Et les passions historiquement les plus tenaces et conséquentes sont les passions de rivalité.
Kant les résumait à trois passions :
- la cupidité : avoir le plus de biens pour soi,
- la domination : déterminer le plus possible le comportement d'autrui,
- la gloire : être valorisé plus qu'autrui.
Or les passions de rivalité sont des passions asociales. Elles précipitent les individus les uns contre les autres et n'en finissent jamais de surenchérir dans l'affrontement.
Il faut le dire ! La principale cause de malheurs dans l'histoire, ce ne sont pas les catastrophes naturelles, ce sont les dommages que les hommes se font mutuellement (en particulier lors des guerres). Et ce qui œuvre presque toujours lors de ces dommages, ce sont les passions de rivalité.
Si bien qu'il faut prendre au sérieux Hobbes lorsqu'il affirmait que l'essence de l'État, c'est d'être le pouvoir commun à un groupe social qui lui permet de surmonter la violence immanente aux rapports de rivalité entre les hommes.
Il s'ensuit que le chef d'État symbolise nécessairement cet état de fait retrouvé du dépassement de l'expression de la rivalité qui a fait sortir les hommes de l'état de "guerre de tous contre tous" (Hobbes).
Le chef d'État ne peut habiter son statut très particulier et éminent, ne peut être respecté comme tel, qu'en tant qu'il incarne le dépassement des passions de rivalité.
Or le chef d'État n'a pu parvenir à ce poste que parce qu'il a été vainqueur dans les jeux de rivalité.
Tel est le paradoxe du chef d'État : il doit être détaché de ce dont il est le champion.
Il semble qu'il n'y ait qu'un moyen de sortir de ce paradoxe. Le futur chef d'État doit avoir peu ou prou "une pensée de derrière la tête"(Pascal). Il ne joue le jeu de la rivalité que parce qu'il a un projet pour en sortir. Un projet politique, ce n'est rien d'autre que réorienter les désirs de chacun vers un but commun qui dépasse les rivalités.
Il y a une nuance : un projet "libéral" est un projet qui intègre effectivement l'énergie de la passion de cupidité, mais qui la maintient dans le cadre d'un droit qui évite qu'elle débouche sur la violence.
Un chef d'État qui échoue est un chef d'État qui n'incarne pas ce dépassement de la rivalité dangereuse. Il met en danger la paix sociale. Il devient un problème vital pour la société.
Le chef d'État qui dit publiquement "Casse-toi pauvre con !", "Descend si t'es un homme !","J'ai un super job, une superbe femme, alors évidemment les Français me le font payer !", montre qu'il n'a pas le recul attendu par rapport aux passions de rivalité. Au sens littéral, il se révèle "vulgaire" (du latin vulgus qui signifie foule au sens d'entité sociale emportée par ses passions). Il déchoit de son statut. Et ses administrés se rendent compte que ce n'est pas la bonne personne à la bonne place.
Ils s'en rendent d'autant mieux compte qu'ils subissent alors inévitablement les dérives induites.
Car le chef d'État a d'emblée le rôle de modèle dans la prise en charge de l'intérêt public pour tous les fonctionnaires d'autorité.
Si le chef d'État faillit à se maintenir au-dessus des rivalités, ces fonctionnaires pourront se trouver légitimés à utiliser les moyens que leur confère leur statut pour se "lâcher" dans leurs propres passions de rivalité.
C'est dans un tel État qu'on a toutes chances de voir se multiplier des situations de violences collectives, en particuliers dans la relation aux forces de l'ordre.
Dans la mesure où l'on a quelque pouvoir sur la désignation d'un chef d'État, il ne faut jamais oublier que la chose la plus importante qu'il faut en attendre est le dépassement des passions de rivalité.
Je te suis dans ton analyse, Pierre-Jean et trouve que tu suis une logique tout à fait admirable et tout à fait idéaliste (et je partage dont idée, idéal, je crois que l'homme doit tendre vers un comportement exemplaire autant qu'il le peut, chercher à dominer ses pulsions violentes et s'il faillit parfois, tenter à nouveau ). Je pense en te lisant à l'idéal des philosophes des Lumières, au texte de Kant "Qu'est-ce que les Lumières" , à celui de Diderot que je lis en ce moment avec mes élèves, sur la loi naturelle...sur laquelle nous ne pouvons nous régler faute d'être assez vertueux (non au sens religieux, mais au sens moral de l'honnête homme ou du bon citoyen) et devons nous soumettre à la loi institutionnelle... J'aime beaucoup et je renonce pas à l'idée que l'homme pourrait évoluer et peu à peu devenir meilleur, il lui faut des "chefs" dignes qui lui montrent le chemin et aussi une éducation, une ambition, un respect de soi grandis....
RépondreSupprimermerci pour tes articles...
à bientôt
flo