lundi, octobre 11, 2021

L’industrie nucléaire, la contamination sans retour, et la mer

 
Plutonium 239

Il faut réagir aux discours lénifiants qui, aujourd’hui, présentent l’industrie nucléaire comme une solution raisonnable à la contradiction entre le nécessaire abandon des ressources énergétiques carbonées, et la voracité énergétique de l’économie de marché.
Comme préalable, rappelons que l’économie de marché est une économie de gaspillages tous azimuts, car, par sa finalité propre – l’enrichissement pécuniaire – ce qui lui importe n’est pas le bon usage des meilleurs biens, mais l’extension et l’intensification des flux marchands. C’est pour cela qu’elle ne perdure que par un activisme sans répit qui aliène les vies humaines et ravage la biosphère.
Mais quand on parle de l’industrie de l’énergie nucléaire, de quoi parle-t-on ?
Michel Serres écrivait en 1974 que « toute l'utilité du savoir, à peu près, est canalisée vers la mort. » C’était à l’époque où se mettait en place l’industrie nucléaire française. Or cette industrie est fille de la mort puisqu’elle est dérivée de la mise au point et de la construction de la bombe atomique. D’ailleurs le principal sous-produit des « centrales atomiques » (on a abandonné, depuis, l’adjectif « atomique » parce qu’il faisait trop penser à la bombe), le plutonium, sert à fabriquer les bombes. Mais, dans sa généralité, la citation de Serres souligne le lien étroit entre les grandes avancées scientifiques et la course aux armements : les premières avancées de la mécanique ont servi à mieux ajuster le tir au boulet de canon, les premières fusées ont projeté des charges explosives sur des populations du camp ennemi, etc.
Qu’est-ce qu’un réacteur nucléaire sinon une bombe atomique extrêmement ralentie – du moins tant qu’on contrôle (voir Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima) ?
Il y a la même réaction en chaîne de matériaux lourds, avec la même production de chaleur ; mais cette chaleur, au lieu qu’elle surgisse en un instant en grillant tout alentour, se dissipe dans le temps de telle sorte qu’elle peut être convertie en électricité.
Et, à la sortie, il y a les mêmes saloperies.
La principale est le plutonium 239, très toxique par son émission continue de rayons α. Dès lors qu’il est présent dans l’organisme, même en quantité infime (quelques microgrammes), il peut être mortel. D’autant plus que sa longévité est considérable : il faut 24 000 ans pour que sa radioactivité diminue de moitié. C’est donc une substance qu’il faut strictement confiner, non pas seulement hors des humains, mais hors de la biosphère, pour qu’elle ne la dévaste pas en s’insérant dans les chaînes alimentaires, pendant au moins 200 000 ans !
Or, on en est déjà aujourd’hui à devoir gérer plusieurs milliers de tonnes de ce déchet produit par l’industrie nucléaire.
Ajoutons que ce confinement est très délicat à réaliser : il doit être disséminé puisque la masse critique du plutonium 239 est de 10 kg – un bloc de 10 kg suffit pour que se déclenche spontanément la réaction en chaîne, c’est-à-dire pour que ça explose. Comme c’est un matériau extrêmement dense, un simple cube de 10 cm de côté serait déjà une bombe atomique.
200 000 ans est une échelle de temps parfaitement inhumaine : il est impossible à l’être humain de se projeter en une telle temporalité (il y a 200 000 ans nous n’existions même pas en tant qu’homo sapiens), par exemple pour assurer un suivi des règles de confinement du plutonium 239.
L’industrie nucléaire génère donc une contamination de la planète irrémédiable.
Ainsi, il est fort possible, surtout si l’humanité persiste dans son industrie nucléaire, que la biosphère succombe au surcroît de radioactivité générée par l’espèce humaine.
Enfin, ce n’est pas toute la biosphère qui est vulnérable, mais seulement sa partie terrestre.
En effet, jusqu’au 16 juillet 1945 (date de la première explosion nucléaire près d'Alamogordo au Nouveau-Mexique), la menace radioactive était du côté du passé de l’humanité. Puisque la vie terrestre n’a pu se développer, il y a environ 500 millions d’années, qu'après une forte décroissance de l’intense radioactivité native de notre planète (elle a environ 4,5 milliards d’années), et après que la vie se soit cantonnée, pendant plus de 3 milliards d’années, dans l’élément marin qui la mettait à l’abri des radiations les plus contraires à la logique du vivant : les rayons α [1].
N'est-il pas significatif que l'évolution ait instauré une non réciprocité dans la prédation pour le nourrissage entre les espèces terrestres et les espèces marines ? Car s'il y a bon nombre d'espèces terrestres qui viennent prélever des vivants marins (comme les oiseaux pêcheurs), il n'y a aucun vivant marin qui prélève une nourriture terrestre (les oiseaux volants ont un avantage de vélocité, mais ne gobent pas les insectes !). Comme si l'évolution avait intégré, sur le temps long de l'histoire de la biosphère, le danger radioactif particulier venant du milieu aérobie pour la vie marine.

Donc longue vie au cœlacanthe ! Cette espèce de poisson, vieille de plus de 400 millions d’années, est considérée comme celle qui s’est orientée vers la sortie du milieu marin pour évoluer vers les premiers reptiles terrestres dont nous sommes issus. Car la biosphère devra peut-être encore compter sur lui pour que la vie réinvestisse l’espace terrestre – dans combien de centaines de milliers, voire de millions d’années ? – après que la contamination radioactive d'origine humaine aura décru.
Cette question, avant de vous quitter : vous aussi, vous avez des enfants ?
 

[1] Voir un exposé plus détaillé de ce passé radioactif dans nos articles Considérations sur la radioactivité et l'homme (2011), et Radioactivité et expérience humaine (2004).