«... il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur.» Alexis de Tocqueville
Crise, il y a. On nous le dit assez.
Mais ce que crie la crise, ce n'est pas tant l'insuffisance du pouvoir d'achat (qu'ils aimeraient qu'on ne se soucie que de notre pouvoir d'achat !), c'est le caractère intolérable de l'état d'injustice.
Je soutiens que les mouvements sociaux actuels sont d'abord des mouvements contre l'injustice. Et par suite contre le mépris dans lequel est tenue la revendication de justice.
Les gouvernants nous proposent du pain et des jeux – le bonheur quoi ! Nous voulons du pain et de la justice. .... Non ! De la justice et du pain, de la dignité et du pain.
Le sakorzysme : détourner de l'exigence de justice par le bonheur.
On est bien d'accord, le bonheur n'existe pas, et n'existera pas. Le bonheur, c'est d'abord un imaginaire qui nous délivre de la réalité insatisfaisante.
La politique de Sarkozy : faire signe à cet imaginaire pour désamorcer les situations de crise sociale. Si elle est sommée de tenir compte de l'exigence de justice, ce n'est que pour la renvoyer au calendes grecques. Et pour bien verrouiller ce renvoi, elle prend soin de monter une usine à gaz, certes impressionnante, mais qui ne fonctionnera certainement pas quand l'intérêt collectif aura pu être aiguillé ailleurs. Cf la procédure pour la redistribution des profits ou les états généraux pour les Antilles.
Donnons-leur juste ce qu'il faut – mais ce qu'il faut quand même – de signes de bonheur. Pour les récalcitrants, les accros de la revendication, renvoyons-les dans l'avenir, promettons. L'essentiel est qu'ils perdent le bénéfice de l'énergie populaire, parce qu'elle s'intéresse à ces signes de bonheur, à ses "cadeaux". Car en temps de crise on ne maîtrise plus la communication. Et ça, c'est le pire. Il faut tout faire pour retrouver la main. Alors on pourra gérer les promesses comme on sait si bien le faire, en lançant des fumigènes (maintenant les fumigènes ne marchent plus, le dernier – réforme du régime parental – a fait flop ; nous voici dans un temps où c'est Sarkozy qui courre après les problèmes posés par les autres) .
Mais, au présent, face à un état d'injustice intolérable, il faut éviter l'embrasement social, il faut jeter des miettes de bonheur : une prime par-ci, une exonération par-là. Tout cela se range dans la rubrique "cadeaux", n'est-ce pas ? Et les cadeaux font partie intégrante de l'imaginaire du bonheur. Mais les cadeaux, c'est tout le contraire de ce qui est requis par l'exigence de justice : une règle qui s'impose à tous, et de la même manière, telle une loi qui redistribuerait les revenus, ou une loi qui prémunirait contre tel circuit pompe-à-fric qui assèche les plus vulnérables (sur l'approvisionnement en énergie, sur le logement, par exemple).
Ne pas payer une tranche d'impôt, c'est certes du bonheur. Mais après ? Et bien ça continue comme avant !
Payer ses impôts, cela devrait être un acte de justice ... si l'impôt était juste.
Et si les cadeaux du prince, c'était aussi une expression de son mépris ? Le mépris que l'on porte à celui sur lequel on se donne un droit d'injustice ?
Et si la crise n'était qu'accessoirement une crise des revenus de financiers, si elle s'approfondissait en crise des valeurs : les craquelures d'un monde du bonheur sous l'exigence de justice ?
On va se confier cette hypothèse entre nous, et continuer à regarder bavasser sur le moment de sortie de crise ceux qui n'attendent que de pouvoir recommencer comme avant.
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