jeudi, janvier 05, 2012

La faute à l’école ?


Se diffusent sur le Net des vidéos – comme celle-ci – qui démolissent l’institution scolaire comme rébarbative et tueuse de créativité. Elles expriment les thèses de Ken Robinson, universitaire anglais spécialisé dans les sciences de l’éducation. Elles sont très populaires, en particulier cette vidéo originale d’une conférence de Ken Robinson.

Les thèses développées sont effectivement très sympathiques qui valorisent la créativité et l’épanouissement individuels contre les pratiques de l’institution scolaire, présentées comme ennuyeuses, héritées du passé et inadaptées au temps présent.

Pourtant, on peut éprouver un certain malaise suite au visionnage de ces vidéos, comme si ce consensuel réquisitoire contre l’école qui amène à jeter par-dessus bord l’éducation collective financée par l’État, et la majeure partie de la culture acquise (dont les humanités), contenait des non-dits inquiétants.

Visionnons la vidéo en français (la première en lien ci-dessus), une seconde fois, avec l’esprit critique. On doit reconnaître la faiblesse argumentative du discours. Ce qu’on fait à l’école est « barbant » ! Toujours ? La pensée des Lumières est dépassée ! Ah bon ? Les enfants de maternelle sont les plus performants pour avoir une pensée divergente sur un trombone ! Évidemment, ils n’en connaissent pas l’usage !

Finalement on comprend que le préjugé qui amène à de telles caricatures (qui se succèdent comme les perles d’un collier) est celui d’une éducation qui doit adapter l’enfant à la mondialisation (ce qui est d’ailleurs dit expressément), et à l’usage de la production High Tech (ce qui est suggéré).

Rappelons que cette fonction utilitaire de l’éducation n’est peut-être pas du tout essentielle. On peut défendre l’idée que l’éducation est essentiellement la transmission de la culture acquise et des capacités de la mener plus loin, c’est-à-dire, finalement, d’accroître l’estime de soi de l’humanité. Dans cet ordre d’idée, Kant suggérait qu’on éduquait toujours dans la perspective que les nouvelles générations puissent réaliser un monde plus juste !

La mondialisation, ce n’est pas un monde plus juste, c’est un monde sous l’empire de la marchandise !

Serait-ce pour une finalité aussi contestable qu’il faudrait sacrifier l’institution éducative et la culture héritée ?

Mais, objectera-t-on, il y a quand même des choses tout-à-fait justes qui sont dites sur la contradiction entre les pratiques scolaires et l’épanouissement de soi.

Mais Sir Robinson ne confond-il pas l’éducation qu’il a reçu dans les années 50 et l’éducation telle qu’elle est devenue aujourd’hui ? Les écoles ne sont-elles pas désormais capables d’organiser la travail collectif et les activités créatrices ? Quand elles ne le font pas, ce n’est pas l’institution éducative qui est en cause, mais bien l’investissement que la société fait sur elle !

Mais il est bien vrai que l’école est contraignante, parce que, par nature, l’éducation est contraignante. Et l’éducation est contraignante parce que toute vie sociale est contraignante. Et toute vie sociale est contraignante parce que la liberté spontanée de l’individu  en société n’est pas faite que d’impulsions créatrices, mais aussi de pulsions destructrices.

Avez-vous remarqué que la conception de l’éducation de Ken Robinson dessine l’idéal d’une vie sans contrainte ?
Cet idéal a-t-il un sens ?
Ce sens peut-il être autre que le « pousse-à-consommer » du mercantilisme ? Nous savons bien que, sur le marché, un nouveau produit se fait valoir par les contraintes qu’il prétend supprimer : « Plus besoin de …, Trucmuch le fait pour vous ! ». Le type d’éducation qu’essaie de promouvoir Ken Robinson ne recèle-t-il pas la perspective d’une vie sans contraintes, exactement de la même manière que les publicités présentent leurs marchandises comme moyens de supprimer les contraintes ?

Mais nous savons bien, n'est-ce pas, que la suppression des contraintes est une illusion, que derrière chaque marchandise se profile des contraintes cachées : son encombrement, le mode d'emploi, la panne, son obsolescence et le déchet à gérer, l'énergie qu'il faut utiliser pour son usage, etc.

N’est-on pas en train de lancer, de manière planifiée, un nouveau produit marchand qui se nommerait « éducation »?

Alors la question est : vaut-il mieux les contraintes du service public d’éducation ou les contraintes d’un marché de l’éducation ?

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