jeudi, août 01, 2019

De l’effondrement comme objet culturel



Nous parlons ici de l’effondrement global. C’est celui scientifiquement annoncé depuis les années 70 du cadre naturel sur lequel s’appuie la vitalité de l’espèce humaine, dans la mesure où perdurent les pratiques liées à l’enrichissement privé par amplification des flux marchands. Tout indique que de cet effondrement on éprouve les premiers craquements : tels les phénomènes climatiques actuels de réchauffement accéléré, ou l’importance nouvelle des mouvements de population en exil de survie.
En ce sens, l’« Effondrement » a vocation à prendre, un jour ou l’autre, une majuscule.
C’est une nouvelle positive que ces dernières années l’idée de l’effondrement à venir de tout ce qui constitue notre monde humanisé ait acquis un début de reconnaissance dans la conscience commune. Cela amène les opinions populaires à prendre du recul par rapport au courtermisme aveugle du discours néo-libéral régnant.
Mais ne faut-il pas s’interroger sur ce qui paraît bien être une culture de l’effondrement qui s’installe dans une large partie de l’intelligentsia – souvent jeune et écologiste, mais pas seulement – des pays occidentaux ?
Comment peut-on faire culture de ce qui signifie la destruction de la culture ? Concrètement comment peut-on organiser des colloques, des programmes de recherche, des plans de publications, toutes activités qui présupposent une confiance dans l’avenir, sur un contenu qui abolit cette confiance ? Il ne peut pas y avoir une mode intellectuelle de la collapsologie – mot récemment apparu pour désigner la science de l’effondrement – comme il y a eu une mode du structuralisme ou du déconstructionnisme, car qu’y aurait-il après ?
Ne percevons-nous pas ici comme une dérive ?
Ne fait-on pas de la prévision de l’effondrement un problème de connaissance alors qu’il s’agit essentiellement d’un problème temporel – un problème d’urgence à agir ?
Car qu’y a-t-il tant à connaître de l’effondrement ? L’essentiel est là : l’effondrement c’est l’histoire humaine qui s’abîme.
L’espèce humaine a une histoire parce que son avenir est ouvert. Son avenir ne dépend pas seulement des lois de la biologie, puisqu’il est choisi aussi en fonction de l’idée qu’on se fait du Bien – c’est-à-dire de ce qui est censé donner valeur à l’humanité.
L’effondrement, c’est ce qui soustrait l’être humain à cette liberté de choisir son destin. Peut-être que du point de vue du sujet humain l’effondrement s’amorce à partir du moment où il comprend qu’il a perdu la main sur son avenir.
Nous pouvons reprendre ce que nous écrivions il y a un an (Le désespoir aujourd’hui) : « L’effondrement réinscrit objectivement la fatalité dans la succession des événements sur lesquels se tisse l’aventure humaine. Le propre d’un processus d’effondrement est qu’une fois enclenché l’avenir apparaît verrouillé dans un enchaînement implacable ; celui d’une suite d’événements catastrophiques s’appelant les uns les autres, à l’amplitude grandissante, et dont le rythme va s’accélérant, jusqu’à un acmè spectaculaire, auquel peuvent succéder quelques répliques résiduelles et qu’enfin le silence retombe sur un champ de ruines [et de cadavres]. »
L’effondrement, c’est le passage brutal, déclenché par un événement contingent – catastrophe climatique, ou sismique, ou nucléaire, ou sanitaire (pandémie), crise économique, épisode de guerre ou de violences sociales, etc. – de la liberté à la nécessité, qui est aussi le passage de la civilisation au chaos, et la réduction drastique, peut-être fatale, de la vitalité de la biosphère.
Si collapsologie il y a, elle est toute là.
Que dire de plus puisqu’on sera dans l’absolument imprévisible où toutes les initiatives humaines seront d’emblée dépassées par les événements.
Pensons à la maison qui s’embrase, ou à l’inanité des scénarios de crise des autorités nucléaires lorsqu’une centrale explose, comme à Tchernobyl ou à Fukushima.
À partir du moment où est prévisible l’effondrement, il n’y a qu’une chose à faire : agir toutes affaires cessantes pour l’éviter, ou tout au moins en réduire la gravité et retarder la probabilité de son déclenchement.
De ce point de vue les actions les plus intéressantes sont celles qui s’orientent vers l’organisation de mouvements massifs de dissidence.
Nous contribuons aux prédations mortifères des affairistes en tant que travailleurs-consommateurs. Le plus immédiatement efficace est l’action collective massive de boycott en tant que consommateurs. Tant de gens boycottent dans leur coin certains types de produits par exigence morale concernant l’avenir commun ! Mais cela se fait de manière trop éparse et discrète pour alarmer ceux qui croient toujours pouvoir appâter par un bon investissement marketing. Pourtant ces initiatives de retrait de consommation ont un vrai effet économique : le principal problème des économies occidentales aujourd’hui est leur incapacité de relancer la consommation, même en France suite aux petits cadeaux fiscaux consécutifs au mouvement des Gilets Jaunes. Mais il ne faut surtout pas dire que ce retrait de consommation a un lien avec la conscience nouvelle de l’effondrement à venir. Ce serait reconnaître que le système mercatocratique de domination sociale, qui ne tient qu’en augmentant constamment le domaine du marché, et donc la consommation, n’a plus d’avenir parce qu’il est confronté à un renversement des valeurs. Et cela, du côté des affairistes, on ne veut pas le penser.
Ce qui est décisif, c’est d’afficher publiquement, de populariser, le renversement des valeurs qu’implique la conscience de l’effondrement prévisible. Car, on l’a bien compris, le salut ne peut venir que de notre capacité commune de voir le monde autrement, c’est-à-dire en conformité avec les exigences de notre humanité, à la fois dans notre lien avec l’environnement naturel et dans notre lien avec autrui  – voir notre article L'humanité du monde d’après.
C’est pourquoi cibler certaines marchandises qui seront le plus facilement admises comme n’étant plus tolérables – et les possibilités ne manquent pas – et organiser publiquement leur boycott[1] est le meilleur moyen de réaliser ce renversement des valeurs.
La perspective de l’effondrement prochain ne peut pas être un objet de culture. Elle est l’injonction d’agir toutes affaires cessantes et efficacement pour se donner un avenir.


 [1] Pour désamorcer l’argument de chantage à l’emploi qui ne manquera pas d’être opposé, il faut se guider selon ce principe Quant à devoir choisir, toujours donner la priorité à ce qui sauve l’humain dans sa globalité par rapport à ce qui le sauve dans sa particularité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire