Le néologisme « courtermisme » désigne le procédé idéologique qui consiste à borner l’horizon humain au court terme.
Le « court terme » est une modalité de la temporalité humaine – la manière dont l’homme aborde son rapport au temps. Elle s’oppose au « long terme ».
On peut donner deux raisons qui établissent que seul l’être humain peut se penser dans le long terme :
- Parce que l’homme est le seul à avoir un entendement qui lui permet de choisir ses actes en connaissance de cause, c’est-à-dire en pensant leurs conséquences sans limitation dans le temps ;
- Parce que l’homme semble bien être le seul animal à choisir délibérément des actes qui ne lui sont pas utiles, c’est-à-dire dont il n’attend pas un profit particulier et prochain.
Ainsi le long terme est proprement humain, non seulement parce qu’il intègre les échéances lointaines de sa propre vie – épargner, préparer sa retraite –, mais aussi l’avenir même de l’espèce humaine – ainsi en est-il quand l'homme crée une œuvre d’art, se soucie de l’avenir de la planète ou éduque ses enfants.
Nous voulons inviter à reconnaître ici que le courtermisme est un élément fondamental du conditionnement des esprits pour les rendre conformes à l’intérêt marchand d’une circulation accélérée des marchandises.
Il semble y avoir deux voies importantes pour insuffler cet état d’esprit courtermiste dans le peuple :
- Présenter le bien-être, ou même le bonheur, comme étant aisément accessibles en se procurant des « biens » de consommation : « Achète cet objet, il te simplifiera la vie ! » ;
- Maintenir le plus constamment la communication sur le monde dans le registre de l’émotion : « Renoncer au nucléaire, ce sera payer l’électricité plus chère, perdre des emplois, etc… »
Ces choix, qui sont apparemment positifs à court terme, toujours se renversent en leur contraire, devenant très négatifs à long terme. Il faut gérer un objet de plus dans la maisonnée, et cet objet est destiné à devenir déchet qui aggravera un problème collectif de pollution. Le coût de l’énergie nucléaire est incommensurable aux coût des autres énergies si l’on inclut ses conséquences durables : le démantèlement problématique des centrales et la gestion des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs sur des millénaires.
Si l’on est un peu attentif aux pratiques courtermistes, on remarquera que, comme pour cet exemple du nucléaire, l’émotion la plus régulièrement sollicitée est la peur. En effet, cette émotion est la plus propre à susciter des réflexes de défense très archaïques qui court-circuitent le jugement réfléchi.
Enfin, il est intéressant de mettre en perspective le courtermisme contemporain, comme instrument privilégié du pouvoir marchand, avec les modalités d’autres grandes formes de pouvoir dans l’histoire. C’est en effet toujours en polarisant les consciences sur le long terme que le pouvoir religieux a pu, pendant de nombreux siècles, contrôler le peuple : « Tu souffres, certes, mais si tu es vertueux tu gagneras la vie éternelle au Paradis ! »
En passant ainsi d’un asservissement « longtermiste » à un asservissement courtermiste, le peuple a-t-il gagné au change ? Certes, oui ! Car il est dans une bien meilleure assurance concernant sa vulnérabilité présente par rapport au milieu naturel, tout comme il est moins directement confronté à la violence entre les hommes (le système marchand ne prospère qu’en société pacifiée).
Mais il vit ce mieux-être dans une inquiétude permanente concernant son avenir à long terme, qui vaut presque comme « tâche de fond », et qui est d’autant plus lancinante qu’elle trouve difficilement les voies d’une formulation collective. Car notre esprit, toujours humain, ne peut pas, dans ses moments de disponibilité, éluder la perspective du long terme. Comment investir notre descendance ? Quelles bombes à retardement aurons-nous laissé à nos enfants et petits-enfants ?
Seule la liberté comme autonomie – le fait de recouvrir le plein usage de sa capacité de penser ses buts et les moyens de les atteindre – peut permettre aux hommes de sortir de ces asservissements temporels.
Articulant alors la pensée du court terme à celle du long terme, ils s’opposeront à l’aberration des choix collectifs actuels et contribueront à ce que l’humanité sorte de si longs errements.
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