lundi, janvier 10, 2011

Intolérable intolérance ?

C'est une déclaration du shérif de Tucson, Arizona, suite à la fusillade dans laquelle une parlementaire démocrate, Gabrielle Giffords, a été grièvement blessée et qui a fait six morts samedi.
Ce qui est en cause est le climat d'intolérance, paraît-il particulièrement aigu dans cet État, entretenu par certaines forces très conservatrices.
Voilà ce qu'il dit, entendu dans le reportage du journal vespéral d'ARTE, hier soir  :
"Dans ce pays, l'intolérance a atteint un niveau intolérable !"
Aie ! Comment s'en sortir ?

Peut-être l'antidote est-elle ici :

samedi, janvier 08, 2011

Un devoir de s'indigner est-il possible ?

La réponse est non.
L'indignation est un sentiment. On n'est jamais responsable de ses sentiments. Le comble de l'impuissance ? La demande "Aime-moi !" Le sentiment, c'est le donné, comme la sensation. Le sentiment, c'est la part intérieure du donné ; comme la sensation en est la part extérieure. Il faut faire avec. Et là, on est libre !
On n'est jamais responsable de ses sentiments, donc ; mais on est toujours responsable de ce qu'on en fait.


Le succès de l'ouvrage de Stéphane Hessel – "Indignez-vous !" – est étonnant , parce qu'il se présente comme une injonction impossible : on ne peut décider de s'indigner. On ne peut s'indigner par choix.

Et, effectivement, le contenu du fascicule tient bien la promesse du titre. L'indignation est présentée comme "une des composantes essentielles qui fait l'humain" (p. 14).De cette position comme valeur humaine essentielle, l'auteur en déduit un devoir de s'indigner : la violation des droits "doit provoquer notre indignation" (p.20).
Or, peuvent être très dommageables ces indignations sur commande, car nécessairement elles impliquent des intentions non dites, lesquelles, forcément amèneront à des comportements qui n'auront rien à voir avec ceux impliqués par une réelle indignation. Imaginez que pour répondre à la demande "Aime-moi !" vous simuliez l'amour. Où iriez-vous sinon dans la direction d'une manipulation de l'autre ? À cent mille lieues du véritable amour !

Alors, dangereux, le fascicule de Stéphane Hessel si unanimement salué ? Ce serait un bien surprenant paradoxe !
La seule possibilité de sauver l'ouvrage serait de reconnaître l'existence d'un véritable sentiment d'indignation partagé.
Nous affirmons que c'est bien le cas. Mais alors pourquoi, y a-t-il, de fait, si peu d'indignation exprimée ? Pour deux raisons :
  • parce que toute l'organisation communicationnelle du pouvoir marchand en direction du peuple tend à l'en divertir – voir mon très ancien, mais bien confirmé, article sur le dérivertissement ;
  • parce que les opinions d'origine idéologique qui font valoir l'individualisme, les situations de bien-être, l'impuissance sinon l'infaisabilité de la révolte, amènent à la refouler.
 Nous sommes des indignés refoulés et divertis. D'où nous vient cette indignation ? De l'injustice. L'injustice vécue ou dont on est le témoin engendre nécessairement un sentiment d'indignation. L'"in-dignation", étymologiquement, et fondamentalement, c'est l'impossibilité d'accepter que soit bafouée la dignité humaine. Et l'on sait, depuis Kant, que personne de raisonnable n'est sauf de ce sentiment. Laissons, à ce propos, la parole à Proudhon (De la justice dans la révolution et dans l’Église, 1858) :
"L'homme, en vertu de la raison dont il est doué, a la faculté de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne, de s'affirmer tout à la fois comme individu et comme espèce.
La JUSTICE est le produit de cette faculté."
Ainsi Hessel se trompe dans sa manière de poser le problème du déficit d'esprit de résistance. Ce n'est pas par insuffisance d'indignation. En fait l'indignation est bien là, omniprésente, débordant même les divertissements et refoulements, à la mesure de l'omniprésence des situations d'injustice, à tel point qu'elle doit être incessamment calfeutrée par les antidépresseurs.
Ce qui fait problème, c'est ce qu'on en fait, ou plutôt ce qu'on refuse d'en faire : de la crier, de la partager, de la métamorphoser collectivement en projet social –comme les Résistants en 1944 !
Il faut interpréter le succès de l'ouvrage de Hessel parce qu'il touche juste si l'on comprend "Indignez-vous !"comme "Cessez de taire votre indignation !"
Et, au vrai, Hessel nous invite à faire spontanément ce glissement interprétatif, parce que son fascicule est un authentique cri d'indignation.
La raison du succès de "Indignez-vous !"de Stéphane Hessel ? Enfin il donne voix à un refoulé trop lourd à porter.