laquelle, il doit orienter ses comportements – ce qui est
une définition minimale de l’humanisme ? Ou doit-il viser au-delà
de lui-même, du côté de cette biosphère qui a un pressant besoin d’être
régénérée ? Ou bien du côté opposé, celui d’une surenchère
d’artifices techniques qui lui permettrait, quitte à dévoyer son
humanité, de garder la main sur son devenir malgré la détérioration de
son environnement naturel ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humanisme
est-il encore pertinent ? Est-il déjà dépassé ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour répondre à
cette question, il faut d’abord éclairer cette
notion d’humanisme. Pour le moment on sait qu’elle consiste à donner la
plus grande valeur à l’humain. Quel serait cette valeur propre à
l’humain qui mériterait qu’on en fasse le guide ultime de notre
comportement ?</div>
<div> </div>
<h3 style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-align: left; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Arial; font-size: 14pt;">Une
tromperie sur l’humanisme</span>
</h3>
<div> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On trouve très
souvent, comme clé de compréhension de l’humanisme,
la référence à la citation du Sophiste Protagoras, transmise par Platon
(<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Humanisme" target="_blank">par exemple Wikipedia</a>) :
« <i>L'homme est la mesure de toute chose</i> ». Cette
formule semble en effet affirmer que tout ce qui est n’existe qu’en
fonction l’humanité ; et donc que l’humain est bien la valeur
essentielle. Mais il faut regarder à la justification. Protagoras
précise ainsi sa proposition : « … <i>chacun de nous est la
mesure de ce qui est et de ce qui n'est pas, (…) un homme diffère
infiniment d'un autre précisément en ce que les choses sont et
paraissent autres à celui-ci, et autres à celui-là.</i> » (Platon, <i><u>Théétète</u></i>
166d)</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a ici une
vision du monde très simple : <b>toute la
réalité est dans l’apparence</b>. Il n’y a pas d’être stable caché
derrière la multiplicité des apparences. Et comme les apparences sont
ce qu’il y a de plus variable, les choses sont toujours différentes,
non seulement entre l’espèce humaine et les autres espèces, mais aussi
entre chaque homme, et même entre chaque perception d’un même homme.
C’est là faire reposer toute connaissance sur les sensations ; on
appelle cette doctrine le sensualisme. Mais dès lors tout est relatif
puisque nos sensations ne sont jamais les mêmes. Protagoras, il y a
déjà vingt-cinq siècles, tirait toutes les conséquences de ce
sensualisme. Il ne saurait y avoir de vérité partagée, et encore moins
universelle. <b>À chacun sa vérité changeante</b>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors, en
conséquence, chacun ne peut être qu’amené à faire valoir
la vérité qui l’arrange. Tel est l’« humanisme » tiré de la
sophistique qu’ont développé des penseurs dès la fin du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> : est vrai ce qui m’est
avantageux. C’est ainsi que Nietzsche, en réalité le plus influent
discoureur antihumaniste de notre temps, mettait au cœur de son
anthropologie « la volonté de puissance », ce qui l’amenait à
considérer que le vrai, pour chacun, est ce qui le rend plus fort. On
peut considérer Nietzsche comme le principal promoteur d’une
néo-sophistique propre à notre époque. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce
pseudo-humanisme se retrouve en faveur aujourd’hui parce qu’il
est en harmonie avec la vision du monde promue par la société
industrialo-marchande. L’essentiel dans la vie serait de réussir. Est
donc vraie toute proposition qui concourt à ma réussite. Et la réussite
se mesure à sa capacité de collecter des sensations bonnes,
essentiellement par la consommation ; et cette capacité est gagnée
en accumulant de la capacité financière – du « fric » !
C’est la version contemporaine de la formule sophiste « Est vrai
ce qui m’est avantageux. »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant dans ces
frénésies de consommation (comme lors de
l’ouverture des soldes), nous sentons-nous dans une atmosphère
d’humanisme ? Ou plutôt de bestialité ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si l’on accepte
cette primauté de l’expérience sensible, ne faut-il
pas admettre que les Sophistes ont raison ? Que
l’« homme-mesure-de-toutes-choses » exprime l’anthropologie
juste ? Mais on voit tout de suite le paradoxe : que peuvent valoir des
propositions comme «<i> Les Sophistes ont raison</i> », «<i> Toutes nos
connaissances reposent sur l’expérience sensible</i> » ou «<i> L'homme
est la mesure de toutes choses</i> » dans le contexte d’une pensée qui
exclut toute vérité universelle ? Socrate a beau jeu de répondre (par
la plume de Platon) : « <i>Protagoras (…) admettant comme il le fait
que l'opinion de chacun est vraie, doit reconnaître la vérité de ce que
croient ses opposants de sa propre croyance lorsqu'ils pensent qu'elle
est fausse</i> » (Platon, <i><u>Théétète </u></i>170a). Car s’il n’y
a pas de vérité absolue, il n’y a que des opinions relatives.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais dès lors, le
langage perd sa capacité de nous parler d’un monde
partagé, il est disqualifié dans sa fonction essentielle qui est de
désignation. On est toujours ébahi et désolé lorsqu’on entend des
interlocuteurs, souvent imbus de philosophie contemporaine, nous
affirmer, très fiers de leur audace, que « <i>La vérité, ça n’existe
pas !</i> ». Il est sûr qu’il n’y a là plus rien à débattre, on eût
simplement aimé, pour eux, qu’ils se soient tus. Au fond, la doctrine
des Sophistes tue le langage. Or, il faut admettre que le langage
humain, qui n’a rien de naturel puisqu’il n’a été rendu possible que
par le détournement de fonctions naturelles, est la plus belle création
de l’humanité. Et pourquoi ? Parce qu’elle donne ce monde commun
hors duquel les hommes ne pourraient jamais s’accorder.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi le
discrédit du langage, tel que l’implique la
sophistique, nous met en risque d’une violence généralisée dans la vie
sociale. Puisqu’il n’y a pas de vérité sur laquelle on peut se mette
d’accord, il n’y a plus qu’à faire triompher la vérité qui nous
arrange, et donc à vaincre dans l’affrontement des intérêts
particuliers – les trumpistes qui déboulent sur le Capitole, ou les
Bolsonaristes à Brasilia. Cette tendance aux fake news, cette
apparition de la « post-vérité », sont dans la logique du
développement d’une nouvelle sophistique, proprement contemporaine,
consubstantielle à la société fondée sur la prospérité de la
marchandise par la compétition généralisée pour la puissance de
consommer – ce que l’on peut appeler une société mercatocratique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La phrase de
Protagoras – « L’homme est la mesure de toutes
choses » – ne se réfère pas à un humanisme, quoique nos dirigeants
au service de la croissance économique aimeraient nous le faire croire,
mais à son contraire, à un bestialisme.</div>
<div> </div>
<h3 style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-align: left; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Arial; font-size: 14pt;">À
la recherche d’un humanisme contemporain</span>
</h3>
<div> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Y a-t-il encore
un espace pour valoriser l’humanité en ses qualités
propres dans le champ idéologique aujourd’hui ? En effet un tel
espace semble être de plus en plus envahi par des idéologies qui
récusent qu’une valeur privilégiée soit reconnue à l’humain.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’un côté, le
transhumanisme prétend régler tous les problèmes
humains par le développement de domaines scientifiques récents dont les
potentialités apparaissent à certains illimitées – nanotechnologies,
biotechnologies, informatique, intelligence artificielle et sciences
cognitives. L’idée est que les techniques que l’ont pourrait tirer de
ces sciences permettraient d’exonérer les humains des limites liées
depuis toujours à la condition humaine, en particulier la mortalité de
l’individu au bout de quelque décennies – c’est ce qu’on appelle le
passage au « post-humain » !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De l’autre côté,
celui de l’écologisme, se popularise de plus en
plus l’idée que l’espèce humaine doit reconnaître qu’elle n’est qu’une
espèce vivante parmi d’innombrables autres, et qu’elle n’a aucune
légitimité à s’attribuer une valeur prioritaire par laquelle elle
s’autoriserait à asservir comme simple moyen, ou à supprimer, toute
autre espèce.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cet assèchement
du champ de l’humanisme par deux points de fuite
opposés est un phénomène récent ! Encore dans la dernière décennie
du XX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle, la
croyance en la valeur de l’homme allait de soi. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Elle avait deux
piliers : un pilier qui s’était constitué en
Occident, au sortir de la Renaissance, et qu’on peut appeler <b>l’humanisme
moderniste</b>. Appuyé sur la raison humaine, se nourrissant du
développement conjugué des sciences et des techniques, cet humanisme
donnait pour sens à l’aventure humaine celui d’un <b>progrès</b>
indéfini dans l’histoire, réalisé pour les hommes, par les hommes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais il a été
douché froid, très très froid, par la mise en échec
délibérée, par des entreprises majeures du secteur énergétique, de la
politique internationale pour enrayer l’amorce d’un dérèglement
climatique par l’excès d’émissions carbonées dû aux activités humaines,
au tournant des années 2000 (échec de la mise en œuvre de la Convention
internationale de Kyoto de 1997).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’autre pilier,
était ce qu’on pourrait appeler l’<b>Humanisme «
droit-de-l’hommiste »</b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il a son origine
dans la reconnaissance politique, au XVIII<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup>, de l’égalité de valeur des
humains libres et rationnels par la <i>Déclaration d'indépendance des
États-Unis</i> (1776) et la <i>Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen</i> par l’Assemblée constituante française de 1789. Il a semblé
en voie de destruction par les totalitarismes du XX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup>. Mais il a été rétabli avec
la plus grande fermeté à la Libération par la <i>Déclaration
universelle des droits de l'Homme</i> de l’ONU (1948) et réitéré plus
récemment dans la <i>Charte des droits fondamentaux de l'Union
Européenne</i> (2000). Il s’est en tout cas montré assez solide pour
permettre la libération des peuples d’Europe de l’Est du totalitarisme
soviétique à la fin des années 80. Mais il est constamment mis à mal
depuis le début de ce siècle : attentats du 11 septembre et
terrorisme islamiste, échec des mouvements de libération arabes de
2011 ; montée en puissance des autocraties nationalistes ;
démocraties très anciennes malmenées par des factions populistes,
guerres, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il reste que nous
sommes dans une société qui préserve la
possibilité de discuter librement des valeurs en fonction desquelles
nous voulons vivre. Qu’est-ce qui freine aujourd’hui notre capacité à
concevoir un humanisme adapté à notre condition présente, c’est-à-dire
en cherchant une voie pleinement humaine entre les mirages
transhumanistes, et les impuissances écologistes ?</div>
<div> </div>
<h3 style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-align: left; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Arial; font-size: 14pt;">Le
formatage mercatocratique des consciences</span>
</h3>
<div> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humanisme est
une idéologie au sens où il porte une vision du
monde qui vise à s’imposer dans la société pour en orienter le cours.
Rappelons qu’une idéologie n’est pas de la manipulation lorsqu’elle est
réfléchie et adoptée consciemment. Un humanisme adapté à notre monde
doit donc avoir la puissance de s’imposer largement dans la société.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si la vision du
monde néo-sophistique a fini par s’imposer pour le
plus grand nombre comme allant de soi, c’est dans la mesure où, par
intention délibérée du pouvoir social, elle est massivement diffusée de
manière manipulatoire à travers un mode de communication de masse. La
manipulation consiste à inonder de messages de propagande (commerciale
ou autre) qui privilégient des modes de comportements comme allant de
soi. Avec pour résultat que s’impose subrepticement une vision du monde
néo-sophistique qui imprime dans la conscience certaines valeurs, en
excluant d’autres. Ce qui se traduit concrètement par une <i>normalité
</i>suivant laquelle il est consensuel de choisir certains
comportements plutôt que d’autres.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or une telle
vision du monde, qui vise à cantonner chaque être
humain dans le statut de travailleur-consommateur qui ne voit pas plus
loin que la perspective de sa prochaine consommation, promeut en
réalité une figure de l’humanité déclassée, en ce qu’elle privilégie en
chacun ce qui l’infantilise : la compétition pour
l’accaparement des biens, et le sens de la vie dans l’accumulation des
plaisirs de consommation.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi la valeur
de l’humain est de tous côtés remise en cause. Au
présent, l’humain étouffe dans les ronciers de la société de
consommation. Alors que son horizon d’avenir est obstrué à la fois par
les mirages du transhumanisme, et par l’auto-dépréciation propre à la
pensée écologiste dominante.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La flamme de la
croyance de l’humanité en sa propre valeur se
serait-elle éteinte en cette troisième décennie du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle ?</div>
<div> </div>
<h3 style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-align: left; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Arial; font-size: 14pt;">Résilience
de l’humanisme</span>
</h3>
<div> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Bien sûr que
non !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il ne faut pas
prendre la teneur des discours omniprésents dans les
médias dominants et l’espace public pour la pensée des gens. Cela peut
mieux se dire : il ne faut pas confondre l’opinion publique avec
la conscience collective.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous savons
comment se façonne l’opinion publique. D’abord par la
réitération massive de messages simples dans la société de manière à ce
que leur omniprésence leur donne la légitimité de l’évidence. Ensuite
par la technique du sondage d’opinion qui consiste à isoler l’individu
sondé face au sondeur, lequel déroule une série de questions fermées
(quelques réponses possibles seulement, le plus souvent deux :
oui/non) auxquelles il est sommé de répondre instantanément, sur des
sujets qui, tous, donnent matière à réflexion, et pour lesquels, ne
pouvant réfléchir de façon nuancée, il a tendance à donner la réponse
la plus facile : la réponse conforme. Mais réunissez quelques
citoyens, et donnez-leur les conditions pour réfléchir posément :
ils ne répondront plus du tout de la même manière – ce qu’a bien
illustré la « Convention citoyenne sur le climat » de 2019.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’ailleurs, cet
humanisme implicite de la société se remarque de
mille manières – sa répugnance à jeter des objets qui expriment un haut
degré d’investissement humain, son souci des manières de civilités et
en particulier des mots de politesse, son malaise face à la diffusion
débridée de la pornographie, son attachement à conserver et transmettre
les belles œuvres, son empathie et aide spontanée pour les personnes en
situation de vulnérabilité (et, si ce n’est le cas, la mauvaise
conscience), etc. George Orwell avait thématisé cet humanisme populaire
avec la notion de « common decency » qu’on peut traduire par
« bienséance commune », et qui signifie que les milieux
populaires, en sens contraire des tendances du monde marchand, restent
attachés à des principes de comportement qui entretiennent le respect
et la confiance en la personne humaine : savoir se rendre des
services, anticiper les problèmes du voisin plus vulnérable, partager
plutôt que jeter, etc. Nous voulons dire que, même si cela est
soigneusement escamoté, la sagesse est du côté des gens, des gens de
peu, et pas du tout du côté des puissants. Et quand nous parlons de
sagesse, nous nous référons aussi aux « humanités », ces
retrouvailles avec les textes antiques, au XV<sup><span style="font-size: 9.6pt;">e</span></sup> siècle à Florence qui
mettaient en valeur la capacité de comportement raisonnable des hommes
– je pense en particulier aux philosophies très populaires dans
l’époque pré-chrétienne que furent les doctrines, cynique, stoïcienne
et épicurienne.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Une occurrence
récente a fait réapparaître de manière saisissante
cet humanisme populaire dans la vie sociale. C’est l’épisode du
confinement strict du printemps 2020. Spontanément les gens ont
manifesté (tous les soirs aux fenêtres et balcons) leur solidarité avec
les soignants au front de la lutte contre l’épidémie. Cette solidarité
s’étendait aussi aux mobilisés indispensables de la seconde ligne,
comme les employés de magasins vivriers ou les agents mobilisés pour la
sécurité, etc. Cet humanisme spontané se retrouvait également dans les
offres de créations sur internet, par des artistes, insouciantes des
questions de contrats ou de droits, et par leur partage. On a même
largement exprimé collectivement cette aspiration humaniste en se
retrouvant et échangeant de toutes parts autour de la question sur ce
que pourrait être le monde d’après ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">A été mise au
jour lors du confinement de 2020 une société généreuse
et fraternelle. Sa possibilité ne sera pas oubliée. Nous avons
désormais que nous avons une base collective pour penser un avenir qui
nous permettrait de valoriser notre humanité.</div>
<div> </div>
<h3 style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; margin-top: 2pt; text-align: left; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Arial; font-size: 14pt;">Possibilité
humaniste d’investir l’avenir</span>
</h3>
<div> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cet humanisme
dont nous avons vu la floraison surprenante lors du
confinement – toute une population qui applaudit tous les soirs la part
d’elle-même qui se bat, dans le risque, pour le bien commun –
interprété au plus près du vécu, est l’affirmation d’une <b>confiance,
malgré tout, en la valeur de l’humain.</b></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Elle<b> </b>implique
que, quels que soient les errements de ses
comportements, il y a, en tout homme, une constante, une qualité qui
lui est propre et qui n’est relative, ni à l’époque où il vit, ni à
l’espace qu’il habite, ni à la culture à laquelle il appartient.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Quelle serait
cette qualité ? Dire que c’est la possession de la
raison, comme on le faisait volontiers dans l’Antiquité, n’est pas
suffisant car la raison est présente, et d’innombrables façons, dans le
donné naturel (trajectoire parabolique du projectile, cellule
hexagonale de l’abeille, structure fractale du chou-fleur, etc.) La
première formulation claire de cette qualité constante et exclusive de
l’humanité semble bien être due à Brunetto Latini, penseur et homme
politique florentin, dans son <i>Livre des Trésors</i> (vers 1265) : «
<i>Toutes terres sont pays à l’homme, ainsi que la mer l’est aux
poissons.</i> <i>Où que j’aille, je serai en la mienne terre, puisque
nulle terre ne m'est exil, ni pays étranger ; car bien-être appartient
à l'homme, non pas au lieu.</i> »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La valeur propre
de l’humanité est dans le fait qu’elle est la seule
espèce vivante à pouvoir librement choisir ses valeurs finales.
Autrement dit, le bien (« bien-être ») lui appartient. Alors que les
autres espèces vivantes ont leur bien qui est déterminé, de
l’extérieur, au moyen de comportements instinctifs, par le biotope («
lieu ») pour lequel elles sont conformées (le crocodile a besoin d’un
plan d’eau et le bovin d’étendues herbeuses) et en lequel, seul, elles
peuvent s’épanouir. C’est pourquoi les humains habitent la Terre en des
sites si différents et de manières si variées. C’est pourquoi lorsque
des individus ou des peuples se découvrent pour la première fois, ils
se font signe de la valeur de leur humanité dans ce souci du bien en
échangeant saluts et cadeaux. C’est pourquoi ne peut se trouver que
dans l’espèce homo sapiens l’individu qui s’obligera à faire une grève
de la faim, même jusqu’à la mort, pour le bien par lequel il donne sens
à sa vie. C’est pourquoi nous sommes si attachés à créer, à conserver,
à transmettre, ces œuvres que nous qualifions de <b>belles</b> parce
qu’elles symbolisent, chacune à leur manière, cette visée du Bien qui
est l’apanage de notre espèce.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Admettre cette
liberté de ses valeurs finales, c’est reconnaître en
l’homme une valeur qui ne saurait être subordonnée à quelque autre –
une valeur absolue donc. C’est être humaniste !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, reconnaître
cet humanisme, c’est se redonner, du même coup un
avenir. Puisque nous en avons la liberté, il nous est possible de
choisir une autre fin que celle, dégradante, promue comme une évidence
par la néo-sophistique marchande qu’est la recherche du plus de
plaisir possible dans le moindre délai.<br /><br /></div>
<div style="text-align: center;"><span style="font-family: Liberation Serif;">* * *<br /></span></div><div><span style="font-family: Liberation Serif;"><br /></span>
</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’humanisme
est-il dépassé ? Non ! Mais il vrai qu’il est
largement recouvert par le jacassement bruyant et continu émanant des
pouvoirs marchands.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or nous
pressentons que la situation d’impasse en laquelle se trouve
aujourd’hui l’humanité, qui conjugue une crise écologique planétaire
avec une situation d’injustices sociales à la limite de la rupture, est
liée au fait que ce sont les comportements d’inhumanité qui sont
privilégiés par l’organisation sociale mercatocratique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Si bien que la
conclusion s’impose que c’est seulement en redonnant
à l’humanisme sont droit de cité que l’humanité sortira du
catastrophisme ambiant pour retrouver des perspectives d’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cet humanisme
sera nécessairement renouvelé : il ne saurait
s’en tenir au progrès de la modernité, ni aux droits de l’homme des
Lumières. Tout simplement parce qu’il aura pris conscience qu’il doit
surmonter à la fois l’orgueil de l’espèce – croire que l’humanité
puisse simplement instrumentaliser son environnement naturel – comme la
prétention individualiste – croire que la solution soit pour chacun
dans l’amour de soi. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cet humanisme qui
nous redonnera le goût de l’avenir mettra en
honneur la fraternité. Laisser la compétition aux mâles des grandes
espèces de mammifères qui régulent ainsi leur vie sociale, ou aux
petits enfants qui ont besoin de s’affirmer pour garantir le toute
neuve conscience d’eux-mêmes. Du point de vue humain, c’est toujours
une étape qui doit être dépassée. Car, finalement, l’histoire le
montre, c’est dans la fraternité que l’humanité est vraiment elle-même.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cet humanisme qui
nous redonnera le goût de l’avenir mettra en
honneur la liberté. Mais sera privilégiée la liberté de créer – créer
des œuvres qui augmente son estime de soi en tant qu’humain. L’humain
est capable d’œuvres qui méritent d’être conservées et d’enrichir la
biosphère – et il y en a une infinité de possibles, des inventions
techniques (faire un pain), aux œuvres monumentales (pyramides d’Égypte), en passant par les œuvres du bricoleur et les œuvres d’art,
du moment qu’elles n’altèrent pas l’habitabilité de la biosphère. Car
toute création est toujours un enrichissement des possibilités de vie,
et donc de notre liberté.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement le
choix des valeurs humaines par nos ancêtres – liberté,
égalité, fraternité – à condition de les prendre toutes en compte dans
leur sens pleinement humain, sont une bonne base.</div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-32537386114037341122022-12-31T15:28:00.012+01:002023-01-14T11:03:36.712+01:00Au-delà de l'urgence écologiste 2 – La ritournelle du bonheur<br />
<div><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg76YPCN5jrUQQwNfauQNmnlsq6s-OWkWC-XlyEhjmmuG8Ij33BcfiIkIqsWfr_O8JeypFWbnWoD5vTTXNmyHa3x6xf0XYudtIAmBeKHAGJdkIB2pbw_0N7Nd9pmQVsfg1L00rapOnP350ctE-TFHgHTlZHSxX7M4kBSm8qjVA66ac9ej3gQw/s640/cadeau-photo-domaine-public.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="426" data-original-width="640" height="213" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg76YPCN5jrUQQwNfauQNmnlsq6s-OWkWC-XlyEhjmmuG8Ij33BcfiIkIqsWfr_O8JeypFWbnWoD5vTTXNmyHa3x6xf0XYudtIAmBeKHAGJdkIB2pbw_0N7Nd9pmQVsfg1L00rapOnP350ctE-TFHgHTlZHSxX7M4kBSm8qjVA66ac9ej3gQw/s320/cadeau-photo-domaine-public.jpg" width="320" /></a><br /></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– <u>L’anti-somnambulique</u> (a-s) : As-tu
réfléchi depuis notre précédente discussion ? Vois-tu l'avenir un peu
plus clairement ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– <u>L’interlocuteur </u>: Je crois que j’ai
compris ton point de vue. Il faut que les humains continuent à croire
en eux-mêmes bien qu’ils se sachent responsables de l’actuelle crise
écologique planétaire. Car la responsabilité n’est pas également
partagée. La responsabilité doit prioritairement être imputée à une
petite minorité qui a le pouvoir d’organiser la société en fonction de
son intérêt particulier, et que tu appelles « une
mercatocratie ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Oui, tu as bien compris la
situation. Il est prioritaire, aujourd’hui, d’affirmer que l’humanité
peut avoir un avenir désirable. C’est-à-dire qu’elle peut gagner une
toute autre estime d’elle-même en se donnant à voir ce qu’elle peut
apporter de positif par son passage sur Terre. Et ce rehaussement de sa
conscience d’elle-même se fera en promouvant des valeurs de fraternité
plutôt que de rivalité, et de créations durables plutôt que de
consommations-destructions compulsives. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Effectivement ! Et tu as montré que
l’idéologie écologiste dominante va en sens contraire de cette
valorisation ; elle dénonce une humanité en elle-même néfaste qui
serait la cause du dérangement d’une nature bonne en soi.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Voilà ! Il faut comprendre que
cette auto-flagellation, qui se présente, dans son humilité même, comme
la bonne parole écologiste, est au cœur du problème. Si la révolution
humano-écologiste ne se fait pas, si les gens ne se désistent pas
massivement de leur contribution, par leur temps de vie, leurs
compétences, leur énergie vitale, au système de pouvoir
mercatocratique, c’est parce qu’ils n’ont pas suffisamment foi en leur
valeur humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Alors, la situation est sans
issue ! ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Il faut partir du principe qu’une
situation sans issue est toujours une situation insuffisamment
comprise. Dès qu’on progresse dans la compréhension, il y a des
possibilités de déblocage qui se dessinent. Il s’agit donc pour nous,
maintenant, de comprendre cette auto-dévaluation commune.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Je pense que les humains se dévaluent parce
qu’ils sont dans une situation en laquelle ils se sentent en
échec : ils ont provoqué sur la planète la pire crise du vivant
depuis des dizaines de milliers d’années !… Et, de plus, ils se
sentent impuissants à y remédier.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Je crains que cette explication
n’aide pas beaucoup, parce qu’elle enferme dans un cercle : on se
sent impuissant parce qu’on se dévalorise, ce qui met en échec, et
parce qu’on échoue, on se sent dévalorisé…<br />
Mais la conscience humaine a nécessairement connu de belles phases
ascendantes d’estime de soi : la maîtrise du feu, de la force du
vent et de celle du cours d’eau, la culture des plantes, la
domestication des animaux, la roue à moyeu, etc. Et, plus récemment –
on en a les témoignages – la révolution copernicienne (si l’homme n’est
plus au centre de l’univers, il peut en découvrir l’infinie richesse),
et l’affermissement des sciences et techniques par la méthode
expérimentale.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Il y aurait donc une cause historique à
cette dévaluation contemporaine de l’humain.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Exactement ! Et cette cause,
on peut la faire remonter au début du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle grâce témoignage de
Tocqueville, suite à son observation de la jeune démocratie des
États-Unis : « ... <i>je vois une foule innombrable
d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour
se procurer de petits et vulgaires plaisirs …</i> » (<i>De la
démocratie en Amérique</i>, 1840). Tocqueville comprend que la nouvelle
société industrielle met en place une condition humaine inédite, qui
n’avance plus vers un avenir désirable, mais qui fait du surplace en
courant après les possibilités de plaisir que lui laisse voir le
présent – comme dans le manège l’enfant tourne en rond en essayant
d’attraper le pompon. Cette nouvelle condition humaine, nous l’appelons
aujourd’hui la condition de travailleur-consommateur. Elle fait
effectivement « foule », regroupée qu’elle est dans les
espaces urbanisés en lesquels se côtoient les grosses unités de
production et de consommation. Et les individus s’y manifestent « <i>semblables
et égaux</i> » d’abord parce qu’ils ont les mêmes types de
comportements attendus.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– N’exagérons pas ! Tocqueville parle
ici d’une démocratie. Chacun de ces individus est un citoyen libre qui
choisit ses représentants politiques. Cette liberté et cette égalité
ont quand même été conquises par des révolutions populaires.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : C’est vrai ! Mais qu’en
restait-il après quelques décennies lorsque Tocqueville écrivait ?
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Avons-nous choisi de vivre comme
nous vivons ? Avons-nous choisi la promiscuité dans l’immeuble de
banlieue, la solitude dans le quartier résidentiel, les embouteillages
matin et soir aux abords des grandes villes, la respiration nocive d’un
air lourdement pollué, le harcèlement incessant par des intérêts
particuliers marchands, la chute brutale de la biodiversité et le
dérèglement climatique ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– C’est pourquoi tu as raison de dire que
nous ne sommes pas en démocratie. Nous vivons sous l’emprise d’un
pouvoir mercatocratique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Bien sûr ! Si ce n’est pas le
peuple qui a choisi d’aller dans une telle direction, c’est donc qu’il
n’a pas le pouvoir souverain, qu’il n’y a donc pas de démocratie. Et
effectivement, entre 1775 et 1871 – le siècle des révolutions
populaires en Occident – ce sont toujours, après-coup, ceux qu’on
appelait alors « les bourgeois », qu’on pourrait appeler
aujourd’hui « les grands affairistes », qui ont pris, ou
repris, le contrôle du pouvoir pour le mettre d’abord au service de
leurs affaires.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Mais n’est-ce pas trop simple, cette
interprétation ? Comment concilier l’existence de ce pouvoir avec
celle des libertés publiques : liberté d’opinion, liberté
d’expression – ne débattons-nous pas en public, ici ? – liberté de
réunion, liberté de déplacement, liberté de vote ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Tu fais là une très juste remarque.
Tout pouvoir implique une limitation de la liberté de ceux qui doivent
s’y soumettre. Comment surmonter cette contradiction entre un pouvoir
social aux conséquences aussi dommageables et l’existence des libertés
citoyennes ?<br />
Le premier point est de reconnaître que la mercatocratie est une forme
de pouvoir très originale dans l’histoire : elle développe
essentiellement un pouvoir sur les consciences, alors que,
traditionnellement, les pouvoirs sociaux non démocratiques étaient
basés sur la force et la peur qui découle de l’expérience de la force.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Un pouvoir sur les consciences ? Je ne
vois pas clairement ce que ça veut dire !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : On est d’accord que la liberté, en
son sens le plus immédiat, c’est la capacité de choisir entre plusieurs
comportements possibles ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Oui !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Un comportement envisagé comme
possible, et que la société m’empêche de choisir, est vécu comme une
restriction de ma liberté – ce qui se traduit par un sentiment de
contrainte.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– En effet ! Lorsque, par exemple, je
suis obligé de traverser la rue dans les passages piétons.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Voilà ! Et c’est bien à la
fois l’utilité sociale d’une telle restriction, mais aussi la peur du
gendarme, qui te font accepter cette contrainte ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Exact !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Mais suppose que tu sois dans une
rue ainsi agencée que tu ne voies l’autre côté de la rue qu’au bout des
couloirs des passages pour piétons ? Serait-ce encore une
contrainte de traverser dans les passages piétons ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– C’est très bizarre ta supposition !
Mais … non ! Ça ne serait plus une contrainte.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Effectivement ! Il suffit que
certains possibles ne soient pas envisageables pour que le fait de ne
pas les choisir ne soit pas vécu comme une contrainte. Tel est le
pouvoir sur les consciences : restreindre le champ des possibles
envisageables de façon à orienter les comportements dans un sens
attendu, et ceci de manière inaperçue par celui qui en est l’objet. Ce
procédé est la meilleure manière d’éclairer ce que veut dire
Tocqueville lorsqu’il parle d’humains « <i>qui tournent sans repos
sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs</i> ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Cela signifierait que les humains sous
régime mercatocratique, tels que Tocqueville les anticipait il y a près
de deux siècles, ne verraient pas d’autres possibilités de vie que la
quête de petits plaisirs.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Tu as très bien compris !
N’est-ce pas le cas ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– On dirait bien ! On consomme largement
pour se faire plaisir, et on travaille pour avoir les moyens de
consommer !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Oui, c’est bien la logique de notre
société de travailleurs-consommateurs. Mais attention de ne pas en
faire un mécanisme automatique. Sous régime mercatocratique nous ne
sommes pas de simples marionnettes du pouvoir. En effet, ce pouvoir sur
les consciences s’exerce essentiellement au moyen d’actes de
communication. Or un acte de communication particulier n’implique pas
nécessairement un comportement attendu, mais quand il émane du pouvoir
social il est certain qu’il porte une information sur ce qu’il convient
de faire ou de ne pas faire. En ce sens, il est pourvoyeur de normes de
comportement pour la société. Et c’est par l’intermédiaire de ces
normes que se circonscrit un champ délibérément limité des
comportements possibles dans la population. <br />
Par exemple, lors d’une assemblée amicale, il sera tout-à-fait seyant
que tu parles et échanges sur ton projet de renouveler ton salon. Le
sujet sera rassembleur. Par contre, aborde la question de notre recours
collectif à de l’énergie artificielle, de notre manière dispendieuse de
l’utiliser, et en quoi cela compromet à long terme l’avenir de notre
descendance. On anticipe les yeux ronds et les mines embarrassées,
voire navrées, dans l’assemblée, signes patents d’une transgression de
la <i>normalité</i>.<br />
Une telle situation illustre bien de quel côté se trouvent les
possibles évacués dans la normalité ambiante.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Oui ! Du côté des comprtements qui
impliquent un investissement de l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Par contre, il a un type de
possibilités qui semblent d’emblée s’imposer…</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Il me semble que ce sont celles qui
apportent du plaisir à court terme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : En effet ! Tu as très bien
saisi l’idéologie qui est implicitement imposée dans notre
société : elle est hédoniste (du grec <i>hedonè</i> =
plaisir) ! Et c’est un hédonisme qu’on peut qualifier de trivial,
puisqu’il consiste dans la recherche du plus de sensations bonnes
possibles, dans le délai le plus court. Et la société est
prioritairement organisée pour faciliter les consommations de biens qui
apportent ces sensations.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Tu as raison. Sauf que tout le monde ne se
laisse pas également influencer. Il est clair que les écologistes sont
conscients de ces manipulations par la propagande. Ils les combattent.
Comme ils dénoncent cette normalité de la société de consommation en
montrant combien elle est dangereuse pour notre avenir commun ! </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Oui, mais avec quelques limites.
D’abord il faut être lucide. Nous participons tous activement, peu ou
prou, au pouvoir mercatocratique. Écologistes compris ! Par
exemple lorsque nous utilisons un smartphone, ou achetons un tee-shirt
produit à l’autre bout du monde. C’est pourquoi, on ne sortira pas de
ce régime simplement en empêchant de nuire une caste de grands
affairistes.<br />
Mais cela va plus loin ! Il apparaît que nos écologistes actuels
ne sont pas toujours saufs de cette idéologie hédoniste. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Doucement ! Les écologistes prônent la
sobriété, la prise en compte des conséquences à long terme des choix
énergétiques et industriels …</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Certes ! Mais c’est du côté du
projet de société qu’il faut regarder : vers quel bien commun
veut-on orienter la société ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Pour les écologistes, il faut promouvoir
une société de protection et de réparation de la nature.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Pourquoi ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Quelle question ! Hé bien pour une
humanité heureuse dans une nature épanouie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Effectivement. Les programmes
écologistes sont des programmes qui visent le bonheur. Et qu’est-ce que
le bonheur sinon une accumulation de sensations bonnes – ces sensations
fussent-elles plus larges que celles liées aux cinq sens en incluant
les formes de bien-être intérieur ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Moi, c’est une finalité qui me parle !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Certes, mais lui as-tu parlé ?
Je veux dire : as-tu interrogé cette finalité de bonheur en la
mettant en balance avec d’autres finalités possibles ? Car tu as
l’air de considérer le bonheur comme un but évident. As-tu bien
réfléchi à ce que tu vises par ce mot ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Se sentir bien, heureux, … délivré des
menaces venant de cette société industrielle proliférante et ravageuse.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Ce qui apparaît en filigrane dans
ce que tu dis – et qui est la pensée écologiste très commune
aujourd’hui – est un idéal de vie sociale en <b>réaction</b> à la
négativité du présent<span style="font-family: Constantia;"> </span>–
les destructions de paysages, d’espèces, les pollutions, les
catastrophes induites par le réchauffement climatique, le mal-être
propre à la vie de travailleur-consommateur, le délitement de la
socialité. Un tel projet écologiste viserait à faire tout juste le
contraire de ce que fait le pouvoir social actuel : on décide de
« protéger la nature » (lit-on dans le programme d’un parti
écologiste), au lieu de se comporter comme si on en était « maître
et possesseur » (selon l’expression de Descartes). Et il semble
aller de soi que ce changement de signe dans notre rapport à
l’environnement naturel entraînera automatiquement le passage d’un
monde de sensations négatives à un monde de sensations positives. Or,
il faut comprendre qu’une réaction ne saurait être une construction de
l’avenir, parce qu’elle évacue toute réflexion entre des avenirs
possibles. Elle ne fait que corriger le présent. Une réaction ne
consiste qu’en un seul comportement possible, celui qui est impliqué
par le sentiment négatif qui fait réagir, et qui permet de renouer, au
plus court, avec un sentiment positif – un peu comme quand tu rajoutes
du sel dans ta soupe.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Là je te trouve bien chicanier !
N’espères-tu pas, d’une révolution écologiste, qu’elle rende la vie
plus heureuse sur Terre ? Qu’en attends-tu alors ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Quelque chose d’humainement plus
intéressant que le bonheur. Que mettons-nous, chacun, dans le mot
« bonheur » sinon l’imaginaire de nos meilleures sensations
vécues dans le passé, portées à leur plus grande perfection ? Le
« bonheur », c’est un mot qui nous parle du passé, pas de
l’avenir – le sourire bienheureux du bébé contre sa mère qui a tété à
satiété et a fait son rot.<br />
Comprends-tu que ça n’a pas pu être l’attente du bonheur qui a amené
Bernard Palissy à brûler ses meubles afin de réussir des
céramiques ; qui a fait marcher l’explorateur solitaire qui n’est
jamais revenu de son expédition au Pôle Nord ; qui a motivé le
jeune homme avec son sac de courses qui, en 1989 à Pékin, s’est placé
pour bloquer une colonne chars allant réprimer des étudiants ; et
tant d’autres, connus ou inconnus ?<br />
Mais une démarche écologiste peut ne pas être aimantée par l'imaginaire du bonheur. Il y a eu, il y a encore, des démarches
écologistes rationnellement rigoureuses. À cet égard, l’élaboration,
par Hans Jonas, d’un principe de responsabilité sociale nécessaire et
suffisant à une société écologiquement viable est à retenir :
« <i>Agis de telle sorte que les conséquences de ton action soient
compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la
Terre</i>. » (<i>Le principe responsabilité,</i> 1979). Ici, être
écologiste, ce n’est pas chercher à retrouver une société heureuse dans
son environnement naturel – l’a-t-elle jamais été d’ailleurs ? –
c’est ménager les conditions pour que nos descendants puissent réaliser
les promesses que porte l’humain du fait de ses qualités propres. Le
principe de Jonas place clairement la liberté humaine dans sa dimension
essentielle d’ouverture à l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– D’accord ! Mais je ne vois pas
pourquoi cette ouverture vers l’avenir ne pourrait pas se faire de
manière heureuse dans une société écologiste. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Pourquoi pas ? Je veux
simplement rappeler une remarque d’Aristote qui pourrait nous mettre
d’accord. Il disait : il ne faut pas rechercher le bonheur, mais
l’action vertueuse ; et alors le bonheur nous sera donné, mais
« <i>par surcroît</i> » !<br />
Une action écologiste peut être « vertueuse » au
sens grec (pré-chrétien) de l’adjectif, en ce qu’elle exprime l’excellence de l’homme. Elle doit être
soigneusement distinguée de l’écologisme du bonheur bien dans l’air du
temps.<br />Car, soyons clairs, les
lanceurs d’alerte et les résistants de l’écologie, qui sacrifient de leur
bien-être pour empêcher des projets supplémentaires de dévastations de la
biosphère, s’exposant souvent à la violence répressive de l’État, sont du côté de cette écologisme vertueux, raisonnable. Par contre, il faut dénoncer une tendance complaisante à un écologisme du bonheur qui, aujourd'hui, entraîne une part significative des
idéologues de l’écologie.
<br />
Un index très simple pour discriminer ces deux écologismes est le
jugement sur l’industrie nucléaire de production d’énergie. Cette
source d’énergie a en effet la propriété très particulière d’associer
une grande prodigalité avec l’absence de ressenti de pollutions. Elle
est donc, à court terme, toute positive pour la sensibilité (sauf
accidents que l’on a déjà connus et que, selon toutes probabilités,
l’on connaîtra encore). Elle se pare des atours d’une énergie propre,
heureuse. Or, elle est de toute façon une source illimitée de malheurs
pour l’avenir du fait de la toxicité de déchets radioactifs (en font
partie les unités de production hors d’usage qui resteront, monuments
maudits, dans le paysage) dont on ne peut se débarrasser car il
faudrait les confiner des dizaines de milliers d’années afin qu’ils ne
rentrent pas dans les chaînes d’échange des vivants – ce qui est hors
de portée des projets humains. Cette industrie nucléaire est donc
emblématique des menées humaines qui compromettent « <i>la
permanence d'une vie authentiquement humaine sur la Terre</i> »
(Jonas). Nous avons les avantages. Les générations qui vont suivre, et
à perte de vue, n’auront que la charge des malheurs – il y a déjà à
gérer des centaines de milliers de tonnes de ces déchets radioactifs
longue durée. Peut-il y avoir pire injustice dans l’histoire
humaine ? Or, l’écologie politique contemporaine s’accommode de
plus en plus d’une production nucléaire d’énergie, au moins de façon
provisoire. Et il existe d’ailleurs aujourd’hui une tendance de
l’écologie politique s’affirmant ouvertement pro-nucléaire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– C’est là tout le problème de la transition
vers les sources d’énergie décarbonées. Certains pensent qu’il est
nécessaire, provisoirement, d’avoir recours au nucléaire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : J’avoue que je me méfie des
raisonneurs de la « transition écologique ». Ils me semblent
relever de l’hédonisme dominant en préconisant une phase qui éviterait
d’avoir à vivre trop de sensations négatives. Mais on voit que cette
transition n’en finit pas de devoir être étendue, au point qu’elle
pourrait rejoindre, en une sorte de point de fuite où se perd le sens
de l’avenir, les calendriers de décarbonation, toujours décalés, des
responsables de l’activité industrialo-marchande.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Il faut bien faire avec tout le monde !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Oui ! Mais pas en s'alignant d'emblée sur le plus bête !<br />Il faut ici dénoncer la qualificatif de « punitif » qu'on brandit dès
que l'écologisme laisserait voir la possibilité de sensations négatives.
Est-ce que l'on va traiter de « punitif » le guide de haute montagne
qui fait démarrer son groupe à cinq heures du matin, le fait grimper
rudement dans la caillasse et le gel deux heures durant, pour qu'il
puisse contempler, le sommet atteint, le lever du soleil sur le paysage ?<br />Je nous en prie : respectons-nous d'abord en
tant qu’humain !<br />Or, ce n’est pas très respectueux de traiter les gens
comme des enfants. Car c’est vis-à-vis des petits enfants qu’on prend
soin de ménager un environnement sauf de toute source de sensations
négatives. Vivre en adulte, c’est donner la priorité à ses choix de
bien pour l’avenir, en acceptant les pans de sensibilité négative que
cela implique du moment qu’ils permettent d’avancer.<br />
C’est aussi à l’égard des personnes âgées que l’on ménage un
environnement de sensations positives. La révolution écologiste
veut-elle mettre l’humanité à la retraite ? Car n‘est-ce pas là un
idéal de retraité ? Vivre une vie de gentil humain dans une
gentille nature ! Et, comme des caricatures de retraités, en telle
société ne va-t-on pas penser sans arrêt aux normes, vitupérer contre
les déviants qui menacent sans cesse, calculer constamment son bilan
carbone, son empreinte écologique, cultiver son jardin tout en
surveillant la normalité de son voisin et en lui faisant de grands
sourires ?<br />
Car ce « bonheur » attendu ne saurait suffire à une âme
humaine en ce qu’il n’est porteur d’aucun avenir. Ce qu’illustre
l’apostrophe de l’<i>Antigone</i> de Jean Anouilh : « <i>Vous
me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer
coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils
trouvent</i>. »<br />
Aujourd’hui, on nous fait « lécher » de l’écologie à tout va.
On « verdit » à qui mieux mieux (même avec du gazon
synthétique). On nous invite aux « petits gestes »
écologiques (tri des déchets, ne pas laisser couler l’eau, etc.) à
l’impact dérisoire mais qui assurément soulagent notre responsabilité
de consommateurs impénitents. <br />
Bref, on nous traite comme une masse d’enfants attardés, ou de
retraités précoces, cela revient au même. En nous lançant une pluie
d’appâts à plaisirs multicolores, le pouvoir mercatocratique accapare
notre temps de vie, notre énergie, en nous faisant accourir. Et nous
accourons et tournons en rond sans arrêt pour essayer de grappiller des
ersatz de bonheur.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Tu considères donc qu’il n’y a pas à
opposer le bonheur apporté par une société écologiste du bonheur
apporté par la société de consommation, parce que c’est la finalité
même de bonheur qui est en cause : tu la juges humainement
indigne !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Oui ! Sans en avoir forcément
une conscience claire, nous nous savons rabaissés dans ce monde en
lequel on nous renvoie sans cesse à un devoir d’être heureux. Or, se
savoir ainsi systématiquement méprisé amène à se sentir méprisable. On
peut se soulager de ces sentiments négatifs qui touchent à la
conscience que l’on a de soi-même en méprisant quelque groupe social
différent en lequel on croit voir des signes objectifs de déchéance.
Nous considérons que c’est le motif profond de la vague populiste
d’extrême-droite qui monte dans les pays occidentaux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Mais cela ne saurait résoudre le
problème !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Bien entendu ! Cela ne fait
que le soulager de façon imaginaire. C’est pourquoi le populisme est
une fuite vers l’abîme : on n’en a jamais fini de devoir soulager
ainsi son déficit d’estime de soi en s’en prenant aux autres !<br />
Rappelons-le ce problème ! Il s’agit de comprendre l’impuissance
des humains à relever le défi de la crise écologique et sociale
actuelle, et nous savons qu’ils s’en croient incapables parce qu’ils
s’auto-dévaluent…</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Oui ! Et tu rends compte de cette
auto-dévaluation par le fait que les gens se voient constamment
méprisés dans leur humanité, et donc qu’ils se comportent trop peu de
manière humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : Autrement dit, ils ne se voient pas
capables de construire leur avenir en fonction de valeurs proprement
humaines.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Mais alors que faire face à ce pouvoir si
prégnant qu’il est capable de pervertir une partie de l’écologie
politique ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : S’en détourner, tout simplement.
Plus précisément : se détourner de l’évidence du bonheur comme but
de la vie – laisser cette évidence au tout petit enfant, ou à
l’individu très âgé qui a mis une croix sur son investissement dans le
monde.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Facile à dire quand tout le monde autour de
soi pense le contraire !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s) : « Semble penser le
contraire » ! Paradoxalement, le conformisme est un mode de
pensée de la solitude : les idées dominantes dominent lorsque les
gens ne discutent pas entre eux.<br />
C’est pourquoi il faut continuer à discuter !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Alors à bientôt !</div><br /><br />Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-2222329171849537862022-11-22T21:47:00.722+01:002023-12-12T11:48:31.947+01:00Au-delà de l'urgence écologiste 1 – La nature et nous<p style="text-align: center;"><br /></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgKiVqV31T2lYz6oJDRdFXbnOqnPfNj2JiPxaP9WUnxqnEL1-h4JDiVboaSJtfCqjWVuB27mwzD8NFngiZ3XU6PUbu0QWQm4_dBDYyfQVfCywLy2-nUXpCVnKVKNmrXBzori2BxTsTTravxwVHRNRQ208Bv-TXoemCKU_KojE9wCkBLT4kmkQ/s640/climate-un.JPG" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="427" data-original-width="640" height="268" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgKiVqV31T2lYz6oJDRdFXbnOqnPfNj2JiPxaP9WUnxqnEL1-h4JDiVboaSJtfCqjWVuB27mwzD8NFngiZ3XU6PUbu0QWQm4_dBDYyfQVfCywLy2-nUXpCVnKVKNmrXBzori2BxTsTTravxwVHRNRQ208Bv-TXoemCKU_KojE9wCkBLT4kmkQ/w400-h268/climate-un.JPG" width="400" /></a></div><br /><p></p><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– <u>L’interlocuteur</u> : Même si on n'en attendait pas grand-chose, on est quand même navré par le résultat. Je parle de la COP27 qui vient de s'achever. Elle a consisté essentiellement en une discussion de marchands de tapis, plutôt qu'en une mobilisation pour la prévention contre les désastres qui s'annoncent du fait du dérèglement climatique et de la chute de la biodiversité. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– <u>L’anti-somnambulique</u>
(a-s) : C'est bien vrai !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– On ne pouvait s'empêcher d'espérer, sans trop se l'avouer, une sorte de commotion, une prise de conscience de tous ces responsables politiques échangeant sur leurs expériences toutes fraiches des effets dévastateurs de cette économie de marché mondialisée, et décidant « On ne peut plus continuer comme ça ! ». Hé bien si, on continue !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: C'est vrai !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– C'est vrai, c'est vrai, c'est tout ce que tu trouves à dire ? Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? Il y a une telle urgence ! Faut-il se résoudre à préparer son sac à dos avec couteau suisse, manuel de survie et chaussures montantes tout terrain, pour prendre le large vers une forêt profonde lorsque l'alarme sera trop proche ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Ce pathos de l'urgence, ce n'est pas trop mon truc.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Peut-être, mais c'est la situation objective !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Je veux dire : il faut avoir conscience que nous vivons dans une société qui est organisée pour mettre les gens constamment dans l'urgence ! Il faut travailler dans l'urgence, il faut consommer dans l'urgence, il faut même avoir des loisirs dans l'urgence (aller au spectacle, regarder des séries, faire son sport, etc.). Lis à ce propos le bouquin d'Hartmut Rosa, <i>Aliénation et accélération</i> (La Découverte, 2012).<br /></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Et il faut sauver la planète de toute urgence ! J'espère que tu ne mets pas cette dernière urgence, plutôt cette <b>première </b>urgence, sur le même plan que les autres !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Non ! Pas moi du moins. Mais d'autres, beaucoup d'autres, sont enclins à le faire ! N'est-on pas prêt à <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/nucleaire-un-projet-de-loi-pour-accelerer-la-construction-de-nouveaux-reacteurs-devoile-ce-mercredi-1667368312" target="_blank">piétiner les règles administratives</a> préservant au minimum l'intérêt public de tels équipements pour démarrer d'urgence la construction de nouvelles centrales nucléaires, lesquelles, en tout état de cause, ne seront pas fonctionnelles avant 2035 ? Et on prévoit tout autant ce qu'ils appellent des « procédures accélérées » pour couvrir des milliers d'hectares en panneaux solaires ou éoliennes !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Mais, il s'agit là de décarboner la production d'énergie. Cela va bien dans le sens d'un freinage du réchauffement climatique !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Saperlipopette ! Comment peux-tu perroquetter ainsi le discours des puissants ? Je t'en prie, arrête de faire le somnambule ! Peux-tu évaluer la quantité d'énergie qu'il faut dépenser pour réaliser (et plus tard s'en débarrasser) ces champs de panneaux solaires, d'éoliennes, ou faire fonctionner une nouvelle centrale nucléaire (sans compter, pour cette dernière, la gestion des déchets dont certains devront être confinés et surveillés indéfiniment) ? Regarde comment tu vis, comment on vit ! On vit à produire du déchet, ou gérer des objets qui sont dans l'antichambre du déchet parce qu'ils ne servent plus ayant été disqualifiés par la nouveauté suivante ! Combien de téléphones a possédé la génération immédiatement après la seconde guerre mondiale ? Un seul, en ébonite noir. Combien en as-tu déjà possédés depuis qu'ils sont portables, et combien mis au rebut alors qu'en état de marche ? Ne connais-tu pas cette vérité du marché alimentaire : 1/3 des denrées vivrières produites sont jetées sans avoir été consommées ? As-tu remarqué à quel point s'est boursouflée la part de l'emballage plastique que tu dois d'emblée jeter quand tu veux faire usage d'une marchandise ? La société marchande ne s'est développée qu'au prix d'un gaspillage systémique monstrueux.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">D'où vient cette voracité d'énergie pour gaspiller ? De personne d'autre que de ceux qui ont choisi de s'enrichir en organisant la société de telle manière qu'ils puissent activer des flux de marchandises toujours plus larges, toujours plus denses, et se placer là où ils peuvent au mieux prélever au passage. On peut appeler une telle structure de pouvoir, une <b>mercatocratie</b>.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">Pour sortir de l'impasse écologique, il faut renverser la mercatocratie.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Au fond, je suis d'accord avec toi. Moi aussi je veux qu'on aille vers une vie organisée selon un autre principe, celui d'une société écologique en laquelle les humains vivraient en accord avec la nature. Simplement je pense que ce changement, qui serait une révolution, n'est pas possible tout de suite, et donc que l'urgence est aujourd'hui de décarboner l'énergie.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Hé bien, je ne suis pas d'accord sur ces deux points que tu conjugues.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">Il est faux d'affirmer qu'il faille reporter à je ne sais quand la sortie de ce système social toxique fondé sur l'enrichissement pécuniaire par la prédation démesurée sur l'environnement, l'excès et l'injustice dans la consommation, et le gaspillage systémique. As-tu déjà oublié que, du jour au lendemain, en mars 2020, dans cette partie du globe, la société mercatocratique a cessé de fonctionner ? Pourquoi ? Parce que, cette fois-là, les dominants étaient tout aussi vitalement menacés par la circulation du virus que le reste de la population. Autrement dit, le désistement de la population de ce système social dont elle est victime est tout-à-fait concevable, et du jour au lendemain, si elle se prend en main (peut-être d'ailleurs ce désistement a-t-il commencé si l'on écoute les alarmes et les incompréhensions sur la difficulté de recruter des salariés depuis l'épisode pandémique).</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">Ensuite, il apparaît que ce projet d'une société nouvelle fondée sur l'idée d'un accord avec la nature, tout pétri de bonnes intentions qu'il soit, est inconséquent. Ce biais anthropomorphique qui consiste à parler de la nature comme d'un partenaire avec lequel on pourrait se mettre d'accord, est mystificateur. La « nature » n’est pas un partenaire. Un minimum d'objectivité amène à la considérer comme une dynamique de la planète aveugle aux visées humaines (tant de variétés de catastrophes naturelles, de maladies implacables, et, jusqu'à peu, de bêtes féroces !). Il nous faut alors gérer localement notre relation avec elle le plus raisonnablement possible, tout en sachant que, globalement, elle nous transcende. Cela signifie que nous ne saurions avoir le dernier mot sur elle parce que c'est la logique propre de cette dynamique qui, en fin de compte, déterminera le destin de l'humanité. Et cette dynamique a pour caractère principal l'évolution des espèces : l’espèce humaine comme les autres espèces, par nature, est apparue (il y a quelques centaines de milliers d’années), et disparaîtra.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">Cette idée d'une « nature » avec laquelle il faudrait être d'accord, qu'il faudrait respecter, protéger, etc., relève d'un irénisme commun totalement hors sol qui étonnerait beaucoup nos ancêtres. Il procède d'un imaginaire de la nature tout-à-fait artificiel, largement diffusé dans les médias dominants (pensons aux nombreux films naturalistes présents à l’envi sur
les écrans), et qui a pu devenir le principal pourvoyeur de contenus à mettre sous le mot « nature » pour bien des habitants d’agglomérations urbaines. Mais il faut avoir conscience que cette « nature » est ainsi mise en scène pour faire du bien. Elle a, de fait, la fonction idéologique de compenser la dégradation évidente de l’environnement réel des humains, en happant, par ce qui se passe sur l’image ou sur l’écran, le désir de l’individu dans la gratification d’un environnement saturé de sensations positives.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– J'ai du mal à te suivre jusque-là. Comment ne pas admettre que « l'amour de la nature » est le ressort principal pour faire advenir une société nouvelle ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Parce que cela ne veut rien dire ! Qu'aimes-tu en disant cela ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Par exemple m'enfoncer dans la forêt, et goûter de cet environnement de vie bruissante qui m'enveloppe ... les chants d'oiseaux, le frissonnement des feuilles, les odeurs qui montent de la terre, etc.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Oui, et tu t'assois quelque part pour mieux apprécier ton plaisir et te retrouves parcouru de toutes parts de fourmis rouges qui te piquent douloureusement ... </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Je dis qu'il faut aimer la nature dans sa diversité, en y intégrant ses côtés qui paraissent négatifs, en certaines circonstances, aux humains.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Si je comprends bien, tu considères la nature foncièrement aimable, et néfaste seulement relativement à certaines circonstances.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Oui, c'est cela !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Pourtant, il me semble que la lucidité devrait conduire à la proposition inverse. La logique de fonctionnement de la nature, c'est notre disparition en tant qu'individu au bout de quelques décennies, mais aussi, à un terme inconnu ‒ il dépend de notre liberté ‒ notre disparition en tant qu'espèce, alors que nous sommes viscéralement dotés d'un « infini intérêt à vivre » (l'expression est de Kierkegaard). C'est pourquoi il est si difficile de se représenter sa propre mort, et encore plus celle de l'humanité. Dire que la nature nous est foncièrement hostile, et circonstanciellement aimable, serait plus approprié.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Il me semble que tu vas chercher un peu loin tes arguments pour faire valoir une vue originale parce que paradoxale !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Non ! Point de paradoxe ici, mais un effort de lucidité qui devrait nous conduire à dépasser cette problématique d'« amour de la nature » qui ne mène nulle part, pour s'intéresser au seul amour général qui vaille : l'amour de l'humanité.</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Oui, bien sûr ! Tu remplaces des grands mots par d'autres grands mots. Je ne vois pas le progrès !</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Le voici le progrès ! L'amour de la nature ne peut être que l'amour d'un imaginaire. L'amour de l'humanité est celui d'une réalité concrète. Quels que soient, notre aspect physique, notre genre, notre génération, notre culture, nous sommes tous frères/sœurs en tant que nous sommes confrontés aux mêmes limites liées à notre finitude : il nous faut tirer subsistance en nous donnant des techniques et par notre travail, choisir les bons partenaires, accueillir une descendance et l'éduquer, nous organiser en société, conjurer la violence, nous accommoder de la souffrance et de la maladie, nous préparer à mourir, et donc donner un sens à notre vie. Or, le seul sens que l'on peut donner à tout cela, c'est que notre passage de quelques décennies sur terre contribue à améliorer l'humanité, c'est-à-dire que nous utilisions notre liberté à faire valoir les qualités propres qu'elle est la seule espèce à posséder et dont elle sent les potentialités en elle. Ce sont au moins les capacités de raison, de réflexion et de création. D'ailleurs n'est-ce pas exactement ce que nous faisons lorsque nous conservons la mémoire des belles figures, des belles actions, des belles œuvres du passé, lorsque nous éduquons en transmettant aux nouvelles générations, lorsque nous enrichissons ce qu'on appelle la culture ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.5in;">Tout l'enjeu de la crise actuelle est là : est-ce que l'humanité peut encore se donner un avenir pour faire valoir ce qu'elle peut ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– Effectivement, on est là dans tout autre chose que l'accord avec la nature. Cela amène à envisager tout autrement l'attitude par rapport à l'avenir. Ce qui me donne à réfléchir ....<br /></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– (a-s)
: Oui, prends le temps de réfléchir. On en reparlera.<br /></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-18189192548163372442022-07-30T07:05:00.000+02:002022-07-30T07:05:19.213+02:00L'animal-mystère<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh9JA9fDpwky8QOIYyYcgg-DwhoLLNe7pGlEhwnMnvNNtsv8siccjL-qMHlyYIyufw2cQ_JKBjOssl4gu6w8_IE6UlLmmfOZpwq-DM-z6XdonXyKJ7A3O48U_r8zhXuRBx_NZU-vLxpNkFGItDKwZUNXykil00QBVzGHBVSgmU3IEzgCN38JQ/s275/Thalys-b.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="183" data-original-width="275" height="183" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh9JA9fDpwky8QOIYyYcgg-DwhoLLNe7pGlEhwnMnvNNtsv8siccjL-qMHlyYIyufw2cQ_JKBjOssl4gu6w8_IE6UlLmmfOZpwq-DM-z6XdonXyKJ7A3O48U_r8zhXuRBx_NZU-vLxpNkFGItDKwZUNXykil00QBVzGHBVSgmU3IEzgCN38JQ/s1600/Thalys-b.jpg" width="275" /></a></div><p></p><p><i>Le Monde 30 juillet 2022</i> :</p><div class="article__heading"> <h1 class="article__title"></h1><blockquote><h1 class="article__title">Thalys : chaos dans les gares après un choc entre un train et un animal</h1> <p class="article__desc">
L’incident a eu lieu à 15 h 55, à la hauteur de Tournai en Belgique,
où un animal a été heurté par un train en provenance de Bruxelles. La
ligne qui relie Paris, Bruxelles, Amsterdam et Cologne a été
interrompue. </p></blockquote><p> </p><p class="article__desc"></p> </div><p><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: verdana;">Pourquoi écrire "un animal", et non pas "un cerf", "un sanglier", "une vache"...? L'animal en question devait être en effet assez massif pour être d'une espèce identifiable puisqu'il a été capable de mettre en panne le train.</span></span></p><p><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: verdana;">D'autre part, journaliste, tu nous dois l'information aussi précise que possible dans les contraintes de l'espace pour l'écrire. Or ici, il n'est question que de remplacer un mot par un autre.</span></span></p><p><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: verdana;">Qu'est-ce qui t'a retenu, journaliste ? Ne serait-ce pas la capacité plus aisée de s'imaginer la victime par la connaissance de son espèce ? Peut-être parce que cette imagination aurait en quelque sorte dépareillé le sens même de ton article : la mise en évidence de perturbations dans les transports de vacanciers.</span></span></p><p><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: verdana;">Mais ne clames-tu pas toujours que ton premier devoir est d'informer ? </span></span><br /></p>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-52393866239582115852022-06-24T17:26:00.010+02:002022-07-30T06:50:25.603+02:00Vue sur le monde d'après<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_JwMJIQLquUlAumhttV_vYjC9PrM83PoYHlIGVeukj7Pj2dlO1ics_N5XiCzUrJDK2q33uXj8SuLwA8zY5pXxkCzFIpDRZHwm2wO1dfrtSvorUjUOJjcRod_6OOB5hB6Y3ix-b1hgO1u3CSQ6RZUxJmN_CZoam881kwYAiwkQTwLPnDztvw/s1043/ciel&oiseaux.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="622" data-original-width="1043" height="192" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_JwMJIQLquUlAumhttV_vYjC9PrM83PoYHlIGVeukj7Pj2dlO1ics_N5XiCzUrJDK2q33uXj8SuLwA8zY5pXxkCzFIpDRZHwm2wO1dfrtSvorUjUOJjcRod_6OOB5hB6Y3ix-b1hgO1u3CSQ6RZUxJmN_CZoam881kwYAiwkQTwLPnDztvw/w320-h192/ciel&oiseaux.jpg" width="320" /></a></div></div><br /><p></p><p><i> Le Monde 25 juin 2022</i> :<br /></p><div class="article__heading"> <h1 class="article__title"></h1><blockquote><h1 class="article__title"> Des grèves chez Ryanair et Brussel Airlines perturbent le ciel européen</h1> <p class="article__desc"> Chez Ryanair, plusieurs syndicats ont appelé à cesser le travail dès
vendredi en Espagne, au Portugal et en Belgique. Au départ et l’arrivée
de Charleroi, ce mouvement a obligé la compagnie à annuler 127 vols
entre vendredi et dimanche. </p></blockquote><p> </p><p><span style="font-size: small;"><span style="font-family: verdana;"><span style="font-size: medium;">Face à ton titre la bonne question est : "Comment, journaliste, peux-tu confondre un ciel perturbé avec un marché de transport perturbé ?"</span><br /></span></span></p><p class="article__desc"></p></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-46152021054439685782022-05-12T14:32:00.003+02:002022-05-24T21:35:44.311+02:00Peut-on vivre sans avenir ?<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjHnk5TspmBe5HW3-ch-nYLLkgXxB7EBUVrWniEau-YRR1ptuVC6hXZqn_oYx5Jy0C6iHCK2FFohrdw23h782LQZmDC3ZOf3Mhr9CmeRgYEk7EEiXlFGodg3zf33hEGfjVgDnSjDRzGf8-KT8Q_asFqdj924p_sGfjWIivusuDHtIBOlRJpkQ/s322/AgroParisTech2022.PNG" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img alt="AgroParisTech 2022" border="0" data-original-height="190" data-original-width="322" height="118" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjHnk5TspmBe5HW3-ch-nYLLkgXxB7EBUVrWniEau-YRR1ptuVC6hXZqn_oYx5Jy0C6iHCK2FFohrdw23h782LQZmDC3ZOf3Mhr9CmeRgYEk7EEiXlFGodg3zf33hEGfjVgDnSjDRzGf8-KT8Q_asFqdj924p_sGfjWIivusuDHtIBOlRJpkQ/w200-h118/AgroParisTech2022.PNG" title="AgroParisTech 2022" width="200" /></a></div><br /><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui nous réunit en cette troisième décennie du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle, c’est un vécu de crise.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut comprendre cette proposition en donnant au « nous » l’ampleur de l’humanité, et en reconnaissant dans le « vécu de crise » une incapacité de se projeter dans l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, c’est le propre de la condition humaine que de ne pouvoir se dispenser d’espérer, et donc de se projeter dans l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour une raison simple : l’individu humain se sait mortel. Il sait donc que le temps de vie qui lui est alloué est limité, au mieux, à quelques dizaines de circonvolutions de la Terre autour du soleil, ce qui l’amène inévitablement à se poser la question du sens qu’il veut donner à ce temps de participation à l’aventure humaine. C’est pourquoi il est mu, comme l’écrivait Ernst Bloch, par « le principe espérance », investissant l’avenir bien au-delà de son temps de vie, dans la perspective d’un avenir meilleur de l’humanité. Car il sait que c’est seulement dans une telle ouverture de son vécu temporel qu’il peut donner un sens à sa vie – voir une illustration dans mon billet <a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2018/06/quand-je-serai-riche.html" target="_blank">Quand je serai riche !…</a></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce rapport humain à l’avenir doit être clairement différencié d’une certain rapport à l’à-venir que nous partageons avec les animaux, et qui est leur exclusif rapport au futur. Il consiste à capter dans le présent des signes de satisfactions à venir possibles et donc de gérer le présent à partir de ces signes afin de les faire advenir – pensons au chat qui chasse une souris, mais aussi à la stratégie du petit enfant qui veut se faire acheter un jouet par l’adulte dans le centre commercial.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On peut appeler cette attitude de vie, qui ne décolle pas véritablement du présent, encore sous-humaine, <a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2011/11/approche-du-courtermisme.html" target="_blank">le courtermisme</a>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N’est-ce pas aussi massivement en courtermistes qu’agissent les gouvernants comme les majors du monde industrialo-marchand aujourd’hui ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le « <i><u>Canard enchaîné</u></i> » du 11 mai 2022 :</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-align: left; text-indent: 0.39in;"><h2 style="text-align: left;"><span style="font-size: small;"><span style="font-weight: normal;">« </span><span style="font-size: medium;">Plus ça va mal, mieux ça va aller</span></span></h2></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>ELLE N'EST PAS sortie de l'auberge, la toute flambant neuve « nation écologique » qu'a promis d'inventer Macron. Mardi 3 mai, à la grande satisfaction du lobby de la pêche industrielle, les députés européens ont autorisé la pêche au chalut dans les « aires marines protégées ». Et ce à l'initiative d'un eurodéputé macroniste, Pierre Karleskind, lequel préside la commission de la Pêche au Parlement européen. Une eurodéputée Verte belge ayant proposé d'y interdire cette pêche très destructrice, il s'est empressé de la contrer. Son amendement, qui se veut « pragmatique » (« Le Monde », 5/5) et permet de la maintenir telle quelle, l'a emporté. Rappelons que seules les « aires strictement protégées » le sont réellement. Dans les autres, on peut continuer de pratiquer le tourisme, les transports, les activités nautiques. Et le chalutage de fond. « Un désastre pour le climat et la biodiversité, a tweeté Claire Nouvian, de l'ONG Bloom. Votre "nation écologique" est une imposture. » Tout de suite les grands mots !</i></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>Deux jours plus tard, jeudi 5, l'Autorité environnementale rend public son rapport annuel. Les 149 avis qu'elle a rendus tout au long de l'année passée sur les projets autoroutiers, aéroportuaires, nucléaires ou d'aménagement pour lesquels elle a été consultée sont tous fondés sur le même vieux modèle, « avec les mêmes programmes, les mêmes financements » : rares sont ceux qui tiennent compte de la biodiversité et du climat. Bilan : « la transition écologique n'est pas amorcée en France ». Tout de suite les jugements lapidaires !</i></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>Le même jour, deux instituts de recherche, l'Inrae et l'Ifremer, publient l'expertise qui leur a été commandée par le gouvernement sur l'impact des pesticides. Bilan : une catastrophe. On en trouve partout, jusqu'à 3 000 mètres de profondeur, dans les océans, jusqu'aux pôles et, même si les produits chimiques les plus dangereux ont été bannis en Europe, les effets des plus de 50 000 tonnes balancées chaque année en France restent massifs (la pollution est la troisième cause de l'effondrement du vivant) et sous-estimés (on néglige l'impact de l'effet cocktail).</i></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>Ces pesticides entraînent « une fragilisation de la biodiversité et des services qu'elle rend ». Tout de suite de l'agribashing !</i></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>Ce même maudit jour, le WWF indique que ce 5 mai 2022 est le « jour du dépassement » (lire « Plouf », p. 5). La France consomme, pollue, bétonne désormais au-dessus de ses moyens, elle prélève plus de ressources que la nature ne lui en fournit.</i></span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"><i>Heureusement que « planification écologique » rime avec « baguette magique</i></span><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;"> »...</span></div><div style="text-align: right;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 11pt;">J.-L. P.</span> »</div><div style="text-align: right;"><br />
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Car, en effet, ne viser l’après qu’en fonction de la croissance du PIB ou du chiffre d’affaires, c’est ne pas voir plus loin que les possibilités d’enrichissement présentes et les satisfactions à court terme qu’elles promettent.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Épictète enseignait il y a 20 siècles (<i><u>Entretiens</u></i>) : « <i>Il est des gens qui, comme les bêtes, ne s'inquiètent de rien que de l'herbe ; c'est vous tous, qui vous occupez de votre avoir, de vos champs, de vos serviteurs, de vos magistratures ; tout cela n'est rien que votre herbe</i> ». Et il ajoutait : « <i>Parmi ceux qui sont dans cette foire, bien peu ont le rôle de la contemplation et se demandent ce qu'est le monde et qui le gouverne.</i> »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il semble bien que, de manière analogue, les gens de pouvoir actuels, je veux dire ceux qui ont le plus de responsabilités sociales quant aux décisions qu’ils prennent, « ne s’occupent que de leur herbe », et ont une forte réticence à lever la tête pour voir vers quel avenir ils s’orientent et orientent la société.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et s’ils leur arrivent de parler réellement de l’avenir, c’est pure rhétorique, histoire de faire pare-feu à la propagation des expressions de désaveu populaire, afin de pouvoir continuer à brouter leur herbe.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce ne sont pas des arrivistes de la politique ou des milieux d’affaires que viendra une quelconque ouverture à l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La réhabilitation de l’avenir viendra uniquement des milieux populaires.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En voici un bel exemple :</div>
<div style="text-align: center;"><iframe allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="" frameborder="0" height="315" src="https://www.youtube.com/embed/SUOVOC2Kd50?start=15" title="YouTube video player" width="560"></iframe></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-43837202729248882782022-05-06T11:04:00.003+02:002022-05-06T14:50:03.720+02:00Objet acheté, objet à jeter<p> </p>
<div class="separator" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="244" data-original-width="463" height="106" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhEG0QQCStYUpsqDrY4VzQWNMQwNAl8iqwowt1FOyfFVVYC0KJFUF5x0yY-mdZsfivSUDP7xKGWYH99AUxwCEfh1YdCACo4bI9cBDYWFYSPLmaxzRlY9eyyMPDMs1V5OZsAqkI155T-S_sB-N2eA55iYhb8jtdKleUHzq57E114vLupzXuQnA/w200-h106/objetdesigndisrupt.png" width="200" /><br /></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">J’ai acheté un objet !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est beau, lisse et brillant, il a tout plein de fonctionnalités, en tout cas plus que je pouvais songer, et je ne sais trop si je vais me servir de toutes. Mais l’important est qu’il les aie n’est-ce pas ? C’est beau cette puissance potentielle qui dépasse votre propre horizon étriqué d’utilité !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Je le regarde, je le contemple, je le renifle, je jouis de cette nouvelle présence dans ma vie. L’objet est beau par son design discrètement disruptif. Il est beau parce qu’il me place à la pointe du monde qui avance. Je sens que je m’aime encore un peu plus en possession de cet objet.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faudra que je le range à une place qui lui soit digne !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Du coup je détache mon regard pour considérer à l’entour. Il y a partout d’autres objets achetés auparavant. Ils occupent à peu près tous les espaces disponibles : placards, rayonnages, plan de travail, tables, et même quelques angles morts des pièces.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En présence de ma nouvelle acquisition, c’est comme s’ils avaient tous pris un coup de vieux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est vrai, il faudra que je fasse de la place. Il faudra que je me débarrasse de certains. Alors je pense à tous les objets accumulés dans mon débarras. Ni inutilisables, ni utilisés, ils s’entassent, s’empoussièrent, et encombrent. Ils s’enfoncent inexorablement dans la négativité. Ils représentent mon passé, mais aussi mon passif. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est ce que me fait comprendre mon interlocutrice préférée : « Il faudra que tu te décides à emmener tout ça à la déchetterie ! »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Certes, elle a raison ! Ces objets bouffent les espaces de vie des habitations. Mais les jeter, c’est en faire des déchets – la négativité absolue, la crucifixion de la biosphère qui ne peut que s’en empoisonner. Alors qu’ils peuvent encore servir …</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais au moins gardé-je la possibilité d’une belle fâcherie avec mon interlocutrice préférée, ce qui n’est plus évident « … <i>depuis que nous vivons moins, au fond, à proximité d'autres hommes, dans leur présence et dans leur discours, que sous le regard muet d'objets obéissants et hallucinants qui nous répètent toujours le même discours, celui de notre puissance médusée, de notre abondance virtuelle, de notre absence les uns aux autres</i>. » J. Baudrillard, <i>La société de consommation</i> – 1968.</div>
<div style="text-align: right;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">–> <u>Jeu-cadeau</u> : </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><i>S’efforcer de répéter rapidement : « objet-acheté-objet-à-jeter » – le gagnant est celui qui l’aura répété le plus de fois distinctement en un temps donné</i>.</div>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-37517454259372228312022-05-05T06:44:00.006+02:002022-05-05T06:45:58.004+02:00C’était la Bête Époque !<br /><div><div class="separator" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em; text-align: left;"><img border="0" data-original-height="1120" data-original-width="800" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjif1q80RuLmWtZfpuKD28ertZWFBpHPOYCUv9-Qr4ZKMKXPv-OXrT1AukA5VyG2UH7wXO4yk0KiNbZ5Uv5Vs_y3qyywIApHMxGq7QOEpHwq2UMKdQ4OYyX7vqg2hQp2ip0gLIc8EOY-x-rRHjZekoDLQyzC0_uOah__YoJCk1K75tvxNjmZg/w143-h200/explosion.jpg" width="143" /></div><br /><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Souvenirs ! Souvenirs !</div></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était avant la guerre mondiale déclenchée par Poutine en février 2022</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était avant sa frappe nucléaire de « mise en garde spéciale » de l’Occident pour son soutien à l’Ukraine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était avant la sidération et le chaos qui s’en est suivi …</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était une époque où tout semblait égal, où un massacre aveugle dans une école par un desperado de sa propre cause était enfoui parmi les annonces publicitaires et les teasing divers – un prochain événement sportif forcément décisif, une série à ne pas manquer, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était une époque où ce qui était bien était ce qui était bon, et le plus vite possible, et cela ne laissait pas entendre se rapprocher les détonations des armes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était une époque où l’on considérait les maigres cohortes d’adolescents, quelquefois ayant l’air très attardés, qui s’agitaient à alerter sur les dérèglements écologiques, avec des airs de bovins regardant japper des chiots.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’était une époque où l’on s’occupait avant tout de son herbe, puisque les invitations se succédaient « juste là un peu à droite il y a une belle touffe d’herbe encore plus verte, … », et c’est ainsi qu’on avançait dans la vie, sans lever la tête pour s’orienter vers l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oh, oui, c’était la Bête Époque !</div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-35565472237405682802022-01-15T12:39:00.008+01:002022-01-16T05:43:53.523+01:00Que le peuple est insondable … et donc qu’il faut s’engager dans la primaire populaire<blockquote><p style="text-align: right;"><span style="font-size: small;"><span style="font-family: courier;"> « <i>Pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer</i><i> </i>»<br />Étienne de La Boétie, 1548</span></span><br /></p></blockquote><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjqaBKX5xzu0yLCGmBBqbCRRmY77RWPYAKCCe7wMpbgGUZGGVzn48MTnzHnDZIKEJSqvLm__5ycQTmc6SkepHNf2tOzWJD3lV77ogngBIE97awfVYJ81_4eo6mFAQ7WQ17oy2YtpjQ4CB2_XpYACCGhZGKLaag34GnS9cizygxyKMy5Y95Itw=s634" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="597" data-original-width="634" height="188" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjqaBKX5xzu0yLCGmBBqbCRRmY77RWPYAKCCe7wMpbgGUZGGVzn48MTnzHnDZIKEJSqvLm__5ycQTmc6SkepHNf2tOzWJD3lV77ogngBIE97awfVYJ81_4eo6mFAQ7WQ17oy2YtpjQ4CB2_XpYACCGhZGKLaag34GnS9cizygxyKMy5Y95Itw=w200-h188" width="200" /></a></div><br /><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le peuple est insondable.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est l’opinion publique qui est sondable.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’est-ce que l’opinion publique ? Ce que mesurent les sondages.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et que mesurent les sondages ? Une approximation de l’état des jugements de la population concernant les sujets d’intérêt commun à l’instant <i>t</i>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’instant <i>t </i>désigne un présent, celui de la réalisation du sondage. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’opinion publique n’est toujours qu’au présent. Elle n’a aucune portée pour l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tout simplement parce que l’opinion publique ne prend en compte que des réactions. Et la <b>réaction </b>ne veut que rectifier le présent, alors que l’<b>action</b> vise une maîtrise de l’avenir. Je rajoute du sel à ma soupe : réaction. Je décide de manger végétarien un repas sur deux : action.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le sondeur ne demande jamais au sondé ce qu’il pense. Il veut sa réaction immédiate à la question qui lui est posée. Et cette réaction est rigoureusement encadrée : elle doit cocher une des cases correspondant à un nombre réduit de réponses préformatées, le format le plus fréquent étant le oui/non.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, face au sondeur, le citoyen sait que sa réponse à la question impromptue doit être complexe et nuancée. Mais on ne lui laisse pas la possibilité de l’élaborer. Donc il a tendance à réagir selon le moindre risque de mal dire, c’est-à-dire dans le sens du conformisme. Et le conformisme n’est que le dépôt dans les consciences des « vérités » de la mercatocratie (disons « le pouvoir du marché ») telles qu’elles circulent abondamment venant des médias dominants. C’est pourquoi l’on retrouve toujours l’opinion publique alignée sur les idées dominantes présentes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">A contrario, lorsque les citoyens trouvent la possibilité de débattre la manière d’avancer vers le bien commun, que ce soit à l’occasion d’un référendum, d’une convention citoyenne, sur des ronds-points, etc., s’ouvre la possibilité d’un accord des esprits porteur d’avenir car il a valeur de projet politique. Mais alors il ne faut plus parler « opinion publique » mais « voix du peuple ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Parce qu’elle est réaction, l’opinion publique n’a ni mémoire ni avenir. C’est pourquoi elle est fantasque.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Parce qu’elle est action, la voix du peuple s’appuie sur une réflexion qui embrasse l’ensemble du temps vécu : elle sollicite la mémoire et investit l’avenir dans un présent de débats. C'est pourquoi elle est sage.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Puisque nous voulons que la prochaine présidentielle ouvre à un avenir meilleur, oublions les sondages.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il apparaît aujourd’hui que la <a href="https://primairepopulaire.fr/" target="_blank">Primaire Populaire</a>, promue par des citoyens qui ne sont pas partie prenante dans la compétition pour le pouvoir, est l’espace le plus approprié pour que se développe un débat populaire sur le bien commun qui nous ouvrirait l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Parce qu’elle propose une base intéressante de débat dans son « socle commun » à tous les candidats sélectionnés pour leur volonté affichée de sortir notre société des logiques destructrices du marché.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Parce que son mode de vote, « Le jugement majoritaire », amène à se prononcer relativement aux propositions des candidats, plutôt qu’en les sélectionnant dans leur compétition de personnes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Engageons-nous dans la Primaire Populaire, car c’est bien à partir de cet engagement que nous prendrons élan pour une véritable expression démocratique lors de ces élections. <br /></div>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-84899127128848624052021-12-09T10:08:00.019+01:002021-12-10T09:38:45.787+01:00Peut-on être enfermé et libre ?<p> </p>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-nwIdr5m3-OI/YbHG2BnC4eI/AAAAAAAABTg/U98gDWnMW38LF5lFF6a8-NCsoEOyxsukwCNcBGAsYHQ/s320/covid-9-confin-rt.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img alt="immeubles" border="0" data-original-height="244" data-original-width="320" height="153" src="https://1.bp.blogspot.com/-nwIdr5m3-OI/YbHG2BnC4eI/AAAAAAAABTg/U98gDWnMW38LF5lFF6a8-NCsoEOyxsukwCNcBGAsYHQ/w200-h153/covid-9-confin-rt.png" width="200" /></a></div><p></p><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’enfermement porte d’abord atteinte à notre capacité de déplacement. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant la capacité de se déplacer à son gré n’a-t-elle pas été la première conquête de liberté du tout jeune enfant – avancer par ses propres moyens et ne plus subir passivement le portage ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ne doit-on pas considérer la liberté de déplacement comme le fondement de la liberté humaine ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est bien ainsi qu’on semble l’entendre lorsqu’on désigne les lieux d’enfermements institutionnels – les prisons – comme « lieux de privation de liberté » !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais alors comment comprendre que Soljenitsyne ait écrit (<i><u>Le Premier Cercle</u></i> – 1968) : « <i>Quelqu’un que vous avez privé de tout n’est plus en votre pouvoir. Il est de nouveau entièrement libre</i> » ? Il faisait ici référence à son expérience de prisonnier du Goulag en Union Soviétique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette affirmation ne place-t-elle pas la liberté humaine ailleurs que dans la dimension physique sur laquelle ont prise l’enfermement et les mauvais traitements ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On peut clarifier le problème en l’exposant comme la confrontation entre deux affirmations :</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">a. « L’enfermement me prive de ma liberté »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">b. « Je puis garder ma liberté même en étant enfermé »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Certes dans les deux cas je me réfère à « ma liberté ». Mais qui ne voit que « ma liberté » prend 2 significations différentes ? Et que dans le choix entre ces deux significations se joue ce en quoi je me reconnais comme être humain ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Comment exprimer cette différence ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’enfermement modifie ma vie en mettant une limitation à ma mobilité physique. Je ne peux plus l’utiliser à ma guise.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En fait je ne peux jamais utiliser ma liberté de déplacement à ma guise, par limitation physiologique – je ne puis virevolter dans les airs comme l’hirondelle – et par contraintes sociales – je ne puis entrer chez autrui sans son consentement. Mais l’enfermement – salle de classe, lieu de travail, confinement sanitaire, etc. – la met sous une limitation supplémentaire très restrictive. Et je le ressens négativement comme une contrainte.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans le sens (a), mon sentiment de liberté est donc lié à une absence de contrainte.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais dans le sens (b) la limitation de mobilité existe tout autant, et elle est tout autant vécue comme une contrainte. Ainsi la liberté que j’invoque alors pouvoir garder est vécue comme compatible avec le sentiment de contrainte. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Comment puis-je accorder ce sentiment d’être contraint avec le sentiment d’être libre ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Simplement parce que cette contrainte est pour moi un moyen pour atteindre un but que je juge valable. Je la comprends. Je la fais mienne. Je la choisis.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est cette même liberté qu’exerce le citoyen qui accepte la prescription de confinement de l’État pour juguler une pandémie, comme l’aspirant séducteur qui souffre des heures durant sur des équipements de musculation !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’un côté (a), on invoque une liberté d’abord définie négativement – ne pas avoir de contrainte – qui coïncide avec la spontanéité : c’est pouvoir faire ce qu’il nous plaît.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De l’autre côté (b), on invoque une liberté définie positivement comme capacité de se donner un but et les moyens de l’atteindre, c’est une liberté qui implique la réflexion.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Donc à la question posée – peut-on être enfermé et libre ? – la réponse dépend de la signification qu’on donne au mot liberté : </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– liberté comme spontanéité = NON</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">– liberté comme réflexion = OUI</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors, il s’agit de savoir quelle forme de liberté on veut pour soi.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On connaît le motif qui pousse vers la liberté comme spontanéité : elle permet de sortir d’un sentiment négatif – le sentiment de contrainte – pour aller assurément vers un sentiment positif : la satisfaction de faire ce qu’il nous plaît.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais pourquoi alors choisirait-on la liberté comme réflexion ? Après tout elle nous engage dans une période, de durée souvent assez indéterminée, de contrainte pour une satisfaction remise à plus tard – celle d’avoir atteint son but – laquelle garde toujours un caractère aléatoire, car l’avenir n’est jamais totalement en notre maîtrise.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Remarquons la limite de ces arguments. Ils s’appuient sur le critère du sentiment. Or le sentiment est une valeur assez frustre. D’une part, elle ne nous décolle pas du présent ; d’autre part, elle nous réduit à un choix binaire entre le bon et le mauvais car les sentiments sont toujours, soit négatifs, soit positifs. Un comportement qui procède du sentiment vise toujours à rectifier le présent insatisfaisant (sentiment négatif) pour le rendre satisfaisant (sentiment positif). Cela ne va pas plus loin.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et c’est bien là le problème !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut admettre en effet que les comportements procédant du sentiment sont les plus prévisibles. On connaît trop bien le procédé qui consiste à faire peur à quelqu’un de façon à ce qu’il ne fasse plus obstacle à son intérêt. Et l’on sait que le développement de la publicité, en notre société marchande, s’est faite massivement en s’appuyant sur le sentiment – ce qui a conduit à privilégier le message par l’image, laquelle est directement en prise sur l’affectivité. Il s’agit en général d’associer le produit à vendre à la mise en scène d’une situation idéalement satisfaisante s’adressant à des individus-cibles dont on sait que, de ce point de vue, ils ont toutes chances d’être en situation insatisfaisante.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On comprend ainsi que la manipulation des sentiments soit la voie royale pour nourrir les pouvoirs sociaux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui est logique, car alors notre comportement n’est qu’une réaction à un sentiment négatif. Autrement dit nous ne sommes pas la cause principale de notre comportement, mais seulement la « <i>cause partielle</i> » (Spinoza), la cause principale étant du côté de ceux qui ont produit le message de propagande. Car sans eux il n’y aurait pas eu ce comportement.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut avoir la lucidité de reconnaître que nous sommes dans la même logique que le piégeage des animaux : c’est parce que le sentiment de satisfaction lui paraît à sa portée, du fait de l’odeur du fromage, que la souris se fait prendre dans la tapette.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On est amené ainsi à cette conclusion : la liberté comme spontanéité, celle qui se fonde sur la réaction aux sentiments négatifs, ne distingue pas essentiellement l’humanité de l’animalité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, rétorquerait un contradicteur avisé, cet amalgame est inacceptable, car la liberté de circulation, celle que vous dénigrez comme réaction à un sentiment de contrainte, est justement un des « Droits de l’<b>homme</b> » !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oui, et c’est bien parce qu’elle un <b>droit</b> qu’elle n’est plus simplement la liberté de se déplacer à sa guise !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La différence ? C’est que penser en droit nous détache du présent pour nous engager sur l’avenir. Or, ce détachement est spécifiquement humain. Car le droit promeut la liberté de déplacement comme moyen pour un but humainement valable – et c’est bien ce qu’elle est pour l’exilé, mais aussi pour le nomade, l’explorateur, le marchand, l’ethnographe, etc. C’est pourquoi l’exercice de cette liberté peut être vécu comme contraignant – ainsi en est-il des exilés qui choisissent de quitter la terre de leurs ancêtres, et des États qui se font un devoir de les accueillir<sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a href="#_footnote1">[1]</a></span></sup>.
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ma foi, objectera notre contradicteur, l’animal peut tout aussi bien se déplacer pour des buts, par exemple pour trouver une proie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais se détache-t-il véritablement du présent ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Voilà mon chat qui se rapproche de la porte, il s’arrête, se tourne vers le canapé … tout indique qu’il hésite face à une velléité de sortir. Mais il ne saurait réfléchir. Il est simplement tiraillé entre deux comportements contradictoires dont on peut inférer qu’il se les représente par imagination. C’est le sens de la parabole de l’âne de Buridan : si un âne qui a très faim était posté exactement au milieu entre deux seaux d’avoine également attrayants (c’est une situation idéale qui ne peut exister), il se laisserait mourir de faim faute de pouvoir choisir l’un plutôt que l’autre, étant incapable de prendre le recul de la réflexion qui lui aurait permis d’aller manger n’importe où puisque l’essentiel est de continuer à vivre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’il n’y a pas réflexion chez l’animal qui hésite ? Le fait qu’il ne possède pas le langage – le langage au sens humain du terme, c’est-à-dire une langue qui permet de se représenter le monde.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La maîtrise de la langue est la condition nécessaire et suffisante qui rend possible la réflexion. Ce qui se voit clairement dans l’évolution du petit enfant.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’animal qui hésite reste captif du présent. Alors que l’homme qui hésite a, grâce au langage, la capacité de mettre entre parenthèses sa situation présente pour envisager mentalement les conséquences de chacune des possibilités, et évaluer laquelle l’amène vers l’avenir le plus conforme à son but final – c’est ce qui s’appelle réfléchir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette idée est ainsi synthétisée par Simone Weil : « <i>On peut entendre par liberté autre chose que la possibilité d'obtenir sans effort ce qui plaît. (...) La liberté véritable ne se définit pas par un rapport entre le désir et la satisfaction, mais par un rapport entre la pensée et l'action ; serait tout à fait libre l'homme dont toutes les actions procéderaient d'un jugement préalable concernant la fin qu'il se propose et l'enchaînement des moyens propres à amener cette fin.</i> » (<i><u>Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale</u></i>. 1934)</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Est-ce à dire que la liberté comme spontanéité doit être purement et simplement rejetée comme illusoire ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Non, elle est au fondement de notre sens de la liberté. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est l’opposition vécue entre l’état de contrainte corporelle et son absence qui nous a révélé la liberté comme valeur. C’est d’abord la liberté dans sa dimension corporelle – l’accès à l’autonomie de déplacement – qui a donné sa valeur au processus de croissance du nouveau-né que nous fûmes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De ce point de vue, il y a une continuité entre la liberté corporelle (acquisition de toutes ses facultés de mobilité) et liberté spirituelle (l’âge de raison vers 6 ans), la seconde se développant sur l’acquisition de la première, comme dépassement de ses limites eu égard aux exigences mentales du petit enfant s’étant approprié le langage.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En effet la maîtrise de la langue permet à l’enfant de se représenter le monde dans sa permanence, et lui-même comme sujet dans le monde. Le monde en sa permanence est le cadre ultime en lequel il se situe et grâce auquel il peut se détacher du présent pour investir l’avenir et s’intéresser au passé. Il peut ainsi poser ses propres buts, faire des projets : « <i>L'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir</i>. » (Sartre, <i><u>L’existentialisme est un humanisme</u></i>, 1946)</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce n’est que parce qu’on a toujours déjà connu l’enfermement, celui de l’incapacité de mobilité du nouveau-né, qu’on a découvert, en devenant autonome en mobilité, le bonheur du goût de la liberté. Et c’est en vertu de ce goût de la liberté qu’on a dépassé la spontanéité pour devenir libre par la réflexion. La réflexion nous permet d’affirmer non seulement notre liberté dans l’espace, mais aussi dans le temps, en faisant des projets. Elle nous donne la possibilité de vivre librement un enfermement.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Rappelons-nous ! Lors du confinement du printemps 2020, on ne pouvait certes plus « courir les centres commerciaux », mais on s’est mis à réfléchir sur « le monde d’après ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La liberté est toujours la faculté de choisir entre des comportements possibles.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Les « droits de l’homme et du citoyen » déclinent le principe que les sociétés doivent s’organiser de telle manière qu’elles laissent la plus grande ouverture au champ des possibles concernant les dimensions essentielles du comportement humain, et d’abord la mobilité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le droit de libre circulation, en limitant les contraintes sociales au déplacement<sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a href="#_footnote2">[2]</a></span></sup>, ouvre un espace de spontanéité. On peut d’ailleurs dire la même chose de tous les autres droits – d’expression, d’opinion, de croyance, de réunion, etc.
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais en tant que spontané, tout comportement peut aisément amener à des conséquences néfastes (être pris sous une avalanche en montagne). La réflexion sert donc à sélectionner à l’intérieur des possibles par spontanéité celui qui est le plus intéressant, non seulement parce qu’il ne mettra pas sa vie en danger, mais parce qu’il permettra d’avancer dans les buts qu’on donne à son existence.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On le voit clairement : ce n’est pas parce qu’on vit dans le cadre des libertés ouvertes par les droits humains – les libertés dites « démocratiques » – qu’on est humainement libre. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><b>Les</b> libertés ne nous garantissent pas <b>la</b> liberté, elles nous en donne la responsabilité : car si on ne vit pas une vie humainement libre, c’est-à-dire en donnant un sens à sa vie et en s’efforçant d’avancer en ce sens, on ne pourra pas incriminer la société parce qu’elle nous aurait contraint.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et ne faisons pas de cette responsabilité une prise de tête incessante. La réflexion n’exclut pas la spontanéité, elle s’en nourrit. L’existence humaine est un rythme en lequel les moments de sérieux, ceux où l’on s’occupe de ses projets, appellent des moments de légèreté en lesquels on s’ouvre à la spontanéité – ce sont les cris et éparpillements des enfants investissant la cour de récréation après la classe. Car, nous l’avons appris d’expérience, pour donner un sens à son existence – ce qui est l’expression même de la liberté humaine – il faut savoir se ressourcer périodiquement en sa liberté enfantine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">
<hr align="left" size="1" width="33%" /><p id="_footnote1" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> On sait que ce n’est souvent pas le cas dans notre société libérale avancée désormais mondialisée. Alors même qu’elle revendique la mobilité comme une valeur maîtresse. C’est là un flagrant délit d’inhumanité, puisque tout est fait par ailleurs pour favoriser la circulation des biens marchands.</span></p></div>
<p id="_footnote2" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref2">[2]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Il y a aujourd’hui une régression dans l’exercice de ce droit. Car les contraintes sociales sont devenues extrêmement lourdes pour ceux qui n’ont pas de véhicules pour utiliser les infrastructures routières – c’est le cas tout particulièrement des enfants.</span></p>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-71578703448508197842021-11-05T15:49:00.025+01:002021-12-16T11:32:48.467+01:00Devenir de la vie privée<br />
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-kzhq06BwNJ4/YYVWtaNzOmI/AAAAAAAABSU/cr6BBEJWxQccaiJML7AYmkovxw4R0eN-ACLcBGAsYHQ/s1024/oeil-camera.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1024" data-original-width="1024" height="200" src="https://1.bp.blogspot.com/-kzhq06BwNJ4/YYVWtaNzOmI/AAAAAAAABSU/cr6BBEJWxQccaiJML7AYmkovxw4R0eN-ACLcBGAsYHQ/w200-h200/oeil-camera.jpg" width="200" /></a></div><br />Rappelons-nous le début des années 2000. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous vivions dans une atmosphère de libération liée à
l’accessibilité de l’informatique, et à l’apparition continuelle de
nouveaux outils numériques. Cela signifiait un immense élargissement de
nos possibilités de choix – choisir son matériel, son système
d’exploitation, ses logiciels (souvent téléchargés gratuitement),
choisir de « naviguer » où bon nous semble, de communiquer, de nous
exprimer à l’échelle du monde sur Internet, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais moins d’une décennie plus tard l’atmosphère avait bien changé.
On était passé d’une culture informatique de la confiance à une culture
informatique de la défiance.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N’importe qui peut savoir ce que vous faites sur votre ordinateur
connecté si vous ne mettez pas des dispositifs de sécurité. Il faut
toujours mettre à jour les logiciels pour combler des failles de
sécurité qui n’arrêtent pas de s’ouvrir. Ce qui n’empêche pas que nous
constatons de multiples traces d’utilisations non consenties
d’informations nous concernant – comme la réception de publicités
ciblées.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement, l’impact le plus significatif de ce qu’on appelle la
révolution numérique ne serait-il pas le recul, voire la perte de notre
vie privée ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et pourtant nous participons à peu près tous activement au
développement du numérique …</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N’est-il pas temps de nous poser la question de la valeur de notre
vie privée ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">Que perdrions-nous en perdant notre vie privée ? </h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le mot « privé » vient du latin <i>privare </i>qui signifie originellement
« séparer », « mettre à l’écart ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Du coup le latin <i>privus </i>est ambivalent car il signifie à la fois, ce
qui est propre à un individu, et le fait qu’il soit privé de quelque
chose.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui amène à interpréter le qualificatif « privée » accolé à « vie
» comme cette part de la vie qui n’appartient qu’à soi, et c’est là sa
face positive, mais qui n’est telle que parce qu’elle est privée de
quelque chose.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Privé de quoi ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De la vie publique, celle où l’on est confronté à tous les profils
humains qui composent une société, et avec lesquels on doit se mettre
d’accord pour vivre ensemble.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’opposition entre public et privé remonte à l’antiquité grecque et
exprime fondamentalement une structuration de l’espace. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’espace public est celui de la vie sociale et de la politique ;
l’espace privé est celui de l’habitation et de ses dépendances (la
maisonnée) qui permet de satisfaire aux besoins d’entretien et de
reproduction de la vie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’espace public est ouvert, l’espace privé est fermé pour qu’il ne
bénéficie qu’à ceux qui y habitent. C’est pourquoi on en contrôle
souverainement l’accès. Il est donc a priori soustrait à l’intrusion
des pouvoirs sociaux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi la vie privée implique une partition contraignante de l’espace
ouvert de la planète, contraignante parce qu’elle est une restriction
de la liberté de déplacement.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, du point de vue des Anciens (grecs et romains) – et c’est ce
dont rend compte l’étymologie – en notre espace privé, on est en effet
privé de l’expression de la liberté propre à l’homme qui se réalise
dans l’espace public par l’action politique. Car, nous dit Aristote, «<i>
l’homme est un animal politique</i> », c’est-à-dire qu’il réalise son
humanité en s’investissant dans l’espace public (comme nous le faisons
en ce moment). Ce que ce philosophe justifie par la capacité de langage
propre à l’homme qui lui permet d’intervenir dans l’espace public, là «
<i>où l’on décide du bien et du juste</i> ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi la vie publique, en laquelle s’épanouit la parole humaine pour
définir le bien commun en fonction duquel on est d’accord pour vivre
ensemble, et donc pour se donner des règles communes, serait la
véritable finalité de l’existence humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La vie privée apparaît alors n’être que relative la vie publique :
elle n’en est que le moyen nécessaire. Elle n’est pas une valeur en
soi. Après tout, nos besoins vitaux ne nous apparentent-ils pas à
l’animal ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour mettre en perspective cette conception si clairement
hiérarchisée de la partition vie publique/vie privée léguée par
l’Antiquité, il faut se poser la question de son universalité : la
retrouve-t-on toujours et partout ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">Cette structuration binaire fondamentale de l’espace vécu est-elle
universelle ?</h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La partition spatiale selon l’opposition privé/public, établie par
les Grecs et adoptée par les Latins, apparaît liée à l’histoire de
l’Occident.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais ce que l’on peut constater, toujours et partout, c’est le
besoin des humains de matérialiser un espace de confiance dont ils
marquent et contrôlent la limite qui le circonscrit, par opposition à
l’espace ouvert aventureux et risqué. Cela se retrouve même dans le
camp provisoire du nomade ou chez nos campeurs estivaux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour exprimer cette généralité, nous pouvons parler d’une loi
anthropologique de partition de l’espace entre un « espace d’habitation
», fermé, et un « espace aventureux », ouvert.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut alors prendre en compte que, suivant les époques et les
lieux, il y a de grandes variations dans la caractérisation de cette
opposition entre deux espaces. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En extension, l’espace d’habitation peut être, comme aujourd’hui,
ajusté à la cellule familiale, mais aussi se dilater jusqu’à la
communauté, selon la définition qu’en donne l’allemand Tönnies (1887) :
« <i>Tout ce qui est confiant, intime, vivant exclusivement ensemble
est compris comme la vie en communauté</i> ». Les microsociétés dites «
premières » (comme en Amazonie), mais aussi les unités villageoises
traditionnelles ont ce caractère d’espace communautaire d’habitation
protégé. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Est frappante alors la relation inverse qui s’établit entre
l’extension de l’espace d’habitation, et la valorisation de l’espace
aventureux – plus le premier est élargi, plus on se défie du second.
Pendant tout le Moyen Âge, et jusqu’au XVIII° siècle, en Occident,
hors des limites du village, ou des fortifications du château, l’espace
est considéré comme le réservoir de tous les dangers – bêtes féroces,
bandits de grands chemins, soldatesque en transit, etc. D’ailleurs,
c’est aussi l’espace des déclassés : mendiants et vagabonds, bandits de
grands chemins, etc. Ce qui amène à noter que ces espaces privés
élargis correspondent à des structurations sociales fortement
hiérarchisées, avec une quasi impossibilité de mobilité sociale. Ce qui
se comprend : l’espace aventureux est d’autant plus investi qu’il ouvre
des possibles.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En contrepoint, là où l’espace d’habitation est réduit à la famille,
même élargie (souvent aux 3 générations co-vivantes) – par exemple chez
les Grecs et les Latins, mais aussi, avec l’époque moderne, la maison
ou l’appartement bourgeois, l’espace extérieur devient espace public,
avec possibilité de mobilité sociale et est, en cela, fort investi.
C’est là que le maître de maison réalise l’essentiel de sa vie, c’est
bien pourquoi la capacité à sortir de l’habitation, qui est alors, au
sens propre, un domaine privé, devient une revendication de ceux qui
lui étaient traditionnellement soumis, les femmes et les jeunes gens. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, cette espèce de loi de relation inverse, étonnamment, ne se
vérifie pas pour notre époque moderne. Bien que l’espace d’habitation
soit en général réduit à sa plus simple expression, celle de la cellule
familiale basique, voire de la famille monoparentale, l’espace qui lui
est extérieur est l’objet d’un investissement ambivalent. Certes il est
toujours investi comme un espace public rendant possible une mobilité
sociale, mais il est aussi vécu très négativement comme source de
dangers pour sa vie privée.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui pour qu’on en vienne à se poser
le problème de la sauvegarde de sa vie privée ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">En quoi notre vie privée serait-elle menacée ?</h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Par rapport à ce que nous avons déjà vu, il faut d’abord
s’interroger, qu’elle est cette vie privée qui serait menacée ?
A-t-elle quelque chose de commun avec la vie privée des grecs ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oui, en ce qu’elle correspond à l’unité d’habitation familiale.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais l’exigence de l’entretien et de la reproduction de la vie ne se
posent plus du tout de la même manière. Elle est considérablement
allégée dans notre société qui crée toujours plus de robots techniques
pour accomplir les tâches quotidiennes, tout en mettant à disposition
une abondance de biens nécessaires à la vie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dès lors que les besoins vitaux sont aisément assurés, n’est-il pas
inévitable que, sa fonction fondamentale étant beaucoup moins
impérieuse, la vie privée perde de sa sacralité ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Au fond, comme l’avaient montré les Grecs, le domaine privé est
d’abord le domaine de la nécessité, alors que le domaine public est
celui de la liberté. À partir du moment où la pression de la nécessité
diminue, il est normal que l’espace privé se restreigne et devienne
beaucoup plus poreux à l’espace public.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est ainsi que, depuis quelques décennies, le quidam n’a eu aucun
scrupule à ménager des entrées de l’espace public dans son espace privé
– la radio, la télévision, le téléphone, le minitel, Internet, et
maintenant le smartphone, soit la connexion permanente à l’espace
public grâce à un terminal portable.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La régression actuelle de la vie privée n’est-elle pas le signe
d’une libération de l’humanité (au moins en partie) de son
asservissement immémorial aux nécessités naturelles ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N’est-ce pas ce qu’illustre d’ailleurs le mouvement de libération
des femmes qui auparavant étaient assignées dans l’espace privé ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">À ce stade on entend l’objection : c’est précisément Internet qui
est en cause parce qu’il collecte des tas de données sur nous, que nous
réservons à notre domaine privé, sans notre consentement, et dont il
est fait un usage intéressé qui nous échappe, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Notre participation au monde numérique ne menace-t-elle pas
l’existence même de notre vie privée ? </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">Le monde numérique menace-t-il l’existence de la vie privée ? </h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le monde numérique, en lequel nous sommes fortement sollicités à
nous inclure, n’est-il pas la manifestation d’un pouvoir qui ambitionne
de prendre un contrôle total sur notre personne, même dans sa vie
privée, autrement dit un pouvoir totalitaire ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais il ne faut pas avoir la mémoire courte. Il faut se rappeler
qu’à l’origine le monde numérique n’a été en aucun cas un projet de
pouvoir totalitaire venant d’une caste dominante.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le développement de la technologie informatique comme une
multiplicité d’ordinateurs personnels connectés en un réseau global est
né d’initiatives d’individus qui n’avaient ni capitaux, ni visée
affairiste, ni positions de pouvoir, mais le savoir, la compétence
intellectuelle et la curiosité d’explorer des voies techniques inédites
et qu’ils jugeaient libératrices. C’est ainsi que, de naissance,
Internet est un réseau de communication décentralisé, et qu’il s’est
manifesté, pendant ses premières années, comme société alternative de
solidarité et de partage, dans une organisation parfaitement sauve de
pouvoirs dominant.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, cette technique de communication numérisée en réseau a une
capacité remarquable : elle abolit l’espace ! Sur un terminal connecté
vous communiquez aussi bien pour séduire un(e) éventuel(le) partenaire
sexuel(le), que pour participer à un débat politique, acheter ou vendre
quelque bien, et ceci où que soient géographiquement les
interlocuteurs. Et vous communiquez dans l’immédiateté : ils sont là,
en présence numérique. Autrement dit, vous êtes dans un espace qui
annule la structuration à laquelle depuis toujours vous vous référiez
en opposant espace privé et espace public.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Du point de vue des pionniers de l’informatique, cette disparition
de la séparation vie publique/vie privée a été vécue comme une
libération. C’est comme si la fameuse frontière qui a toujours
circonscrit l’espace privée, s’était tout-à-coup dissoute, et que l’on
pouvait à son gré, simplement en choisissant à qui on s’adresse,
établir une communication soit en intimité, soit ouverte à tous, sans
qu’il soit question de frontière à franchir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais il a fallu assez vite, dès le début du millénaire, déchanter.
On ne parle pas à quelqu’un sur Internet comme on parle sur la terrasse
d’un bar, où l’on peut évaluer le contexte de l’émission vocale et si
besoin baisser la voix, mettre sa main en cache, pour dire quelque
chose de très personnel. Nous échappent totalement les canaux par
lesquels transitent nos messages. On a pris conscience que n’importe
quel tiers, par un agencement technique adéquat, pouvait avoir accès,
et de multiples manières, au message et aux conditions de son émission,
et même au contenu de l’ordinateur avec lequel on l’émet.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est ainsi qu’est arrivé le temps des mots de passe, des cookies,
des pare-feu, des virus et antivirus, des mises à jour de sécurité,
etc. On avait une frontière bien visible à surveiller. On en a
aujourd’hui une multitude, avec, pour les surveiller, des outils que
d’autres nous accordent et sur lesquels nous n’avons aucune maîtrise
technique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Désormais, chacun de ceux qui possèdent un terminal de connexion à
Internet sait qu’il est profilé dans de multiples bases de données qui
s’alimentent de ses passages sur le réseau, sans qu’il puisse les
contrôler. Mieux ! La récolte systématique et aussi poussée que
possible de données personnelles sur Internet, est promue comme la
bonne pratique dans les écoles enseignant « les nouvelles technologies
». Et la généralisation récente des smartphones toujours connectés a
surmultiplié la moisson abondant les bases de données. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette numérisation de la vie de chacun ne se source pas uniquement
sur Internet puisque des caméras, voire des drones, sont placés en
surveillance – et le plus souvent par les autorités publiques – de
manière de plus en plus dense, avec la possibilité d’identification des
individus par reconnaissance faciale.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, la loi protège la vie privée – art. 12 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme des Nations unies : « <i>Nul ne sera
l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée</i> », reprise par
l’article 9 du Code civil français. Ainsi, le droit est constamment
bafoué, et même par ceux qui sont en charge de le faire respecter. En
fait, il est clair que la rapide numérisation de la société, et les
pratiques qu’elle a promues, ont rendu la loi inapplicable : comment
chaque citoyen pourrait-il « <i>gratuitement, sur simple demande avoir
accès à l’intégralité des informations le concernant sous une forme
accessible</i> » ( CNIL) de la part de Google, ou de toute autre organisme
qui le fiche ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Donc, oui ! Le monde numérique menace gravement l’existence de notre
vie privée, au sens où, en ce monde, il n’y a plus la possibilité de
tracer une frontière contrôlable pour préserver tout ce que, en notre
vie, nous voulons garder hors de tout regard extérieur à notre sphère
personnelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Même les règles de droit gravées dans le marbre des textes les plus
sacrés de notre civilisation, ne peuvent nous protéger de ces
intrusions.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, avons-nous fait ce qu’il fallait quand il le fallait pour que
le droit prévale ? N’avons-nous pas fermé les yeux sur la vulnérabilité
intrinsèque à la vie numérique, tout accaparés que nous étions à
profiter des facilités de communication que nous offrait ce nouveau
monde ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’ailleurs, même du point de vue de la sécurité, le bilan n’est
peut-être pas si négatif. Le monde numérique, en quelques clics, met à
disposition des informations qui permettent d’anticiper d’éventuels
dangers pour soi ou ses proches, et lorsque ces proches se trouvent
éloignés spatialement, il permet de s’assurer de leur bonne situation,
d’une manière générale il facilite le repérage, par les autorités
d’agissements d’individus malveillants pour la sécurité publique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Où serait précisément le mal, si le bilan est positif entre la
menace sécuritaire qu’implique l’aspiration de nos données privées – on
en a l’idée en particulier avec les mésaventures, voire les drames, de
certains qui se trouvent trop à découvert sur les réseaux sociaux – et
le gain global de sécurité personnelle et collective qu’amène le monde
numérisé ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, justement, la sécurité peut-elle être un but en soi ? La visée
d’une existence humaine peut-elle être réduite au contentement de
survivre, même douillettement ?</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">La voie totalitaire</h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous savons que la venue du monde numérisé a abouti à donner un
nouveau dynamisme aux échanges marchands, et a donc conforté la
mercatocratie (le pouvoir du marché). Or, la finalité de l’existence
humaine promue par l’idéologie marchande tient dans la formule «
réussir sa vie ». Et cela signifie se donner les moyens, mieux que les
autres, de satisfaire ses désirs, et donc de maximiser ses situations
de bien-être liées à la consommation de biens marchands, et donc d’être
gagnant dans la compétition pour l’enrichissement.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">De ce point vue, le monde numérisé connecté en un réseau mondial se
présente comme un formidable outil pour réussir sa vie : facilitation
d’accès aux biens qu’on désire acheter ou vendre, comparatifs de prix,
spéculation aisée sur les valeurs boursières et surtout sur les
monnaies numériques, revenus acquis par les clics sur les pages
aguicheuses que l’on a mis en ligne, etc. Ce n’est pas un hasard si des
fortunes mirobolantes se sont construites, ces dernières décennies, par
l’exploitation du monde numérique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, il faut avoir conscience que ces désirs liés à la consommation
se vivent généralement sur le mode du besoin, c’est-à-dire comme des
nécessités : on dit qu’on a besoin d’un nouveau smartphone, de changer son véhicule, etc. !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourquoi a-t-on besoin, par exemple, d’un véhicule surdimensionné
pour faire individuellement de simples trajets interurbains sur des
voies en parfait état ? Parce que l’imaginaire par lequel on investit
cet objet est la réponse par réaction à une interpellation venant de la
société – la publicité et les influenceurs de tout acabit finissant par
créer un effet de mode – qui signifie à l’individu que c’est son
identité qui est en jeu dans l’acquisition de ce bien. Alors, de ce
point de vue, il n’a pas le choix. Il ne peut pas envisager de ne pas
se reconnaître, de ne pas être reconnu, dans sa valeur propre, parce
qu’il ne conduit pas le bon véhicule.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et c’est bien parce que ces désirs sont vécus comme des besoins, que
sont si nombreux les individus qui acceptent de consacrer la majeure
partie de leur temps de vie en veille, comme l’essentiel de leur
énergie vitale, à des activités qui ne les concernent que très peu, ou
pas du tout, pour de l’argent.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On présente la société industrialo-marchande de consommation, comme
la société du triomphe du désir et du plaisir. En réalité nous vivons
dans une société essentiellement besogneuse, une société de nécessiteux.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cela, Hannah Arendt l’avait déjà reconnu dès 1958 dans <i><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Condition_de_l%27homme_moderne" target="_blank">Condition de l’homme moderne</a></i> : « <i>On dit souvent que nous vivons dans une société de
consommateurs et puisque, nous l'avons vu, le travail et la
consommation ne sont que deux stades d'un même processus imposé à
l'homme par la nécessité de la vie, ce n'est qu'une autre façon de dire
que nous vivons dans une société de travailleurs.</i> »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, dès cet ouvrage, la philosophe avait pointé un délitement de la
vie privée de « l’homme moderne ». Elle montrait en effet que cet
avènement de la société du travail et de la consommation impliquait une
dégénérescence de l’espace public.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Rappelons que l’espace public avait été reconnu par les Anciens
comme le lieu où prenait sens l’existence humaine, en ce que le citoyen
y exerçait sa liberté la plus humaine, celle de s’investir pour le bien
commun de la société. Mais l’espace « public » de la société moderne ne
se préoccupe plus de l’avenir comme perspective de la réalisation
d’un bien commun. Puisqu’il est absorbé par l’extension et
l’intensification des flux marchands et l’enrichissement qu’ils
génèrent – ce qu’on appelle la « croissance » (du PIB).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, ce qui caractérise la condition de l’homme moderne, nous
explique Arendt, c’est que la formulation de ses besoins et la gestion
de leur satisfaction ne sont plus l’apanage de la sphère privée, mais
sont devenus l’affaire essentielle de la société. Ce qui se voit
clairement lorsqu’on vous fait comprendre, sur Internet, que, plus vous
donnerez accès à votre vie personnelle, plus on sera à même de proposer
la réponse adéquate à vos besoins, et même de les anticiper.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La société de travail et de consommation, c’est l’obsolescence de la
vie privée par son absorption dans la vie sociale à la main des
véritables maîtres, les majors de l’économie, qui sont en position
d’orienter les besoins en fonction des biens qu’ils ont intérêt à
mettre sur le marché. Pas de besoin de SUV sans une décision de
concevoir et promouvoir des véhicules offrant une plus grande marge de
bénéfices, pas de besoin de PMA sans une offre distillée dans les
cabinets médicaux, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais alors, la société, au lieu de nous ouvrir la plénitude de l’avenir
dans la visée du bien commun (ce qu’était l’espace public des Anciens),
nous arrime au présent, puisque c’est toujours au présent qu’on a
besoin. Et l’investissement de l’avenir ne va pas plus loin que
l’attente du bien qui apportera la satisfaction, laquelle attente doit
être la plus courte possible : nous savons que le commerce sur Internet
ne cesse d’en réduire le délai. Au-delà, le seul avenir qui est pris en
considération est celui de l’anticipation, par les grands
affairistes et les politiques qui leur sont liés, des besoins et des
productions à venir – ce qui projette à une ou deux décennies. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pour cela que la société moderne est intrinsèquement
courtermiste, et donc incapable de maîtriser les conséquences
écologiques de ses activités.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Hannah Arendt incriminait la société de consommation à une époque en
laquelle on ne soupçonnait même pas la possibilité d’un monde
numérique. Mais ce dernier étant advenu, on se rend compte qu’il a
pleinement accompli la tendance qu’avait décelée Arendt, d’une
disparition de la vie privée. En effet le monde numérique, en
abolissant l’espace, élimine le seul pouvoir qu’ont les individus pour
instituer leur domaine privé : circonscrire leur espace d’habitation et
en contrôler souverainement la limite.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Certes, l’espace d’habitation est bien toujours là, mais le pouvoir
social exerce une pression intense – particulièrement voyante dans
l’extension de la polyvalence du smartphone – pour que de plus en plus
d’actes de la vie courante se fassent par écran connecté interposé,
c’est-à-dire dans le monde numérique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or là est la voie du totalitarisme, c’est-à-dire d’un système de
pouvoir tendant à la totalité. Car, nous projetant ainsi dans un monde
en lequel chacun peut lui être totalement transparent, le pouvoir
mercatocratique se donne effectivement les moyens de contrôler la
totalité de la société, mais aussi la totalité de la vie de ceux qui la
composent, et donc de maîtriser les choix de comportements de chacun.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut envisager que le « tous-connectés-toujours-et-partout » vers
lequel est emmenée la société aujourd’hui nous avoisine dangereusement
du totalitarisme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais n’est-ce pas en ce contexte que la résistance au nom de la
défense de sa vie privée prend son sens ? </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt;"><h2 style="text-align: left;">Le sens de la résistance au nom de la vie privée</h2></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Chacun de nous sait, intuitivement, que son existence ne peut se
limiter au courtermisme en lequel voudrait l’enfermer la société de
consommation. Une vie humaine ne peut se satisfaire de l’accumulation
de petites attentes et de petites satisfactions. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Que lui manque-t-il que la société moderne soit incapable de lui
apporter ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est temps de rappeler que la vie privée est l’espace qui prend en
charge les nécessités de la vie. Or, il apparaît ici qu’il faut étendre
ce domaine de la nécessité au-delà des simples besoins à court terme.
Car il y a une nécessité proprement humaine et qui est à long terme,
c’est la nécessité de donner un sens à sa vie ! Alors que les autres
espèces ont une finalité assignée par la biosphère, l’humain seul doit
choisir ce qu’il fait de sa vie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pourquoi chacun a une part de lui-même qui revendique la
perspective d’un bien comme un idéal humain en fonction duquel se
feront ses choix de vie. Et l’on sait qu’au niveau social cette
finalité s’appelle le bien commun. Or, il y a une priorité du bien
commun sur le bien personnel, car une vie sociale pacifiée est la
condition nécessaire pour faire valoir son propre bien. Et la pensée du
bien commun implique que l’on se place dans la filiation du passé – en
fonction de quel bien commun les sociétés antérieures se sont-elles
situées ? – et que l’on investisse l’avenir dans sa plénitude – dans
quelle direction penser l’avenir de l’aventure humaine ? – ce qui n’est
que vivre dans une temporalité humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Par contre, c’est le propre du courtermisme de la société de travail
et de consommation d’évacuer cette dimension humaine. Son seul horizon,
c’est de pourvoir aux besoins présents quitte à ce qu’ils soient
provoqués en fonction d’intérêts marchands. Or cette temporalité
déterminée par les besoins et leur satisfaction est assurément la
temporalité de l’animalité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Laisserait-on penser que notre élite affairiste vivrait et voudrait
nous faire vivre animalement ? L’expérience nous apprend, en tous cas,
qu’elle est incapable de prendre en charge l’avenir puisque, malgré les
alertes répétées, elle a mis l’humanité dans une crise, à la fois
écologique et sociale, qui, tant qu’elle a le pouvoir, ne trouve aucune
issue.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourquoi l’envahissement rampant de notre vie par les antennes de la
société de consommation, afin qu’elle lui devienne totalement
transparente, est-il vécu comme une menace, malgré tous ses avantages ?
N’est-ce pas parce que nous sentons que c’est notre droit à nous
projeter dans l’avenir, à donner un sens à notre vie, à exercer notre
liberté humaine, qui est ici en cause ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Car c’est bien d’un domaine privé dont nous avons besoin pour
cultiver cette liberté ! Dans le cadre familial l’enfant essaie de
comprendre les choix de ses proches (ce qu’illustre le questionnement
du petit enfant à ses parents), dans son intimité personnelle il
enrichit par son imaginaire le monde de possibles qu’il peut ensuite
mettre à l’épreuve déjà par le jeu, et ensuite dans la réalité, soit en
essayant, soit en se confrontant à l’opinion d’autrui. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’exercice de notre liberté humaine est l’affaire la plus importante
de notre existence. Avant d’être transplantée dans le grand air d’un
espace public de débats, où elle s’épanouira, la liberté doit se
cultiver de manière protégée, comme en serre. Et cette serre ne
peut-être qu’un domaine de vie hors d’atteinte des menées d’une
mercatocratie qui révèle aujourd’hui ses tendances totalitaires.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut donc nous réserver un espace de vie privée ! Il faut savoir prendre le temps de lever la tête de nos écrans (merci quand même de m’avoir lu jusqu’au bout :). Non pas par peur d’un envahissement qui s’emparerait de je ne sais quel trésor sis en notre ego. Mais parce que c’est la voie pour que nous reprenions la main sur le bien commun, et donc la condition pour nous redonner un avenir.<br /><br /></div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-61981646209115467782021-10-11T12:04:00.007+02:002021-11-14T17:26:30.834+01:00L’industrie nucléaire, la contamination sans retour, et la mer
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-LIyPNX97XM8/YWQJpPww8gI/AAAAAAAABQ0/PiSXji1boFkqsrRQXlqFpjh95ptLO_l6gCLcBGAsYHQ/s300/Plutonium239_ring.jpg" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="285" data-original-width="300" height="190" src="https://1.bp.blogspot.com/-LIyPNX97XM8/YWQJpPww8gI/AAAAAAAABQ0/PiSXji1boFkqsrRQXlqFpjh95ptLO_l6gCLcBGAsYHQ/w200-h190/Plutonium239_ring.jpg" width="200" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Plutonium 239<br /><div></div></td></tr></tbody></table><br /></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-align: left; text-indent: 0.39in;">Il faut réagir aux discours lénifiants qui, aujourd’hui, présentent l’industrie nucléaire comme une solution raisonnable à la contradiction entre le nécessaire abandon des ressources énergétiques carbonées, et la voracité énergétique de l’économie de marché.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-align: left; text-indent: 0.39in;">Comme préalable, rappelons que l’économie de marché est une économie de gaspillages tous azimuts, car, par sa finalité propre – l’enrichissement pécuniaire – ce qui lui importe n’est pas le bon usage des meilleurs biens, mais l’extension et l’intensification des flux marchands. C’est pour cela qu’elle ne perdure que par un activisme sans répit qui aliène les vies humaines et ravage la biosphère.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais quand on parle de l’industrie de l’énergie nucléaire, de quoi parle-t-on ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><span style="color: blue;"><u></u></span><a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2019/06/michel-serres-eternel-optimiste.html" target="_blank">Michel Serres écrivait en 1974</a> que « toute l'utilité du savoir, à peu près, est canalisée vers la mort. » C’était à l’époque où se mettait en place l’industrie nucléaire française. Or cette industrie est fille de la mort puisqu’elle est dérivée de la mise au point et de la construction de la bombe atomique. D’ailleurs le principal sous-produit des « centrales atomiques » (on a abandonné, depuis, l’adjectif « atomique » parce qu’il faisait trop penser à la bombe), le plutonium, sert à fabriquer les bombes. Mais, dans sa généralité, la citation de Serres souligne le lien étroit entre les grandes avancées scientifiques et la course aux armements : les premières avancées de la mécanique ont servi à mieux ajuster le tir au boulet de canon, les premières fusées ont projeté des charges explosives sur des populations du camp ennemi, etc.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’est-ce qu’un réacteur nucléaire sinon une bombe atomique extrêmement ralentie – du moins tant qu’on contrôle (voir <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Three_Mile_Island">Three Miles Island</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Catastrophe_nucl%C3%A9aire_de_Tchernobyl" target="_blank">Tchernobyl</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Fukushima" target="_blank">Fukushima</a>) ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a la même réaction en chaîne de matériaux lourds, avec la même production de chaleur ; mais cette chaleur, au lieu qu’elle surgisse en un instant en grillant tout alentour, se dissipe dans le temps de telle sorte qu’elle peut être convertie en électricité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et, à la sortie, il y a les mêmes saloperies.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La principale est le plutonium 239, très toxique par son émission continue de rayons <span style="font-family: Constantia;">α</span>. Dès lors qu’il est présent dans l’organisme, même en quantité infime (quelques microgrammes), il peut être mortel. D’autant plus que sa longévité est considérable : il faut 24 000 ans pour que sa radioactivité diminue de moitié. C’est donc une substance qu’il faut strictement confiner, non pas seulement hors des humains, mais hors de la biosphère, pour qu’elle ne la dévaste pas en s’insérant dans les chaînes alimentaires, pendant au moins 200 000 ans !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, on en est déjà aujourd’hui à devoir gérer plusieurs milliers de tonnes de ce déchet produit par l’industrie nucléaire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ajoutons que ce confinement est très délicat à réaliser : il doit être disséminé puisque la masse critique du plutonium 239 est de 10 kg – un bloc de 10 kg suffit pour que se déclenche spontanément la réaction en chaîne, c’est-à-dire pour que ça explose. Comme c’est un matériau extrêmement dense, un simple cube de 10 cm de côté serait déjà une bombe atomique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">200 000 ans est une échelle de temps parfaitement inhumaine : il est impossible à l’être humain de se projeter en une telle temporalité (il y a 200 000 ans nous n’existions même pas en tant qu’homo sapiens), par exemple pour assurer un suivi des règles de confinement du plutonium 239. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’industrie nucléaire génère donc une contamination de la planète irrémédiable.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, il est fort possible, surtout si l’humanité persiste dans son industrie nucléaire, que la biosphère succombe au surcroît de radioactivité générée par l’espèce humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Enfin, ce n’est pas toute la biosphère qui est vulnérable, mais seulement sa partie terrestre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En effet, jusqu’au 16 juillet 1945 (date de la première explosion nucléaire près d'Alamogordo au Nouveau-Mexique), la menace radioactive était du côté du passé de l’humanité. Puisque la vie terrestre n’a pu se développer, il y a environ 500 millions d’années, qu'après une forte décroissance de l’intense radioactivité native de notre planète (elle a environ 4,5 milliards d’années), et après que la vie se soit cantonnée, pendant plus de 3 milliards d’années, dans l’élément marin qui la mettait à l’abri des radiations les plus contraires à la logique du vivant : les rayons α <span style="font-family: Constantia;"><sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a href="#_footnote1">[1</a></span></sup></span><span style="font-family: Constantia;"><sup><span style="font-size: 9.6pt;">]</span></sup></span><span style="font-family: Constantia;">.</span></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">N'est-il pas significatif que l'évolution ait instauré une non réciprocité dans la prédation pour le nourrissage entre les espèces terrestres et les espèces marines ? Car s'il y a bon nombre d'espèces terrestres qui viennent prélever des vivants marins (comme les oiseaux pêcheurs), il n'y a aucun vivant marin qui prélève une nourriture terrestre (les oiseaux volants ont un avantage de vélocité, mais ne gobent pas les insectes !). Comme si l'évolution avait intégré, sur le temps long de l'histoire de la biosphère, le danger radioactif particulier venant du milieu aérobie pour la vie marine.<br /><br /></div>
<div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-9JcjAhVys38/YWQL0BV3pVI/AAAAAAAABQ8/jXBcFZ2Q0AAPVsj_YSbzv52nmRqWrHe8gCLcBGAsYHQ/s290/C%25C5%2593lacanthe.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="174" data-original-width="290" height="120" src="https://1.bp.blogspot.com/-9JcjAhVys38/YWQL0BV3pVI/AAAAAAAABQ8/jXBcFZ2Q0AAPVsj_YSbzv52nmRqWrHe8gCLcBGAsYHQ/w200-h120/C%25C5%2593lacanthe.jpg" width="200" /></a></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Donc longue vie au cœlacanthe ! Cette espèce de poisson, vieille de plus de 400 millions d’années, est considérée comme celle qui s’est orientée vers la sortie du milieu marin pour évoluer vers les premiers reptiles terrestres dont nous sommes issus. Car la biosphère devra peut-être encore compter sur lui pour que la vie réinvestisse l’espace terrestre – dans combien de centaines de milliers, voire de millions d’années ? – après que la contamination radioactive d'origine humaine aura décru.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette question, avant de vous quitter : vous aussi, vous avez des enfants ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">
<hr align="left" size="1" width="33%" /><p id="_footnote1" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Voir un exposé plus détaillé de ce passé radioactif dans nos articles </span><a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2011/06/quelques-considerations-sur-la.html" target="_blank"><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;">Considérations sur la radioactivité et l'homme</span></a><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;"> (2011), et </span><a href="http://pjdesser.free.fr/humain/radioactif.html" target="_blank"><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;">Radioactivité et expérience humaine</span></a><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;"> (2004).</span></p></div>
</div>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-58493517074507553762021-06-21T16:43:00.016+02:002021-06-23T06:42:33.828+02:00Que faire du complotisme ?<div> </div>
<div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-coRrpu85ZlY/YNCjn4ELxkI/AAAAAAAABMI/vOfJPrLxGvk8Nv8JGkajKYrPSEGnXGUsACPcBGAYYCw/s2048/Hieronymus_Bosch_056.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1688" height="244" src="https://1.bp.blogspot.com/-coRrpu85ZlY/YNCjn4ELxkI/AAAAAAAABMI/vOfJPrLxGvk8Nv8JGkajKYrPSEGnXGUsACPcBGAYYCw/w201-h244/Hieronymus_Bosch_056.jpg" width="201" /></a></div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il ne faut pas hésiter à reconnaître le complotisme comme une force politique, autrement dit une de ces idéologies, comme le sont d’autres doctrines en « -isme » (le libéralisme, le socialisme, etc.) qui veut s’imposer dans l’espace public pour déterminer le devenir de la société. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, il faut avoir aussi conscience que le complotisme est une idéologie très à part. </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est la seule idéologie qui ne se diffuse pas par la voie des canaux reconnus d’information, mais en dehors, <b>par la rumeur</b>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il se présente non pas sous la forme d’une théorie politique mais comme un <b>récit</b> sur la société existante ; ce récit rend compte des problèmes sociaux par l’action intentionnelle et secrète d’un groupe restreint d’individus toujours pris dans les sphères privilégiées de la société.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’idéologie complotiste est la plus <b>simple</b> qui puisse être : elle met à jour l’agent malfaisant – c’est le complot – en nommant le groupe d’individus incriminés, et a pour seul programme qu’ils soient débusqués et mis hors d’état de nuire. Loin de vouloir dresser le tableau d’une société à venir prometteuse, le complotisme borne son horizon à vouloir sauver le présent.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le récit complotiste peut être vrai ou faux. Mais même faux, il peut avoir un grand impact historique. C’est la rumeur d’un complot pour affamer le peuple de Paris qui a mis en mouvement la foule qui a pris d’assaut la Bastille le 14 juillet 1789.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or il est patent que la société, devenue aujourd’hui quasiment mondiale, est confrontée – surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 – à une recrudescence du complotisme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Quel type de savoir attendre des récits complotistes ? Que pouvons-nous en faire pour mieux contrôler notre destin collectif ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Comme le complotisme repose entièrement sur un récit factuel – il informe sur l’existence d’un complot – la question de la vérité du récit est la première question que l’on se pose. Est-ce vrai ou faux ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, les vérités factuelles ne sont établies que si les faits affirmés sont partageables par tous (concernant les faits historiques, on recoupe les témoignages de ceux qui les ont partagés). Mais alors comment établir la vérité du récit complotiste, puisqu’un complot, par nature, n’est pas partageable par tous, mais par un tout petit nombre (les comploteurs) ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et d’ailleurs comment sont informés les diffuseurs du récit complotiste, puisque dès que la connaissance d’un complot sort un tant soit peu du cercle des comploteurs, le complot est compromis ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Prenons la mouvance QAnon, qui s’est fait mondialement connaître lors de l’invasion du Capitole aux États-Unis, dont le récit porte sur l’existence d’une conjuration de pédophiles satanistes liés au Parti Démocrate visant à contrôler le monde. D’où vient le récit ? D’un pseudo « Q » publiant sur un réseau social parfaitement anonymisé (d’où « QAnon »). Comment Q acquiert-il ses informations. On ne le saura jamais. On ne peut même pas lui poser la question. Et, effectivement, si on pouvait le savoir, il n’y aurait plus complot, on pourrait être, au mieux, devant quelques justiciables du droit commun, passablement dérangés d’avoir trop joué au « maître du monde » sur leur console de jeu. Le mouvement QAnon s’effondrerait.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On peut prendre n’importe quel autre récit complotiste, on se trouvera toujours devant un mystère quant à l’articulation entre les comploteurs et les complotistes. D’ailleurs le mystère s’étend au groupe des comploteurs, lequel est toujours impossible à cerner. Qui connaît un pédophile sataniste lié au Parti Démocrate ? Qui peut donner la liste des entreprises pharmaceutiques appartenant à « Big Pharma » auquel on impute un complot pour imposer mondialement la vaccination obligatoire ? On voit bien qu’en ces nominations le souci n’a pas été d’identifier les personnes responsables, mais de trouver le mot approprié à déclencher la diabolisation.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour autant, il n’est pas question de nier l’existence de complots. Les complots ont toujours été un des facteurs importants de l’histoire humaine. Et il est certain qu’aujourd’hui même des complots se trament.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, en vérité, on ne peut parler des complots qu’au passé. Parce qu’on ne peut connaître les complots qu’après-coup, lorsqu’ils n’existent plus, soit parce qu’ils ont échoué ou ont été éventés, soit parce qu’ils ont réussi. Si l’on veut parler d’un complot au présent alors on ne peut utiliser que le conditionnel : « il pourrait y avoir un accord secret de grands groupes pharmaceutiques pour inciter les Etats à rendre la vaccination contre la covid obligatoire ».</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">S’il n’est pas délirant, c’est-à-dire s’il reste cohérent et compatible avec l’expérience commune, le récit complotiste au présent n’est jamais, ou vrai, ou faux, il est, par nature, <b>indécidable</b>.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dès lors se pose la question : comment comprendre que les discours complotistes soient aussi clivants, suscitant l’adhésion dogmatique chez les uns, et la condamnation stigmatisante chez les autres ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tout simplement parce qu’on adhère au savoir complotiste comme à une <b>croyance</b>. Une croyance est toujours un savoir qui est insuffisamment fondé objectivement, et qu’on valide sans réserve pour des motifs subjectifs.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Quels sont alors les motifs subjectifs des adeptes des thèses complotistes ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Une croyance peut avoir deux types de motifs subjectifs. Elle rassure par son contenu (pensons à la croyance en Dieu) ; elle délivre de sa responsabilité par reconnaissance d’une autorité irrécusable de celui qui l’énonce (pensons au sermon du prêtre).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui singularise la croyance complotiste est la totale absence du motif de la parole d’autorité puisque nul ne peut connaître l’énonciateur-source du récit complotiste, et que le transmetteur n’a, pour se faire accréditer, que des « il paraît que … », « j’ai vu sur Internet une vidéo qui dit que … », etc. Ce qui nous rappelle que le complotisme est une rumeur et que la rumeur se diffuse sans besoin d’une autorité énonciatrice.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Autrement dit, toute l’adhésion à la thèse complotiste réside en un attachement affectif au contenu du récit. La question est alors : quel est le sentiment négatif suffisamment puissant et collectivement partagé dont la thèse complotiste est le soulagement ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut noter d’abord que ce sentiment est nécessairement malvenu dans la normalité ambiante, puisqu’il ne trouve sa voie d’expression que dans les canaux hétérodoxes de la rumeur. D’autre part, le fait qu’il se résolve en une croyance d’ordre politique indique que ce malaise est lié au vécu social.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a donc un mal-être propre à nos sociétés contemporaines qui ne peut pas se dire normalement dans l’espace public, car incompatible avec l’idéal humain courant du « travailleur-consommateur-branché » (c’est-à-dire qui « s’éclate » avec les possibilités des nouvelles technologies) et qui rend les populations accueillantes aux récits complotistes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’individu trouve dans le complotisme le bénéfice d’un débouché social à l’expression de son malaise social. Grâce au récit complotiste, il n’est plus seul enfermé dans ses idées tristes et incommunicables, mais partage un même mal identifié qu’il n’a plus à subir puisqu’il est partie prenante d’une force collective en capacité de le combattre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On se rend compte, à ce stade, combien il est hors sujet d’incriminer l’importance prise par les réseaux sociaux pour rendre compte de la recrudescence des thèses complotistes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Certes, Internet et son exploitation en réseau social permet une diffusion très rapide et quasiment universelle d’un récit complotiste. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans la capacité d’accueillir ce type de récit par les populations. De toutes façons, il y a tant de pluie d’informations qui se déversent ainsi par Internet et qui se perdent dans les égouts de l’histoire sans avoir mouillé grand monde ! Et la diffusion de la rumeur s’était déjà avérée rudement rapide et efficace bien avant qu’apparaissent Internet et les autres moyens de communication modernes. D’ailleurs, la communication de personne à personne, se reconnaissant en présence, est beaucoup plus prégnante que la communication anonyme, ou par pseudo, sur les réseaux sociaux, laquelle se caractérise plutôt par l’établissement de relations volatiles. Finalement, s’il est vrai qu’avec les réseaux sociaux la diffusion du récit complotiste est plus rapide et plus large, la communauté qu’il crée est moins stable. Il n’y a donc pas là une explication décisive.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il s’agit donc de comprendre pourquoi, depuis le tournant du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle, il y a un mal-être social dans les sociétés occidentalisées qui rend les populations accueillantes au complotisme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Malgré la concomitance, l’explication par la peur des attentats islamistes n’est pas la bonne. Tout simplement parce cette peur n’a rien à voir avec un malaise diffus, sa cause étant clairement assignée.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il faut plutôt regarder du côté de l’idée que la vie sociale de notre modernité tardive manque de sens. Mais qu’est-ce à dire précisément ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Une vie humaine qui a du sens est une vie qui s’est donné un bien, qui est tout autant un idéal de figure humaine à réaliser, en fonction duquel elle fait ses choix.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, quel que soit son bien – fondateur d’une famille heureuse, champion en quelque sport, sage écouté, moine en extase mystique, etc. – n’en demeure pas moins qu’il n’y a de bien personnel qui vaille que dans le cadre d’une société organisée en fonction de la préservation d’un bien commun, de telle sorte que les comportements d’autrui ne puissent pas être une menace constante dans la poursuite de mon bien.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Autrement dit, nous avons <b>d’abord</b> besoin qu’un <b>bien commun</b> soit promu dans la société pour que notre vie aie un sens.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or où en est-on en cette troisième décennie du XXI<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Chacun fait quotidiennement l’expérience de comportements de négligence, voire de piétinement délibéré du bien commun par des individus ayant souvent de grandes responsabilités sociales et qui sont tolérés, voire encouragés par les autorités légales des États.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mille illustrations peuvent être apportées, comme la prolifération des emballages plastiques inutiles et à jeter, le traitement purement instrumental du salarié lorsqu’il est jeté comme un mouchoir usagé, la déforestation systématique pour la monoculture, l’autorisation de pesticides systémiques destructeurs de la faune, l’accumulation de matières radioactives indéfiniment meurtrières sans solution durable de confinement, la persistance de l’investissement dans les énergies fossiles alors que le réchauffement climatique s’emballe, …</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Chacun peut alimenter la liste selon sa sensibilité propre. Mais rappelons l’entame des années 90. Le bloc soviétique venait de se disloquer. Le péril d’une guerre nucléaire s’effaçait. On voyait la démocratie comme le modèle universel de la bonne organisation sociale. Il ne restait plus qu’à renforcer la production industrielle pour que l’abondance de biens permette de résorber la faim dans le monde et plus généralement les situations trop criantes d’injustice. Il y avait donc alors la perspective d’un bien commun où la justice se conjuguerait avec l’abondance dans le cadre de sociétés s’organisant démocratiquement.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Certes il y avait la conscience des problèmes écologiques liés à la production industrielle massive. Mais on se sentait capable de les gérer raisonnablement. Ne s’était-on pas donné internationalement les règles pour juguler la menace du DDT et réparer la couche d’ozone dans les années précédentes ? Les éléments se mettaient en place pour relever le redoutable défi du réchauffement climatique. En 1989 à La Haye la quasi totalité des pays décidaient d’initier des négociations pour une convention internationale afin d’enrayer le changement climatique…</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Oui ! Nous avons aujourd’hui perdu cette perspective de bien commun.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’ailleurs, il semble bien qu’on puisse identifier une séquence historique précise qui a été un élément décisif pour cette perte. Et c’est celle d’un complot !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En cette même année 1989 s’initie secrètement aux États-Unis une campagne climato-sceptique financée à coup de millions de dollars par des industriels nord-américains du charbon et du pétrole par l’intermédiaire d’associations idéologiques conservatrices – les noms et circonstances ont pu être suffisamment documentés par <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/31/les-climatosceptiques-qui-valaient-des-milliards_4341572_3244.html" target="_blank">des enquêtes rétrospectives</a>. Il s’agit d’insinuer le doute dans le consensus scientifique sur le réchauffement climatique en imposant des articles climato-sceptiques dans la presse, et d’abord dans les revues scientifiques (quelques scientifiques conservateurs sont enrôlés pour cela), jusqu’à imposer dans les opinions publiques la présence de la thèse du « climato-scepticisme » afin qu’on en tire l’impression que le réchauffement climatique, n’étant qu’une thèse parmi d’autres, est discutable (on reproduit la même tactique employée 20 ans plus tôt au profit des cigarettiers pour discréditer l'information sur la toxicité de la cigarette). Dès lors il devient possible d’appâter vers le climato-scepticisme qui peut apparaître comme la thèse la plus agréable à entendre. C’est ainsi que l’opinion publique se divise, que des politiciens conservateurs états-uniens se convertissent au climato-scepticisme, et que, finalement, au début des années 2000, les États-Unis, puis le Canada – alors les deux pays les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre – se désengagent de la Convention internationale de Kyoto (1997) qui avait fixé des règles d’une décroissance mondiale des émissions carbonées.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tel fut cet épisode décisif suite auquel les populations sont devenues orphelines du bien commun. Et sans bien commun, l’existence de chacun est minée par un vide intérieur qui est celui de son manque de sens.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’adhérer à un récit complotiste, c’est renouer avec le bien commun. Car le bien commun devient alors évident comme démasquage du complot. Dès lors, en tant qu’il exprime cette soif de bien commun profondément humaine, il est vain d’incriminer le tenant d’une thèse complotiste.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Par contre, il faut dénoncer les manipulateurs populistes qui diffusent la thèse complotiste en y mettant une pression émotionnelle intense et systématique qui paralyse l’esprit critique, selon les recettes psychologiques éprouvées de la propagande, car ils ont une idée de carriérisme personnel derrière la tête. Quoiqu’il soit à la portée de tous d’en débusquer les procédés.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais la limite la plus grave de cette réponse simpliste au manque de bien commun est dans les comportements d’injustice et de violence qu’elle peut secréter. Car, comme on l’a vu, le caractère nécessairement flou du mot qui désigne les comploteurs laisse ouverte la porte aux fantasmes concernant des groupes sociaux dont les petites différences focalisent nos sentiments négatifs en les transformant en haine ciblée. Bref, derrière ces dénonciations imprécises de comploteurs peut aisément se cacher un phénomène de chasse au bouc émissaire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Au fond, le récit complotiste est une manière facile, trop facile, de rétablir le bien commun. Il simplifie outrageusement l’étiologie du problème social.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il n’y aura de restauration d’une perspective de bien commun qui vaille que de nous tous, nous qui souffrons de son absence, nous qui, si nous avons l’idée de lever la tête de nos smartphones avant qu’il ne soit trop tard, n’aurons de cesse de la rétablir collectivement, jusqu’au point où seront délégitimés les individus de pouvoir dont les discours peuvent en être fleuris, mais qui, dans leurs actes, négligent ou même se moquent du bien commun, se faisant ainsi les fossoyeurs de l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pour retrouver cette confiance en notre devenir collectif, il est nécessaire de tirer toutes les leçons de ce complot des années 90 qui a été décisif pour défaire le sens de nos existences en faisant accroire le climato-scepticisme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement, la recrudescence actuelle du complotisme, en se manifestant comme symptôme d’un manque général de perspective de bien commun, révèle bien l’existence d’un complot. Mais ce n’est pas celui qu’on croit.</div>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-87706145042265702552021-05-07T16:39:00.006+02:002021-05-08T07:49:27.075+02:00L’humanité piégée et la leçon de Tocqueville<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-nYB8CG9vhIQ/YJVLAFxdTCI/AAAAAAAABJY/cgRSKyH4qZ4FjGEcSWfED6Q_2rW9QynLACLcBGAsYHQ/s500/1136_portrait_dalexis_de_tocqueville_par_theodore_chasseriau.jpg" style="clear: left; float: center; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="411" data-original-width="500" src="https://1.bp.blogspot.com/-nYB8CG9vhIQ/YJVLAFxdTCI/AAAAAAAABJY/cgRSKyH4qZ4FjGEcSWfED6Q_2rW9QynLACLcBGAsYHQ/s320/1136_portrait_dalexis_de_tocqueville_par_theodore_chasseriau.jpg" width="320" /></a></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> Nous convions à porter attention à cette simple phrase écrite il y a près de 2 siècles par Alexis de Tocqueville :</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"><blockquote><div style="text-align: justify;">« <i>Je tremble, je le confesse, qu'ils [les citoyens] ne se laissent enfin si bien posséder par un lâche amour des jouissances présentes, que l'intérêt de leur propre avenir et de celui de leurs descendants disparaisse, et qu'ils aiment mieux suivre mollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudain et énergique effort pour le redresser</i>. »<br /></div><div style="text-align: right;"><i><u>De la démocratie en Amérique</u></i>, tome II, 3<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> partie, chapitre 21 – 1840</div></blockquote></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est bien de nous qu’il parle ! C’est bien notre situation présente que de nous voir sur une trajectoire historique ne pouvant mener qu’à une cascade de catastrophes et de nous sentir dans l’incapacité de reprendre en main cette destinée pour la redresser ! Ce « nous » devant être pris au sens le plus large, celui d’une société désormais mondialisée sous les lois du marché – celui d’une humanité qui se retrouve comme piégée.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais, au-delà des sentiments d’étonnement, voire d’admiration, pour la prescience de notre multi-arrière-grand-père, il est important d’apercevoir la manière dont il nous interpelle.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Car il n’est pas du tout question de réchauffement climatique ou de crise écologique. Il est question de jouissances présentes, d’investissement de l’avenir, de lâcheté et d’énergique effort.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Tocqueville nous parle d’une opposition entre le bien – le fait d’investir l’avenir pour le bien commun – et le mal – continuer à courir après les éphémères et individualistes « jouissances présentes ». Il « tremble » de voir l’humanité sur une trajectoire où l’on choisirait plutôt son plaisir à court terme que le bien à long terme.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qu’il vise est donc bien un problème moral de comportement !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On le sait, le mot « moral » est aujourd’hui mal aimé. Mais le rejet du mot n’empêche pas la présence de la chose ! L’espace public regorge aujourd’hui de jugements sur ce qu’il est mal de ne pas faire, sur ce qu’il serait bien de ne plus faire, sur ce qu’on a devoir de faire de toute urgence, pour freiner le changement climatique, pour préserver l’avenir de l’humanité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">C’est pour cela que la citation de Tocqueville est saisissante : elle nous renvoie, du fond de notre histoire, le caractère fondamentalement moral de la crise actuelle de l’humanité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Et il nous faut bien en entendre la leçon. Car ce n’est pas le risque que l’on se détourne du bien pour choisir le mal qui fait trembler Tocqueville. Il appréhende précisément que nous voyions le bien, que nous voulions le bien, mais que nous n’ayons pas le courage de changer nos principes de comportement pour nous engager vers le bien.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Effectivement ! Nous nous abreuvons de discours sur le bien, sur la manière d’aller vers le bien ; nous sommes capables de composer de très intéressants échéanciers du bien – 2040 : fin du moteur thermique ; 2050 : neutralité carbone ; 2100 : pas plus de 1,5°C d’augmentation de la température sur la planète,… mais nous savons que nous ne les respecterons pas. Pourquoi ? N’avons-nous pas toutes les connaissances, toutes les capacités techniques, et le désir bien sûr, pour cette reprise en main de notre destinée ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Que nous manque-t-il, sinon le courage?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ainsi, il doit être clair que le fond de notre problème est moral, que le choix de notre comportement se pose précisément dans les termes exposés par Tocqueville : la lâcheté des satisfactions à court terme ou le courage des décisions à long terme pour le bien commun.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ce qui illustre le caractère moral de ce choix est le fait que la lâcheté est loin d’être le comportement général. Il y a aussi beaucoup de courage dans la société ! On le voit clairement du côté des citoyens – les conclusions de la « Convention citoyenne sur le climat » en France en sont une illustration. Mais on trouve aussi d’innombrables initiatives généreuses, voire admirables, de citoyens, tout particulièrement dans les jeunes générations, pour créer des brèches qui ouvrent l’avenir.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Pourtant, tout cela ne saurait être décisif pour déclencher ce « soudain et énergique effort » dont la nécessité était anticipée par Tocqueville. Car c’est bien la lâcheté qui prédomine ! La lâcheté courtermiste<sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a name="_footnoteref1"></a><a href="#_footnote1">[1]</a></span></sup><sup><span style="font-size: 9.6pt;"></span></sup> est encore largement promue comme le comportement « normal », et l’engagement pour l’avenir est encore souvent jugé comme perturbateur.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nombreux sont ceux qui, surtout s’ils ont une estrade qui porte leur voix dans l’espace public, fleurissent leurs discours de belles paroles sur la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité et, descendus de leur estrade, persistent dans la routine de leurs comportements courtemistes. Et, bien sûr, plus on a une position de pouvoir élevée dans la société, plus sa responsabilité morale est importante. Si la situation actuelle est aussi critique, c’est parce que les grands postes de pouvoir sont occupés le plus souvent par de grands lâches. Cela se voit du côté des affairistes de l’économie, ceux qui bornent leur horizon à l’attente de l’évolution du cours de leurs actions (boursières) ou celle de leurs parts de marché – comme leurs pousse-au-jouir. Cela se voit du côté des politiques lorsque ceux-ci, pour mieux assurer leurs arrières (et leur carrière), édulcorent, stérilisent parfois, en catimini, les réformes nécessaires grandiloquemment annoncées aux citoyens.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais les grands lâches n’existent que par ceux qui leur permettent d’exister.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cette lâcheté semble avoir atteint son acmé dans les phénomènes de post-vérité – le fait de vouloir imposer la réalité conforme à ses sentiments en niant la réalité objective<sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a name="_footnoteref2"></a><a href="#_footnote2">[2]</a></span></sup><sup><span style="font-size: 9.6pt;"></span></sup> – dont certains des protagonistes sont quand même parvenus à se faire élire comme responsables politiques présidant aux destinées de millions d’individus. En effet la « vérité alternative » (telles les affirmations conspirationnistes concernant les élections américaines ou la pandémie au Brésil) est le subterfuge ultime pour imposer la réalité selon son sentiment puisqu’elle résout radicalement le problème de l’avenir commun en sortant ses adeptes du monde commun (celui que désignent les mots du langage en ce que leur signification renvoie à la sédimentation de l’expérience commune).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On sait très bien que les grandes lâchetés seront vouées aux gémonies par ceux qui en éprouveront les malheureuses conséquences. Comme seront reconnues et louées les initiatives courageuses. Mais, afin de pouvoir dénoncer de manière appropriée la lâcheté ambiante, il convient d’en relever un motif particulier présent dans le texte de Tocqueville. Car cette citation montre que dès les premières décennies du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle les éléments de cette crise morale de la société industrielle de consommation, en laquelle la lâcheté du court terme pouvait occulter la vision de l’avenir, se mettaient déjà en place. Autrement dit, cette problématique morale a un profond enracinement dans notre histoire. Elle peut donc être aussi une grille de lecture de notre histoire sociale des deux derniers siècles. Pour le moins on peut alors en tirer l’idée que, non sans mal, non sans violences, c’est finalement la logique courtermiste de la lâcheté qui a prévalu. C’est pourquoi la société, aujourd’hui mondialisée, se retrouve sans avenir, piégée.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Finalement, la mise en perspective de Tocqueville nous révèle que l’élision de l’avenir que signifie la culture courtermiste des jouissances individuelles, est tout autant une élision de notre passé.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le courtermisme est en somme la perte du sens de son existence comme partie prenante de l’aventure humaine.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Aussi, pour renouer avec notre moralité historique, et donc pour récupérer notre puissance de choisir notre avenir commun, n’est-il pas prioritaire de nous retourner vers notre histoire passée pour en comprendre les choix faits, et les possibles délaissés ?</div>
<p style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-family: Times New Roman;"> </span></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"> </div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">
<hr align="left" size="1" width="33%" /><p id="_footnote1" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Voir notre article </span><a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2011/11/approche-du-courtermisme.html"><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;">Approche du courtermisme</span></a><span style="font-size: 10pt;"></span></p></div>
<p id="_footnote2" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref2">[2]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Voir notre article </span><a href="https://intempestifs-a-s.blogspot.com/2017/06/de-quoi-la-post-verite-est-elle-le-nom.html"><span style="font-size: 10pt;"></span><span style="font-size: 10pt;">De quoi la post-vérité est-elle le nom ?</span></a><span style="font-size: 10pt;"></span></p>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-29489679331244100142021-04-24T14:15:00.012+02:002021-04-24T19:44:12.684+02:00Petite histoire de la fin de l’histoire<p style="text-align: center;"> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-9lHnyb5V5c0/YIQKfEjwiSI/AAAAAAAABI0/beKXSIcGRkgZ8sm160EtcdYQk0IChuGqQCLcBGAsYHQ/s1350/d%25C3%25A9vast%25C3%25A9.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="759" data-original-width="1350" height="225" src="https://1.bp.blogspot.com/-9lHnyb5V5c0/YIQKfEjwiSI/AAAAAAAABI0/beKXSIcGRkgZ8sm160EtcdYQk0IChuGqQCLcBGAsYHQ/w400-h225/d%25C3%25A9vast%25C3%25A9.jpg" width="400" /></a></div><p></p>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il y a trente ans entrait dans les titres des gazettes l’idée de « La fin de l’histoire » inspirée par un penseur américain, Francis Fukuyama, qui écrivait, à propos des effondrements en chaîne des démocraties populaires d’Europe de l’Est : « <i>Il se peut que […] ce ne soit pas juste la fin de la guerre froide, mais la fin de l’histoire en tant que telle : le point final de l’évolution idéologique de l’humanité</i> » (<i><u>La fin de l’histoire ?</u></i> – 1989).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">S’en souvient-on ? Il s’agissait d’une fin heureuse ! L’ensemble du bloc soviétique se disloquait sous les revendications populaires qui impulsaient la mise en place d’une organisation démocratique des sociétés. Se laissait voir un avenir sans histoires en lequel la course aux armements serait remplacée par la saine émulation commerciale dans le cadre de libertés individuelles garanties à tous. On attendait avec confiance une abondance de biens qui généraliserait les situations de bien-être, alors cantonnées dans certaines classes privilégiées, en particulier du monde occidental.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">D’ailleurs, depuis son apparition dans la philosophie de Hegel, au début du XIX<sup><span style="font-size: 9.6pt;">ème</span></sup> siècle, « la fin de l’histoire » a toujours été une idée heureuse. Car l’histoire était constitutivement considérée comme malheureuse : « <i>L'histoire n'est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont ses pages blanches.</i> » affirmait le philosophe allemand. Il considérait que le déchaînement des passions, la violence, sont consubstantielles à l’histoire parce qu’ils sont la manière dont se réalise l’Esprit, au moyen des contradictions du réel, pour devenir pleinement conscient de lui-même, c’est-à-dire Savoir absolu, ce qui signifie la fin de l’histoire.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Marx se placera dans le même logique hégélienne d’une histoire malheureuse pour une fin heureuse, en opérant simplement une substitution des protagonistes. L’histoire est tragique parce qu’elle est la chronique d’une perpétuelle lutte entre classes sociales. Et « la fin de l’histoire » n’est plus l’accomplissement de l’Esprit dans le Savoir absolu, mais l’accomplissement de l’humanité dans le communisme, lequel serait réalisé par la prise de pouvoir terminale de la classe sociale la plus dépossédée : le prolétariat généré par l’industrie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais que peut signifier, simplement examinée pour elle-même, cette idée de la fin de l’histoire ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Dans les conceptions qu’on vient d’évoquer la fin de l’histoire est assimilée à l’accès de l’humanité à un état de bonheur. Et le moins que l’on puisse dire sur cet état de bonheur est qu’il présuppose une vie sociale sans histoires. Mais, explique Kant, sans les passions humaines égoïstes qui font le sel de l’histoire, les humains seraient cantonnés « <i>dans une vie de bergers d'Arcadie, dans la parfaite concorde, la tempérance et l'amour réciproque. Les hommes, inoffensifs comme les moutons qu'ils font paître, ne donneraient à leur existence une valeur guère plus grande que celle de leurs bêtes d'élevage</i><sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a href="#_footnote1">[1]</a></span></sup> » (<i><u>Idée d’une histoire universelle</u></i>, proposition 4)
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Outre qu’elle illustre bien l’inanité du bonheur d’une vie sans histoires, cette citation est intéressante en ce qu’elle induit l’idée que l’humanité aurait ce caractère spécifique d’être historique en opposition aux autres espèces vivantes.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Qu’est-ce que cela signifie sinon que l’avenir de l’espèce humaine est une aventure ouverte, alors que celui des autres espèces vivantes est fermé ? En effet, on ne peut clairement prévoir l’avenir humain, on oscille toujours entre plusieurs possibilités, et on est d’ailleurs régulièrement surpris de voir advenir des possibilités que l’on n’avait même pas envisagées – relisez la science-fiction des années 50 : qui anticipait l’advenue d’un réseau de communication mondial digitalisé ? Par opposition, les autres vivants sont prévisibles : on les voit répéter imperturbablement les mêmes séquences de comportements liées aux cycles naturels (hors changements climatiques ou géologiques majeurs qui les impactent de manière catastrophique).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Ne suffit-il pas de mobiliser la notion de liberté pour rendre compte de cette opposition ? Les humains seraient libres de choisir leur avenir, et non les autres espèces vivantes – la liberté étant la capacité de se représenter plusieurs possibilités et d’en choisir une. L’humanité serait la seule espèce historique, parce que la seule libre.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">En fait cette explication est trompeuse, parce qu’elle escamote la différence fondamentale entre la machine – tout particulièrement la machine-robot autonome – et l’individu vivant.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Le comportement du robot n’est que la résultante de sa composition et de sa programmation ; il est donc toujours, de droit, prévisible (éventuellement comme aléatoire) ; bien qu’il puisse se trouver qu’en pratique la complexité du programme et la multiplicité des capteurs qui le composent rendent cette prédiction impossible à réaliser.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous sommes habituellement très capables de reconnaître spontanément un individu vivant parmi des machines-robots. Il y a en effet toujours deux facteurs qui se combinent pour nous faire saisir un être comme vivant dans notre champ perceptif. D’une part un mouvement qui comporte une part d’<b>imprévisibilité</b> parce qu’il ne saurait être le résultat de forces extérieures, et qui doit donc être imputé à une force intérieure. D’autre part la reconnaissance que ce mouvement est orienté vers un but – par exemple se nourrir – et donc la présence d’une <b>finalité</b> : il s’agit d’un être qui se meut en fonction des circonstances <b>pour</b> quelque chose. Or, nous n’avons qu’une seule expérience directe de la finalité : c’est celle que nous sommes. C’est pourquoi percevoir un être vivant, c’est mettre en jeu sa propre vitalité, c’est le « comprendre » (étymologiquement « saisir avec soi »), autrement dit, implicitement, le créditer d’une conscience et d’une liberté – on ne comprend pas le comportement du robot, on l’explique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais alors comment accorder cette liberté de l’individu vivant avec son absence d’histoire ?</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il est remarquable que tout individu vivant a, finalement, une vocation qui est en réalité une vocation d’espèce : celle de contribuer à faire prospérer au mieux son espèce dans le biotope déterminé auquel elle est adaptée (il faut nécessairement un plan d’eau au crocodile et des étendues herbeuses au bovin). Or, il doit être clair que cette vocation ne saurait avoir été librement choisie. Elle est inscrite dans le patrimoine génétique de l’espèce et se décline par ses attributs physiques et son équipement instinctuel. Elle est donc déterminée de l’extérieur par ce système de tous les êtres vivants de la planète qu’est la biosphère. Elle assigne l’espèce à des comportements déterminés dans un biotope déterminé. Dès lors la liberté de l’individu ne se manifeste qu’au niveau des moyens pour réaliser cette vocation, là ou l’instinct en laisse la latitude, parce qu’il est des occurrences où il est vitalement profitable d’être en mesure de tirer parti de certaines conditions singulières de l’environnement. Ainsi l’oiseau qui fait son nid choisira l’arbre, l’emplacement, et les végétaux appropriés dans son environnement présent, alors que la forme du nid, et le type d’emplacement, seront instinctivement déterminés.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">La liberté de l’espèce humaine est d’une toute autre portée. Nous savons que l’humain n’a pas de biotope assigné. Certes, il occupe volontiers les régions tempérées, mais il est aussi capable de faire sa vie dans les contrées désertiques, ou près des pôles où les neiges sont permanentes, voire dans un submersible ou dans une station spatiale. Surtout l’anthropologie historique nous apprend que les groupes humains n’ont jamais cessé de se déplacer sur la surface du globe. Or, la signification de cette errance spatiale est claire : l’humain n’a pas de biotope parce qu’il n’a pas de vocation biosphérique prédéterminée. C’est en fonction du sens qu’il donne à sa vie – autrement dit de sa conception du bien – qu’il choisit où se mettre sur Terre. Or, l’humain est essentiellement social, c’est-à-dire qu’il ne peut réaliser ses buts derniers sans le concours d’autrui. C’est pourquoi la quête de son bien ne peut se faire sans passer par la position d’un bien commun à la société en fonction duquel chacun détermine la valeur qu’il veut donner à sa vie. Ainsi, seule parmi les espèces vivantes, l’espèce humaine a la liberté de choisir ses valeurs finales.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;"></div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’être humain est ce vivant dont la liberté opère un saut qualitatif par rapport aux autres vivants tel qu’elle lui permet de surmonter ses déterminants biologiques. Il est celui qui pourra faire une grève de la faim, même jusqu’à la mort, pour le bien par lequel il donne sens à sa vie.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Les espèces vivantes ont la liberté des moyens, mais elles n’ont pas d’histoire parce qu’elles restent enfermées dans les fins que la biosphère leur a assignées.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">L’espèce humaine seule a, non seulement la liberté des moyens, mais aussi celle de ses fins – elle choisit le sens qu’elle donne a son existence – c’est pour cela qu’elle est l’unique espèce historique.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Cela est certes un avantage insigne. Cela la rend indéfiniment adaptable puisque, comme corollaire à cette liberté des fins, elle a la polyvalence corporelle et l’inventivité technique lui permettant de créer les « biotechnotopes » les plus inédits dans les lieux les plus improbables. Elle peut ainsi investir le plus largement l’espace terrestre sans commune mesure avec les autres espèces.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Mais elle peut aussi poser des fins contre la logique biosphérique, comme on le voit dans une grève de la faim, ou dans le vœu de chasteté du clerc catholique. Or, elle peut également le faire au niveau de fins collectives, niveau en lequel l’impact peut être autrement plus important. Ainsi, puisque l’on sait que toute liberté implique une responsabilité (il faut répondre des conséquences de ses choix), l’espèce humaine est responsable de ce qu’elle fait de la biosphère – cette responsabilité valant, bien entendu, au niveau d’une génération, auprès de ceux qui lui succèdent sur cette planète et vivront dans les conséquences de ces choix.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Or, la conscience de cette responsabilité doit nécessairement amener les humains à prendre en compte le fait que leur existence est entièrement suspendue à la vitalité de la biosphère dont elle est une des expressions les plus performantes (on peut faire l’hypothèse que cette vitalité consiste en ce que la biosphère vise le plus grand plein de vie sur la planète en diversifiant au mieux les formes de vie et en les confortant par une multiplicité de relations systémiques – intégration, complémentarité, prédation, parasitisme, etc.).</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Il s’ensuit que cette responsabilité ne peut être assumée que si les choix de finalités collectives sont conformes à l’impératif catégorique suivant : « Prononces-toi toujours pour un bien commun tel que les générations qui auront à juger de ses conséquences sur l’état de la biosphère ne soient pas amenées à condamner ton choix. »</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Alors, il faut reconnaître qu’aujourd’hui sévit le règne de l’irresponsabilité. Pour être précis, nos descendants sont et seront habilités à condamner les générations qui les ont précédées, depuis près de deux siècles – ce qui correspond aux débuts de l’industrialisation – pour irresponsabilité.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">On le sait, du fait de cette irresponsabilité, aujourd’hui, la vitalité de la planète se dégrade de façon accélérée<sup><span style="font-size: 9.6pt;"><a href="#_footnote2">[2]</a></span></sup>. Il y a la terrifiante hécatombe silencieuse des espèces animales et végétales, mais aussi la multiplication des situations catastrophiques symptômes de cette dégradation (inondations, et feux de forêt dévastateurs, pandémies, explosion de centrales nucléaires, etc.), au point qu’on en vient à envisager un prochain effondrement.
</div><div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Que pense-t-on par ce mot ? Il faut plutôt parler de l’« Effondrement » (avec majuscule), au sens du titre originel du livre de Jared Diamond, <i><u>Collapse</u></i> (2005). Il s’agit tout simplement de la perspective de la disparition de la société – et, aujourd’hui, nous sommes dans une société mondialisée – par une succession inexorable de catastrophes qui ne laisse qu’un champ de ruines.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Une catastrophe, c’est quand on ne peut plus rien pour arrêter les dommages. L’Effondrement, c’est quand on ne peut plus rien pour arrêter une suite de catastrophes qui amène à une destruction de la culture humaine dont on ne peut voir le terme. L’Effondrement, c’est la cessation de la liberté humaine de choisir ses fins. C’est la fermeture de l’avenir. C’est donc la fin de l’histoire</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Nous voyons clairement devant nous l’éventualité de la fin de l’histoire. Il ne s’agit pas, en ce contexte, d’une utopie, ni même d’une dystopie. Elle est simplement inscrite dans les chaînes de causalité présentes comme possibilité d’avenir. Et ce n’est pas une éventualité heureuse.</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">Chérissons notre histoire humaine et faisons en sorte qu’elle continue !</div>
<div style="margin-bottom: 4pt; text-indent: 0.39in;">
<hr align="left" size="1" width="33%" /><p id="_footnote1" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref1">[1]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> </span><span style="font-size: 10pt;">À l’époque, 1784, il ne s’agit que d’élevage extensif.</span></p>
</div><p id="_footnote2" style="line-height: 1; margin-bottom: 0pt; margin-left: 0in; text-indent: 0in;"><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"><sup><span style="font-size: 8pt;"><a href="#_footnoteref2">[2]</a></span></sup></span><span style="font-size: 10pt;"> Voir notre « </span><span style="font-size: 10pt;"><i><u>Pourquoi l’homme épuise-t-il sa planète ?</u></i></span><span style="font-size: 10pt;"> » – 2010, ALÉAS.</span></p>
Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-32747486.post-52248948516023409552021-04-18T09:49:00.006+02:002021-04-18T10:43:48.529+02:00Géopolitique : possibilité d'un scénario incendiaire<p style="text-align: right;">"<span style="font-size: medium;"><i> È pericoloso sporgersi</i></span>" <br /></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-vS49KwF0MWk/YHvbhUf3nxI/AAAAAAAABIU/jwskLjGcrYA6HlpK6O8cwotpgUB7e9ruQCLcBGAsYHQ/s1250/140314_p772m_colonne-blindes-crimee_sn1250.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="703" data-original-width="1250" src="https://1.bp.blogspot.com/-vS49KwF0MWk/YHvbhUf3nxI/AAAAAAAABIU/jwskLjGcrYA6HlpK6O8cwotpgUB7e9ruQCLcBGAsYHQ/s320/140314_p772m_colonne-blindes-crimee_sn1250.jpg" width="320" /></a><br /></div><p></p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p>Il semble qu'il y ait un alignement potentiellement incendiaire des planètes dans l'espace géopolitique :<br /></p><ul style="text-align: left;"><li>L'opposant Alexeï Navalny peut mourir prochainement des suites des mauvais traitements et de sa grève de la faim dans une geôle russe.</li><li>Le pouvoir du Kremlin serait alors confronté à un problème redoutable de légitimité vis-à-vis de sa population qui l'en rendrait responsable.</li><li>Ce pouvoir aurait alors besoin d'un puissant motif de diversion. Or, il se trouve qu'il a amassé des dizaines de milliers de soldats, et tout l'équipement militaire qui va avec pour constituer une force d'invasion, à la frontière orientale de l'Ukraine. D'autre part, il a déclenché la campagne d'opinion idoine présentant le pouvoir ukrainien comme composé d'infâmes nazis. Donc il est fort possible qu'il déclenche une attaque militaire invasive contre l'Ukraine.</li><li>Par ailleurs le pouvoir à Pékin a multiplié ces derniers temps les initiatives agressives contre Taïwan. Il pourrait profiter de l'effet de diversion de ce qui se passe entre la Russie et l'Occident pour envahir l'île de Taïwan. D'ailleurs, il se pourrait très bien que les chefs d’État russe et chinois, qui se fréquentent de manière régulière, aient déjà synchronisé ces initiatives belliqueuses.</li><li>Circonstance aggravante en cette conjoncture : les gouvernements et opinions publiques occidentaux sont fortement accaparés par la gestion de la pandémie de la covid-19, et ne sont pas vraiment, aujourd'hui, en mesure de réagir énergiquement.</li></ul><p> Alors soyons tous très attentifs : période très périlleuse !<br /></p>Pierre-Jean Dessertinehttp://www.blogger.com/profile/08303732696122396281noreply@blogger.com0