Il est patent que, de nos jours, l'homme se comporte bêtement vis-à-vis de sa planète. Rendons-nous compte : prétendant afficher son souci écologique, il tronçonne allègrement des forêts pour produire des bio-carburants afin d'alimenter un parc automobile qui congestionne son espace collectif !
Ce qui pose la perspective d'une vie non bête – pleinement humaine.
Comment la penser ?
Pour se garder de la confusion, peut-être faut-il abandonner l'opposition entre une vie libre et raisonnée, qui serait proprement humaine, et une vie limitée à la satisfaction des besoins nécessaires à l'entretien de la vie, laquelle serait proprement animale.
Car une chose est de vivre, une autre chose est de survivre.
La survie n'est que la soumission à la contrainte de ce que l'on appelle l'instinct vital et qui exprime les nécessités naturelles requises pour la continuation d'une vie.
Vivre est plus large. C'est déployer ses qualités spécifiques d'être vivant.
Un chat se rapproche de la survie lorsqu'il est en appartement, castré, attaché à son maître, et attendant ses croquettes à heure fixe. Mais il ne vit vraiment que sur la prairie à veiller les souris et à se positionner par rapport à ses congénères.
La survie, c'est quand on ne peut pas faire autrement pour des raisons natives (instinct vital).
Par contre, la vie, comme le remarquait Bergson (La conscience et la vie, dans l'Énergie spirituelle), met toujours en jeu une certaine liberté – plus ou moins intense, mais liberté quand même, c'est-à-dire capacité de choix. Nous ajouterons aussi la raison. La raison est en effet manifestement dans la nature – voir mon billet mercredi, mars 24, 2010. Les comportements animaux manifestent aussi des choix rationnels. Voyons comme tel oiseau tire parti des matériaux disponibles pour s'arranger un nid solide et fonctionnel. Simplement, cette raison ne se déploie pas comme chez l'homme, dans un milieu de langage, ce qu'on appelle entendement ; de plus elle est essentiellement pratique ; enfin elle a tous les degrés de développement au long de l'échelle des espèces.
Oui, les animaux ne font pas que survivre. Ils vivent. Le chat joue avec une balle. Le chien structure un territoire avec son urine. Le merle varie ses trilles, etc.
Mais vivre au sens humain doit être compris dans un sens radicalement différent de vivre du sens animal ou végétal.
Et cela pour une raison simple : l'homme, seul, existe.
L'existence – ek-sistere = être hors de soi – humaine exprime l'idée que l'homme est la seule espèce qui n'a pas d'environnement naturel dédié. L'homme n'est pas déterminé à s'insérer dans un biotope particulier. Il peut se poser partout. Il peut même aller dans l'espace, hors de l'attraction terrestre. Autrement dit, il n'est naturellement bien nulle part.
La conséquence prodigieuse en est que l'homme est la seule espèce vivante dont le Bien n'est pas donné par la biosphère. il doit se le donner lui-même.
Ce qu'exprimait ainsi Brunetto Latini (vers 1265) :
" Où que j’aille, je serai en la mienne terre, puisque nulle terre ne m'est exil, ni pays étranger ; car bien-être appartient à l'homme, non pas au lieu." (Livre des Trésors, adapté de la langue d'oil)
Vivre pour l'animal c'est faire varier ses comportements à l'intérieur d'un champ de possibilités bien défini par son biotope spécifique.
Vivre humainement est tout autre chose : c'est élaborer ce qui est bien pour les hommes.
L'homme ne vit humainement :
- que s'il produit des œuvres que les autres humains accueillent comme étant bien, c'est-à-dire représentatives de la valeur humaine (art & technique, culture) ;
- que s'il réfléchit sur les valeurs finales qui doivent guider sa vie (pensée, philosophie) ;
- que s'il s'organise pour rendre possible l'actualisation de ces valeurs finales dans la vie sociale (justice, liberté publique, politique).
On comprend pourquoi il est important de ne pas confondre vie animale et survie.
En reconnaissant les qualités propres d'une vie animale, l'homme est amené à ne pas négliger les exigences d'une vie proprement humaine.
Par contre ceux qui aimeraient que la majorité des hommes se contentent d'une vie de travail et de consommation qui occulte le problème des valeurs finales en fonction desquelles ils vivent, auraient tout intérêt à faire croire qu'on vit humainement simplement parce qu'on n'est pas occupé à survivre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire