La tempête financière actuelle m'a initié au mot titrisation.
On titrise une créance lorsqu'on la met sur le marché où elle devient un titre autonome sur lequel on peut spéculer. Ce n'est plus alors la solvabilité d'un débiteur qui détermine la valeur de la créance, mais ce qu'on pourrait appeler l'"ambiance" des marchés. On fait crédit à un établissement bancaire de ses crédits. On fait crédit à un fond d'investissement du crédit qu'il a fait à des établissements de crédit, etc...
Éh bien il faudrait peut-être retenir ce mot de titrisation comme une des clés du monde contemporain.
N'y a-t-il pas, de manière très sensible, une titrisation médiatique ?
Par exemple on vient juste, à la radio, de m'informer – me vanter – sur une émission de télévision ce soir sur la médiatisation de la vie privée des hommes politiques.
N'est-ce pas me demander de faire crédit sur le crédit que je dois porter à une émission qui va porter sur le crédit qu'on doit accorder au médias qui parlent de la vie privée des hommes politiques.
Vous suivez ?
Vous ne suivez pas ? C'est normal.
Car l'essence de la titrisation, n'est-ce pas justement de décoller de la réalité – l'unique, celle qui résiste à nos désirs – pour s'attacher aux représentations, et aux représentations de représentations, etc...?
Comme les sophistes de l'antiquité qui proclamaient qu'il n'y a pas de réalité unique, mais qu'il n'y a que les représentations qu'on s'en fait. Et donc que l'important, c'est d'imposer les siennes.
Perdre la réalité par le jeu sur les représentations qu'on s'en fait, cela a toujours été une manière de faire illusion, donc une méthode de pouvoir.
Pendant ce temps, des gens n'arrivent pas à se nourrir, des camions piégés explosent, et la banquise se délite.
La titrisation : dernier avatar de la sophistique.
"Socrate ! Reviens ! On a besoin de toi !"
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