samedi, août 04, 2007

Ethique de l'amour

"Aimer n'est autre chose que trouver sa propre satisfaction dans la félicité ou la perfection d'autrui." Leibniz


Le mot "amour" n'a de sens pour caractériser la relation entre deux individus que s'il dépasse la vision utilitaire de la relation à autrui.

Effectivement, je tends spontanément à développer un attachement affectif à tout individu dont la relation m'apporte un bienfait. Mais cela est vrai pour n'importe quelle réalité : tel le bienfait d'un bière fraîche sous la canicule. Et si l'on emploie alors le mot "aimer", c'est en sa signification exagérément diluée. En cette signification j'aime autrui ni plus ni moins que j'aime le chocolat.

Il ne s'agit pas d'amour, il s'agit de l'affect positif attaché à ce que nous considérons comme la cause d'un bienfait.

Cette relation positive à une réalité qui nous apporte un bienfait peut être maximisée par un calcul rationnel de la différence des plaisirs et des peines, autrement dit un calcul d'utilité.

La relation à autrui, la plupart du temps, est effectivement considérée sous ce mode de l'utilité. Ce sont le cas des relations de collaboration sociale, commerciale, ou plus généralement contractuelle.

Dans l'amour, autrui n'est plus dans la perspective d'utilité. Pour une raison très simple. L'amour remet en cause la consistance du moi – de l'"ego"– sur laquelle se fonde le sens de l'utilité. Déterminer ce qui est bon pour nous présuppose de savoir qui nous sommes ! Aimer c'est remettre en cause ce que nous croyons être.


Il faut en revenir à la genèse du moi. Ce "moi" dont je me réclame a été gagné dans la prime enfance sur la dispersion de mon être dans les sensations : être "avoir faim", être "repu", être "désir de contact maternel", etc. C'est l'amour parental qui a permis de synthétiser ces sensations par l'intensité et l'unicité de l'intérêt qu'il leur a porté et les mots qu'il a apportés pour la nommer (cette unicité).

Mais qui est vraiment sûr de soi ? Le moi reste un acquis tardif, donc précaire. De fait, il est multiforme. L'adolescent ne se contente plus du moi suscité par l'accueil des parents ; il vit son adolescence en n'ayant de cesse d'imiter des modèles pour se construire une identité sociale. Chacun joue plus ou moins sa partition de vie sociale sur plusieurs identités – l'époux, le fêtard, le supéreur hiérarchique, etc. – en fonction desquelles il négocie avec la réalité ce qui lui paraît alors avantageux. Mais ces constructions sont toujours précaires, à conforter et à réconforter, appuyées sur les sables mouvants d'un imaginaire que fait dériver nos désirs les plus enfouis. On pourrait même dire que ce besoin forcené d'agir utile, de poursuivre "son intérêt particulier" est la meilleure manière de légitimer à ses propres yeux ce moi par ailleurs si peu assuré : je suis moi puisque je définis mes intérêts.

Aimer doit être compris comme un état affectif en lequel se réactive le type de sentiment d'attachement à autrui connu dans l'enfance, duquel on ne se garde par aucune position de défense sur un moi, mais en lequel on joue son être.

C'est ce renoncement à la défense de l'intérêt du moi qu'exprime Leibniz : "Aimer n'est autre chose que trouver sa propre satisfaction dans la félicité ou la perfection d'autrui."

Dès lors aimer ce n'est pas défendre ses intérêts, c'est accepter que son moi, partant la vision du monde qui en est le corollaire, soient remis en cause par l'attachement affectif à autrui.

L'amour bouleverse ou n'est que flatus vocis (bruit de la bouche).

Comme l'amour parental, faisant sortir l'enfant du monde de ses sensations pour lui permettre d'accéder au monde objectif, l'amour d'autrui et pour autrui – l'amour réciproque – fait sortir du monde de son moi pour l'élargir du monde d'autrui. Mieux, il fait naître un nouveau monde enrichi par la confrontation (hé oui, aimer, c'est aussi ne pas être d'accord, mais désirer se mettre d'accord) des mondes de chacun.

Tout comme l'amour – aimer physiquement – c'est sortir des limites de son corps pour être le corps d'autrui. Peut naître un nouveau corps, un nouvel être.

Amour = nouveau moi, nouveau monde, et éventuellement nouvel être. L'antonyme de l'amour ne serait-il pas l'ennui ? ou la sécurité ? Les deux ne sont-ils pas étroitement liés puisque la logique du vivant n'est-elle pas de lancer ses pseudopodes vers des espaces inconnus ?

Je les vois s'emm...der à la terrasse des cafés dans les endroits chics de l'occident :
"Nous avons inventé le bonheur disent les derniers hommes, et ils clignent des yeux", Nietzsche

Agrippés à leur moi, avec le rictus des "devant-être-heureux", savent-ils encore aimer ?

mercredi, août 01, 2007

Le dopage et ses paradoxes

"Que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c'est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable !" Pascal, Pensées.


Concernant le dopage des sportifs, et le plus manifestement, ceux du Tour de France, il est intéressant de noter quelques paradoxes sanitaires.

En se dopant, les sportifs prennent des susbstances ayant pour fonction de modifier des métabolismes (les équilibres) dans leur organisme qui fonctionne correctement. Ils donnent des médicaments à leur corps en pleine santé. Premier paradoxe.

Ils réalisent ainsi un imaginaire d'identité glorieuse. Ils se préparent aussi des lendemains qui déchantent, comme tous ceux dont la valeur sociale dépend de l'attention médiatique. Mais bon ! On peut admettre que cela puisse être cohérent pour certains . Qui a la réponse définitivement assurée du sens de la vie pour leur faire la leçon ? Quoique j'aime bien le discours de Christophe Bassons qui veut trouver dans le cyclisme de haut niveau, non la gloire, mais un épanouissement de ses qualités personnelles.

Mais le paradoxe gît un peu plus loin, puisque ces sportifs veulent ainsi réaliser un idéal d'homme et s'ériger en modèle – la vertu comme effort sur soi, comme capacité de la volonté à dominer la souffrance – qui est au fond un modèle de liberté ; alors que, secrètement, ils se font esclaves de médecins-gourous, de filières clandestines, et de techniques qui les instrumentalisent. Ce paradoxe se dénoue au moment où le sportif se fait prendre et passe en un instant de celui qu'on louangeait à l'infini au justiciable dont on se détourne.

Pourtant il faut considérer le phénomène du dopage sportif plus largement. Combien est symptomatique la soudaine énurésie verbale sur le dopage, de journalistes qui, si peu de temps auparavant, se retenaient consciencieusement d'en parler, alors même qu'il était flagrant qu'une information honnête l'aurait requis ! Le paradoxe est ici que, si le sportif se soigne alors qu'il n'est pas malade, la société – plus précisément l'investissement des valeurs dans la société – est malade mais ne se soigne pas. Pas de diagnostic même ! Tout se passe comme s'il était normal d'avoir mise en valeur aussi longtemps et aussi massivement la valeur intinsèque des sportifs, dans les compétitions, alors que l'on ne pouvait que savoir qu'il n'en n'était rien.

Finalement le vrai paradoxe c'est que le dopage dont on parle enfin, le dopage des sportifs – le petit dopage – n'est à ce point matière à prolixité, que dans la mesure où il permet de taire le grand dopage de la société.

Le vrai dopage, en effet, ne serait-il pas celui de toute une société qui se "shoote" à l'imaginaire d'épopées sportives pour recouvrir l'insuffisance des existences de ceux qui la constituent ?