L’humain se
trouve aujourd’hui dotés de pouvoirs potentiels
vertigineux, dont il n’avait jamais eu l’idée auparavant, ne serait-ce
que rêvée : la puissance de calcul des ordinateurs, la rapidité et
la facilité de la communication numérique, l’intelligence artificielle,
la réparabilité de son organisme, la maîtrise du génome du vivant,
l’ouverture à une aventure spatiale qui semble illimitée.
Mais, par
ailleurs, l’humain apparaît totalement impuissant à
maîtriser la dégradation accélérée de la biosphère – cette mince
pellicule d’efflorescence du vivant à la surface de la planète Terre –
dont il est inévitablement dépendant pour l’entretien et la
reproduction de sa vie.
Doit-il toujours
se considérer comme la valeur principale en
fonction de laquelle, il doit orienter ses comportements – ce qui est
une définition minimale de l’humanisme ? Ou doit-il viser au-delà
de lui-même, du côté de cette biosphère qui a un pressant besoin d’être
régénérée ? Ou bien du côté opposé, celui d’une surenchère
d’artifices techniques qui lui permettrait, quitte à dévoyer son
humanité, de garder la main sur son devenir malgré la détérioration de
son environnement naturel ?
L’humanisme
est-il encore pertinent ? Est-il déjà dépassé ?
Pour répondre à
cette question, il faut d’abord éclairer cette
notion d’humanisme. Pour le moment on sait qu’elle consiste à donner la
plus grande valeur à l’humain. Quel serait cette valeur propre à
l’humain qui mériterait qu’on en fasse le guide ultime de notre
comportement ?
Une tromperie sur l’humanisme
On trouve très
souvent, comme clé de compréhension de l’humanisme,
la référence à la citation du Sophiste Protagoras, transmise par Platon
(par exemple Wikipedia) :
« L'homme est la mesure de toute chose ». Cette
formule semble en effet affirmer que tout ce qui est n’existe qu’en
fonction l’humanité ; et donc que l’humain est bien la valeur
essentielle. Mais il faut regarder à la justification. Protagoras
précise ainsi sa proposition : « … chacun de nous est la
mesure de ce qui est et de ce qui n'est pas, (…) un homme diffère
infiniment d'un autre précisément en ce que les choses sont et
paraissent autres à celui-ci, et autres à celui-là. » (Platon, Théétète
166d)
Il y a ici une
vision du monde très simple : toute la
réalité est dans l’apparence. Il n’y a pas d’être stable caché
derrière la multiplicité des apparences. Et comme les apparences sont
ce qu’il y a de plus variable, les choses sont toujours différentes,
non seulement entre l’espèce humaine et les autres espèces, mais aussi
entre chaque homme, et même entre chaque perception d’un même homme.
C’est là faire reposer toute connaissance sur les sensations ; on
appelle cette doctrine le sensualisme. Mais dès lors tout est relatif
puisque nos sensations ne sont jamais les mêmes. Protagoras, il y a
déjà vingt-cinq siècles, tirait toutes les conséquences de ce
sensualisme. Il ne saurait y avoir de vérité partagée, et encore moins
universelle. À chacun sa vérité changeante.
Alors, en
conséquence, chacun ne peut être qu’amené à faire valoir
la vérité qui l’arrange. Tel est l’« humanisme » tiré de la
sophistique qu’ont développé des penseurs dès la fin du XIXe : est vrai ce qui m’est
avantageux. C’est ainsi que Nietzsche, en réalité le plus influent
discoureur antihumaniste de notre temps, mettait au cœur de son
anthropologie « la volonté de puissance », ce qui l’amenait à
considérer que le vrai, pour chacun, est ce qui le rend plus fort. On
peut considérer Nietzsche comme le principal promoteur d’une
néo-sophistique propre à notre époque.
Ce
pseudo-humanisme se retrouve en faveur aujourd’hui parce qu’il
est en harmonie avec la vision du monde promue par la société
industrialo-marchande. L’essentiel dans la vie serait de réussir. Est
donc vraie toute proposition qui concourt à ma réussite. Et la réussite
se mesure à sa capacité de collecter des sensations bonnes,
essentiellement par la consommation ; et cette capacité est gagnée
en accumulant de la capacité financière – du « fric » !
C’est la version contemporaine de la formule sophiste « Est vrai
ce qui m’est avantageux. »
Pourtant dans ces
frénésies de consommation (comme lors de
l’ouverture des soldes), nous sentons-nous dans une atmosphère
d’humanisme ? Ou plutôt de bestialité ?
Si l’on accepte
cette primauté de l’expérience sensible, ne faut-il
pas admettre que les Sophistes ont raison ? Que
l’« homme-mesure-de-toutes-choses » exprime l’anthropologie
juste ? Mais on voit tout de suite le paradoxe : que peuvent valoir des
propositions comme « Les Sophistes ont raison », « Toutes nos
connaissances reposent sur l’expérience sensible » ou « L'homme
est la mesure de toutes choses » dans le contexte d’une pensée qui
exclut toute vérité universelle ? Socrate a beau jeu de répondre (par
la plume de Platon) : « Protagoras (…) admettant comme il le fait
que l'opinion de chacun est vraie, doit reconnaître la vérité de ce que
croient ses opposants de sa propre croyance lorsqu'ils pensent qu'elle
est fausse » (Platon, Théétète 170a). Car s’il n’y
a pas de vérité absolue, il n’y a que des opinions relatives.
Mais dès lors, le
langage perd sa capacité de nous parler d’un monde
partagé, il est disqualifié dans sa fonction essentielle qui est de
désignation. On est toujours ébahi et désolé lorsqu’on entend des
interlocuteurs, souvent imbus de philosophie contemporaine, nous
affirmer, très fiers de leur audace, que « La vérité, ça n’existe
pas ! ». Il est sûr qu’il n’y a là plus rien à débattre, on eût
simplement aimé, pour eux, qu’ils se soient tus. Au fond, la doctrine
des Sophistes tue le langage. Or, il faut admettre que le langage
humain, qui n’a rien de naturel puisqu’il n’a été rendu possible que
par le détournement de fonctions naturelles, est la plus belle création
de l’humanité. Et pourquoi ? Parce qu’elle donne ce monde commun
hors duquel les hommes ne pourraient jamais s’accorder.
C’est pourquoi le
discrédit du langage, tel que l’implique la
sophistique, nous met en risque d’une violence généralisée dans la vie
sociale. Puisqu’il n’y a pas de vérité sur laquelle on peut se mette
d’accord, il n’y a plus qu’à faire triompher la vérité qui nous
arrange, et donc à vaincre dans l’affrontement des intérêts
particuliers – les trumpistes qui déboulent sur le Capitole, ou les
Bolsonaristes à Brasilia. Cette tendance aux fake news, cette
apparition de la « post-vérité », sont dans la logique du
développement d’une nouvelle sophistique, proprement contemporaine,
consubstantielle à la société fondée sur la prospérité de la
marchandise par la compétition généralisée pour la puissance de
consommer – ce que l’on peut appeler une société mercatocratique.
La phrase de
Protagoras – « L’homme est la mesure de toutes
choses » – ne se réfère pas à un humanisme, quoique nos dirigeants
au service de la croissance économique aimeraient nous le faire croire,
mais à son contraire, à un bestialisme.
À la recherche d’un humanisme contemporain
Y a-t-il encore
un espace pour valoriser l’humanité en ses qualités
propres dans le champ idéologique aujourd’hui ? En effet un tel
espace semble être de plus en plus envahi par des idéologies qui
récusent qu’une valeur privilégiée soit reconnue à l’humain.
D’un côté, le
transhumanisme prétend régler tous les problèmes
humains par le développement de domaines scientifiques récents dont les
potentialités apparaissent à certains illimitées – nanotechnologies,
biotechnologies, informatique, intelligence artificielle et sciences
cognitives. L’idée est que les techniques que l’ont pourrait tirer de
ces sciences permettraient d’exonérer les humains des limites liées
depuis toujours à la condition humaine, en particulier la mortalité de
l’individu au bout de quelque décennies – c’est ce qu’on appelle le
passage au « post-humain » !
De l’autre côté,
celui de l’écologisme, se popularise de plus en
plus l’idée que l’espèce humaine doit reconnaître qu’elle n’est qu’une
espèce vivante parmi d’innombrables autres, et qu’elle n’a aucune
légitimité à s’attribuer une valeur prioritaire par laquelle elle
s’autoriserait à asservir comme simple moyen, ou à supprimer, toute
autre espèce.
Cet assèchement
du champ de l’humanisme par deux points de fuite
opposés est un phénomène récent ! Encore dans la dernière décennie
du XXe siècle, la
croyance en la valeur de l’homme allait de soi.
Elle avait deux
piliers : un pilier qui s’était constitué en
Occident, au sortir de la Renaissance, et qu’on peut appeler l’humanisme
moderniste. Appuyé sur la raison humaine, se nourrissant du
développement conjugué des sciences et des techniques, cet humanisme
donnait pour sens à l’aventure humaine celui d’un progrès
indéfini dans l’histoire, réalisé pour les hommes, par les hommes.
Mais il a été
douché froid, très très froid, par la mise en échec
délibérée, par des entreprises majeures du secteur énergétique, de la
politique internationale pour enrayer l’amorce d’un dérèglement
climatique par l’excès d’émissions carbonées dû aux activités humaines,
au tournant des années 2000 (échec de la mise en œuvre de la Convention
internationale de Kyoto de 1997).
L’autre pilier,
était ce qu’on pourrait appeler l’Humanisme «
droit-de-l’hommiste »
Il a son origine
dans la reconnaissance politique, au XVIIIe, de l’égalité de valeur des
humains libres et rationnels par la Déclaration d'indépendance des
États-Unis (1776) et la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen par l’Assemblée constituante française de 1789. Il a semblé
en voie de destruction par les totalitarismes du XXe. Mais il a été rétabli avec
la plus grande fermeté à la Libération par la Déclaration
universelle des droits de l'Homme de l’ONU (1948) et réitéré plus
récemment dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union
Européenne (2000). Il s’est en tout cas montré assez solide pour
permettre la libération des peuples d’Europe de l’Est du totalitarisme
soviétique à la fin des années 80. Mais il est constamment mis à mal
depuis le début de ce siècle : attentats du 11 septembre et
terrorisme islamiste, échec des mouvements de libération arabes de
2011 ; montée en puissance des autocraties nationalistes ;
démocraties très anciennes malmenées par des factions populistes,
guerres, etc.
Il reste que nous
sommes dans une société qui préserve la
possibilité de discuter librement des valeurs en fonction desquelles
nous voulons vivre. Qu’est-ce qui freine aujourd’hui notre capacité à
concevoir un humanisme adapté à notre condition présente, c’est-à-dire
en cherchant une voie pleinement humaine entre les mirages
transhumanistes, et les impuissances écologistes ?
Le formatage mercatocratique des consciences
L’humanisme est
une idéologie au sens où il porte une vision du
monde qui vise à s’imposer dans la société pour en orienter le cours.
Rappelons qu’une idéologie n’est pas de la manipulation lorsqu’elle est
réfléchie et adoptée consciemment. Un humanisme adapté à notre monde
doit donc avoir la puissance de s’imposer largement dans la société.
Si la vision du
monde néo-sophistique a fini par s’imposer pour le
plus grand nombre comme allant de soi, c’est dans la mesure où, par
intention délibérée du pouvoir social, elle est massivement diffusée de
manière manipulatoire à travers un mode de communication de masse. La
manipulation consiste à inonder de messages de propagande (commerciale
ou autre) qui privilégient des modes de comportements comme allant de
soi. Avec pour résultat que s’impose subrepticement une vision du monde
néo-sophistique qui imprime dans la conscience certaines valeurs, en
excluant d’autres. Ce qui se traduit concrètement par une normalité
suivant laquelle il est consensuel de choisir certains
comportements plutôt que d’autres.
Or une telle
vision du monde, qui vise à cantonner chaque être
humain dans le statut de travailleur-consommateur qui ne voit pas plus
loin que la perspective de sa prochaine consommation, promeut en
réalité une figure de l’humanité déclassée, en ce qu’elle privilégie en
chacun ce qui l’infantilise : la compétition pour
l’accaparement des biens, et le sens de la vie dans l’accumulation des
plaisirs de consommation.
Ainsi la valeur
de l’humain est de tous côtés remise en cause. Au
présent, l’humain étouffe dans les ronciers de la société de
consommation. Alors que son horizon d’avenir est obstrué à la fois par
les mirages du transhumanisme, et par l’auto-dépréciation propre à la
pensée écologiste dominante.
La flamme de la
croyance de l’humanité en sa propre valeur se
serait-elle éteinte en cette troisième décennie du XXIe siècle ?
Résilience de l’humanisme
Bien sûr que
non !
Il ne faut pas
prendre la teneur des discours omniprésents dans les
médias dominants et l’espace public pour la pensée des gens. Cela peut
mieux se dire : il ne faut pas confondre l’opinion publique avec
la conscience collective.
Nous savons
comment se façonne l’opinion publique. D’abord par la
réitération massive de messages simples dans la société de manière à ce
que leur omniprésence leur donne la légitimité de l’évidence. Ensuite
par la technique du sondage d’opinion qui consiste à isoler l’individu
sondé face au sondeur, lequel déroule une série de questions fermées
(quelques réponses possibles seulement, le plus souvent deux :
oui/non) auxquelles il est sommé de répondre instantanément, sur des
sujets qui, tous, donnent matière à réflexion, et pour lesquels, ne
pouvant réfléchir de façon nuancée, il a tendance à donner la réponse
la plus facile : la réponse conforme. Mais réunissez quelques
citoyens, et donnez-leur les conditions pour réfléchir posément :
ils ne répondront plus du tout de la même manière – ce qu’a bien
illustré la « Convention citoyenne sur le climat » de 2019.
D’ailleurs, cet
humanisme implicite de la société se remarque de
mille manières – sa répugnance à jeter des objets qui expriment un haut
degré d’investissement humain, son souci des manières de civilités et
en particulier des mots de politesse, son malaise face à la diffusion
débridée de la pornographie, son attachement à conserver et transmettre
les belles œuvres, son empathie et aide spontanée pour les personnes en
situation de vulnérabilité (et, si ce n’est le cas, la mauvaise
conscience), etc. George Orwell avait thématisé cet humanisme populaire
avec la notion de « common decency » qu’on peut traduire par
« bienséance commune », et qui signifie que les milieux
populaires, en sens contraire des tendances du monde marchand, restent
attachés à des principes de comportement qui entretiennent le respect
et la confiance en la personne humaine : savoir se rendre des
services, anticiper les problèmes du voisin plus vulnérable, partager
plutôt que jeter, etc. Nous voulons dire que, même si cela est
soigneusement escamoté, la sagesse est du côté des gens, des gens de
peu, et pas du tout du côté des puissants. Et quand nous parlons de
sagesse, nous nous référons aussi aux « humanités », ces
retrouvailles avec les textes antiques, au XVe siècle à Florence qui
mettaient en valeur la capacité de comportement raisonnable des hommes
– je pense en particulier aux philosophies très populaires dans
l’époque pré-chrétienne que furent les doctrines, cynique, stoïcienne
et épicurienne.
Une occurrence
récente a fait réapparaître de manière saisissante
cet humanisme populaire dans la vie sociale. C’est l’épisode du
confinement strict du printemps 2020. Spontanément les gens ont
manifesté (tous les soirs aux fenêtres et balcons) leur solidarité avec
les soignants au front de la lutte contre l’épidémie. Cette solidarité
s’étendait aussi aux mobilisés indispensables de la seconde ligne,
comme les employés de magasins vivriers ou les agents mobilisés pour la
sécurité, etc. Cet humanisme spontané se retrouvait également dans les
offres de créations sur internet, par des artistes, insouciantes des
questions de contrats ou de droits, et par leur partage. On a même
largement exprimé collectivement cette aspiration humaniste en se
retrouvant et échangeant de toutes parts autour de la question sur ce
que pourrait être le monde d’après !
A été mise au
jour lors du confinement de 2020 une société généreuse
et fraternelle. Sa possibilité ne sera pas oubliée. Nous savons
désormais que nous avons une base collective pour penser un avenir qui
nous permettrait de valoriser notre humanité.
Possibilité humaniste d’investir l’avenir
Cet humanisme
dont nous avons vu la floraison surprenante lors du
confinement – toute une population qui applaudit tous les soirs la part
d’elle-même qui se bat, dans le risque, pour le bien commun –
interprété au plus près du vécu, est l’affirmation d’une confiance,
malgré tout, en la valeur de l’humain.
Elle implique
que, quels que soient les errements de ses
comportements, il y a, en tout homme, une constante, une qualité qui
lui est propre et qui n’est relative, ni à l’époque où il vit, ni à
l’espace qu’il habite, ni à la culture à laquelle il appartient.
Quelle serait
cette qualité ? Dire que c’est la possession de la
raison, comme on le faisait volontiers dans l’Antiquité, n’est pas
suffisant car la raison est présente, et d’innombrables façons, dans le
donné naturel (trajectoire parabolique du projectile, cellule
hexagonale de l’abeille, structure fractale du chou-fleur, etc.) La
première formulation claire de cette qualité constante et exclusive de
l’humanité semble bien être due à Brunetto Latini, penseur et homme
politique florentin, dans son Livre des Trésors (vers 1265) : «
Toutes terres sont pays à l’homme, ainsi que la mer l’est aux
poissons. Où que j’aille, je serai en la mienne terre, puisque
nulle terre ne m'est exil, ni pays étranger ; car bien-être appartient
à l'homme, non pas au lieu. »
La valeur propre
de l’humanité est dans le fait qu’elle est la seule
espèce vivante à pouvoir librement choisir ses valeurs finales.
Autrement dit, le bien (« bien-être ») lui appartient. Alors que les
autres espèces vivantes ont leur bien qui est déterminé, de
l’extérieur, au moyen de comportements instinctifs, par le biotope («
lieu ») pour lequel elles sont conformées (le crocodile a besoin d’un
plan d’eau et le bovin d’étendues herbeuses) et en lequel, seul, elles
peuvent s’épanouir. C’est pourquoi les humains habitent la Terre en des
sites si différents et de manières si variées. C’est pourquoi lorsque
des individus ou des peuples se découvrent pour la première fois, ils
se font signe de la valeur de leur humanité dans ce souci du bien en
échangeant saluts et cadeaux. C’est pourquoi ne peut se trouver que
dans l’espèce homo sapiens l’individu qui s’obligera à faire une grève
de la faim, même jusqu’à la mort, pour le bien par lequel il donne sens
à sa vie. C’est pourquoi nous sommes si attachés à créer, à conserver,
à transmettre, ces œuvres que nous qualifions de belles parce
qu’elles symbolisent, chacune à leur manière, cette visée du Bien qui
est l’apanage de notre espèce.
Admettre cette
liberté de ses valeurs finales, c’est reconnaître en
l’homme une valeur qui ne saurait être subordonnée à quelque autre –
une valeur absolue donc. C’est être humaniste !
Or, reconnaître
cet humanisme, c’est se redonner, du même coup un
avenir. Puisque nous en avons la liberté, il nous est possible de
choisir une autre fin que celle, dégradante, promue comme une évidence
par la néo-sophistique marchande qu’est la recherche du plus de
plaisir possible dans le moindre délai.
* * *
L’humanisme
est-il dépassé ? Non ! Mais il vrai qu’il est
largement recouvert par le jacassement bruyant et continu émanant des
pouvoirs marchands.
Or nous
pressentons que la situation d’impasse en laquelle se trouve
aujourd’hui l’humanité, qui conjugue une crise écologique planétaire
avec une situation d’injustices sociales à la limite de la rupture, est
liée au fait que ce sont les comportements d’inhumanité qui sont
privilégiés par l’organisation sociale mercatocratique.
Si bien que la
conclusion s’impose que c’est seulement en redonnant
à l’humanisme sont droit de cité que l’humanité sortira du
catastrophisme ambiant pour retrouver des perspectives d’avenir.
Cet humanisme
sera nécessairement renouvelé : il ne saurait
s’en tenir au progrès de la modernité, ni aux droits de l’homme des
Lumières. Tout simplement parce qu’il aura pris conscience qu’il doit
surmonter à la fois l’orgueil de l’espèce – croire que l’humanité
puisse simplement instrumentaliser son environnement naturel – comme la
prétention individualiste – croire que la solution soit pour chacun
dans l’amour de soi.
Cet humanisme qui
nous redonnera le goût de l’avenir mettra en
honneur la fraternité. Laisser la compétition aux mâles des grandes
espèces de mammifères qui régulent ainsi leur vie sociale, ou aux
petits enfants qui ont besoin de s’affirmer pour garantir le toute
neuve conscience d’eux-mêmes. Du point de vue humain, c’est toujours
une étape qui doit être dépassée. Car, finalement, l’histoire le
montre, c’est dans la fraternité que l’humanité est vraiment elle-même.
Cet humanisme qui
nous redonnera le goût de l’avenir mettra en
honneur la liberté. Mais sera privilégiée la liberté de créer – créer
des œuvres qui augmente son estime de soi en tant qu’humain. L’humain
est capable d’œuvres qui méritent d’être conservées et d’enrichir la
biosphère – et il y en a une infinité de possibles, des inventions
techniques (faire un pain), aux œuvres monumentales (pyramides d’Égypte), en passant par les œuvres du bricoleur et les œuvres d’art,
du moment qu’elles n’altèrent pas l’habitabilité de la biosphère. Car
toute création est toujours un enrichissement des possibilités de vie,
et donc de notre liberté.
Finalement le
choix des valeurs humaines par nos ancêtres – liberté,
égalité, fraternité – à condition de les prendre toutes en compte dans
leur sens pleinement humain, sont une bonne base.