La "nature" est bien sûr une création culturelle.
C'est une idée créée pour exprimer un point de vue sur l’environnement humain. Mais un point de vue au sens fort de l’expression : une prise de position, une interprétation.
La nature est donc une idée éminemment culturelle, mais aussi très confuse. Car le mot nature emporte une lourde charge d’imaginaire.
Ne peut-on pas dire que, pour nos générations, celles qui voient reculer les espaces immémorialement végétalisés devant l’emprise croissante du béton et de l’urbanisation, la nature évoque des images du passé où les paysages verdoyants traditionnels n’avaient pas encore été bouleversés par des techniques humaines agressives ?
Ce qui permet de rendre compte que, de cette confusion liée aux investissements imaginaires subjectifs, émerge une valeur unanimement positive : la nature est ce qui mérite d’être protégé.
Mais du même coup la nature est l’objet d’un investissement régressif : elle traduit un désir de retour au passé, elle exprime un sentiment de nostalgie.
On peut même débusquer dans l’idée de nature un parti pris de refus de l’histoire.
Or, jamais on ne retrouve le passé, pas plus qu’on arrête l’histoire.
L’amour de la nature est un amour vain.
Cette impuissance de l'idée de nature pourrait bien permettre de rendre compte de la curieuse ambivalence pratique des hommes. Ils se repaissent de litanies nostalgiques, d’images, de films, sur une nature éternelle ; mais pratiquement, dès que le choix s’impose, ils choisissent la technique. Ils bétonnent leur cour plutôt que de faire la chasse aux mauvaises herbes, etc.
L’homme investit pratiquement la technique et fantasmatiquement – disons rêveusement pour être indulgent – la nature.
Cela se traduit par ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du film animalier ; toutes les techniques sont bonnes pour pénétrer les secrets des comportements naturels : injecter un somnifère à l’animal à la carabine, implanter un puce radio sous son épiderme, etc. Le cinéaste, ou photographe, animalier est un technicien, souvent très sophistiqué, du rêve de la non technique.
La vérité est que l’espèce humaine est l’espèce qui se donne des prises sur son environnement par créations techniques.
Son problème n’est pas de se rêver autre qu’elle n’est. Elle n'est pas faite pour être installée dans une nature pérenne. Elle est lancée dans l'Histoire. Son problème est de savoir, étant assurés les moyens de survie, quelle fin elle vise dans l'Histoire, pour quels buts elle met en œuvre ses techniques.
Cela laisse la possibilité de finalités de l’activité humaine qui ne provoquent pas, en retour, de pathos naturophile sans issue.
Il faut examiner la possibilité d’une activité des hommes – forcément technique – qui les réconcilie avec eux-mêmes, et donc avec leur environnement.
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