mercredi, juin 01, 2011

Considérations sur la radioactivité et l'homme

Je reprends, dans cet article, une argumentation initiée dans l'article précédent, mais de manière, me semble-t-il, plus mûrie.


Une des clefs de l’épanouissement de la vie sur terre, c’est l’adaptation. Un être vivant est toujours déjà adapté grâce à ses instincts (ainsi l’abeille sait repérer le pollen). Mais un être vivant peut aussi s’adapter de façon beaucoup plus précise grâce à sa conscience (ainsi un chien adapte son comportement aux exigences de son maître). Mais avec le développement d’une connaissance rationnelle du monde, l’homme est capable de s’adapter à des réalités abstraites. Le virus du sida, on ne le voit pas, mais on connaît rationnellement la menace qu’il représente et les conditions de sa transmission, et donc on adapte son comportement à ce savoir.

Or, plus d’un siècle après sa découverte, l’homme ne s’est toujours pas adapté à la radioactivité. Il ne sait toujours pas à quoi s’en tenir. Il ne parvient pas à définir collectivement des règles de comportement vis à vis de cette réalité qui compose indéniablement son environnement. Les jugements les plus alarmistes côtoient les jugements anodins. Il ne sait quel parti prendre. Ce qui se passe aujourd’hui à Fukushima est-il un dommage local ou global, à court terme ou à long terme ? Y a-t-il ou non danger à vivre dans le voisinage d’une centrale nucléaire ? A consommer des légumes conservés par irradiations etc. ? Car la radioactivité soigne et guérit aussi. Et elle est depuis toujours une composante de l’environnement naturel. Mais que penser de l’accumulation de radioactivité artificielle depuis quelques décennies ? Les considérations suivantes voudraient éclairer ce rapport très particulier entre la radioactivité et l’homme.


L’espèce humaine n’a prospéré sur Terre que lorsque le niveau de radioactivité est devenu résiduel

La radioactivité est l’horloge fondamentale de notre planète. Car les éléments radioactifs ont une émission qui décroît de manière régulière selon une progression géométrique – de moitié pendant des laps de temps égaux. Elle est l’horloge radioactive qui nous permet de dater la naissance de la Terre vers environ moins 4,5 milliards d’années.
Au début la Terre était extrêmement radioactive parce qu’elle héritait des éléments lourds créés par fusion dans le cœur des étoiles. Il faut savoir qu’on a retrouvé d’infimes traces de plutonium dans des minerais radioactifs. L’homme n’a donc pas inventé le plutonium. Il le réintroduit alors qu’il avait disparu, transmuté en uranium, puis en plomb, par émission radioactive. D’autre part on a retrouvé des signes fossiles d’explosion nucléaire naturelle, ce qui signifie qu’il fut un temps où la masse critique d’uranium pouvait naturellement être réunie dans le minerai. L’homme n’a pas non plus inventé la bombe atomique !
Vers moins 3,8 milliards d’année, la radioactivité tellurique avait fortement décrue, et les premières formes de vie étaient apparues, dans l’eau. Pourquoi dans l’eau ? Parce que les émissions radioactives les plus dommageables pour le vivant sont arrêtées par l’eau. Pendant les 9/10 de son histoire la vie n’a pas quitté l’eau.
Ces premières cellules vivantes ne renfermaient pas de code génétique tel que nous le connaissons aujourd’hui, car elles n’avaient pas de noyau. A partir du moment où des molécules d’acides aminés très complexes et donc sensibles aux rayonnements ont porté les informations de reproduction de l’organisme, il fallait une nouvelle enveloppe pour les protéger : c’est vers moins 2,5 milliards d’années que sont apparues les premières cellules à noyau (Eucaryotes).
Ensuite se sont développées des bactéries capables par leur métabolisme de produire de l’oxygène (algues bleues). Au long des millions d’années ces bactéries ont saturé l’océan d’oxygène qui s’est ensuite répandu au dehors pour entourer la Terre et former l’atmosphère. Cet oxygène atmosphérique, bombardé par les rayons cosmiques, a formé une variété particulière de l’oxygène appelée ozone. Or l’ozone s’installe dans la haute atmosphère où il absorbe la plus grande part de l’énergie des rayonnements cosmiques radioactifs.
Il a donc fallu la constitution d’une atmosphère oxygénée surmontée d’une couche d’ozone pour que les premiers organismes vivants, à un moment où la radioactivité tellurique avait fortement décrue (il y a environ 500 millions d’années), se lancent sur la terre ferme.
Ce n’est donc qu’à partir de l’établissement d’un environnement radioactif apaisé qu’ont pu se développer les organismes vivants de structure plus complexe dont l’espèce humaine est issue. Aujourd’hui le vivant évolue dans une espèce de bruit de fond de radioactivité naturelle auquel il adapté. Il n’a aucun équipement physiologique pour s’en apercevoir et adapter un comportement à un événement radioactif, car il n’y a pas de tels événements, et il ne peut y en avoir. En effet, la loi d’évolution de la radioactivité tellurique est la plus déterminée qui soit : après avoir rapidement décru au début, et de plus en plus lentement ensuite, celle-ci est désormais résiduelle. D’autre part la couche d’ozone protège des variations de la radioactivité d’origine cosmique.
Il ne pouvait y avoir d’événement radioactif, jusqu’à ce que l’homme, il y a un peu plus d’un siècle, découvre la radioactivité, et s’avise de la produire artificiellement pour en utiliser l’énergie. Il faut prendre la mesure du fait nouveau que présente l’accumulation d’une radioactivité artificielle.

La radioactivité est littéralement inhumaine

En effet, la radioactivité produite par l’homme s’accumule. Le principe d’une industrie énergétique nucléaire est celui-ci : de l’électricité qui s’utilise ou se dissipe tout de suite, … et des déchets dont il faut se garder pendant des milliers d’années.
Il faut s’en garder parce qu’un surcroît de radioactivité crée du désordre dans les cellules vivantes, en altérant leurs molécules fonctionnelles. Ce sont les tissus à reproduction rapide qui sont les plus vulnérables : globules rouges et blancs (anémies, leucémies), cellules épithéliales – qui constituent le tissu protecteur d’un organe (cancer de la peau, de l’intestin), cellules germinales (malformations). Si les molécules d’acides aminés qui codent l’information génétique sont endommagées, ce seront l’ensemble des cellules reproduites à partir de cet ADN qui le seront également.
Que peut l’homme face à la menace d’une sur-radioactivité artificielle ?
·        La radioactivité échappe au contrôle humain en ce qu'elle traverse l’organisme de l’individu sans que la sensation puisse jouer son rôle de filtre de ce qui lui est nocif.
·        Supposons que l'État, dans un sursaut de transparence sanitaire, octroie à chacun un compteur Geiger pour remédier à cette impuissance sensorielle : notre raison, dans son usage le plus basique – mettre de l'ordre dans les phénomènes en décelant des rapports de causalité – serait elle-même impuissante. En effet les dommages de la radioactivité sont provoqués à un niveau infra moléculaire dans l’organisme. À ce niveau les phénomènes ne relèvent plus du principe de causalité, mais du principe d’incertitude. Conséquence : comme il n'y a pas de relation de causalité assignable entre une irradiation et un dommage physiologique, du point de vue juridique, la preuve d’une responsabilité dans le dommage est impossible à établir. Jamais un responsable de contamination par irradiation – un rejet illégal de convenance dans une centrale, un non respect des règles d’entreposage de déchets, un défaut d’information du public d’un événement d’irradiation – n’a été condamné. En matière nucléaire, les régulations pénales ne jouent pas, la société est impuissante à se défendre contre les menées nuisibles liées aux intérêts particuliers.
·        Au-delà de cette impuissance de la maîtrise consciente, la radioactivité trompe l'organisme lui-même, puisque les éléments contaminant sont accueillis comme bénéfiques, et s'installent en lui durablement, l'irradiant de l'intérieur. L'isotope radioactif se fixe dans l'organisme en prenant la place de l'élément non radioactif. Le strontium 90 se fixe à la place du calcium dans les os, l’iode 131 se fixe dans la glande thyroïde à la place de son isotope stable.
·        La radioactivité est inaccommodable à la temporalité humaine puisque la durabilité de sa nocivité dépasse tout horizon de projets humains. Il faudrait confiner durant au moins 200 000 ans le plutonium 239 (élément radioactif très agressif qui est utilisé comme combustible à Fukushima) !

Nul ne peut garantir le confinement de la radioactivité artificielle

L’homme ne peut pas s’adapter à un événement radioactif. Tout simplement parce que l’espèce humaine est inadaptable à une sur-radioactivité notable de son environnement. Ne se retrouverait-elle pas, alors, dans la condition d’une recréation d’un environnement terrestre impropre à la vie humaine ? C’est ce qu’illustrent la confusion et l’angoisse engendrés par les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima.
L’irradiation artificielle est le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme parce qu’il se trouve confronté à des dommages par rapport auxquels il est totalement impuissant.
Il faut donc absolument confiner toute radioactivité artificielle. Or, l’industrie nucléaire a déjà accumulé des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs de longue durée, et n’a toujours pas trouvé de solution pour un confinement durable. La longue durée ici, c’est une nocivité supérieure à 1000 ans. Même si l’on trouvait enfin des solutions plus pérennes que l’entreposage en surface actuel, qui peut garantir, raisonnablement, un confinement sur un millier d’années ?
Symptomatique est le problème de la fin de vie des centrales nucléaires. Rien ne se passe comme prévu. Il y a, en France, une douzaine de réacteurs industriels arrêtés, certains depuis des décennies. Aucun n’est définitivement démantelé. Tout dément les annonces faites lors de leur construction : la difficulté du démantèlement surtout lorsqu’on approche du bâtiment du réacteur, les problèmes de gestion d’énormes quantités de matériaux contaminés, les surcoûts pharamineux, les délais indéfiniment prolongés.

Il faut cesser de produire de la radioactivité artificielle

L’utilisation industrielle de l’énergie nucléaire a fait entrer l’humanité dans un danger qu’elle ne peut pas maîtriser. Le souci de préserver l’avenir des générations futures a toujours été un élément fondamental des cultures humaines. C’est aux citoyens d’imposer que ce souci soit pris en compte dans leur société. C’est ce qu’ont fait nos proches voisins allemands en renonçant à leur industrie nucléaire. Mais la contamination radioactive n’a pas de frontières. Leur décision n’a donc de sens que si les autres pays suivent, en particulier la France, le pays le plus nucléarisé au monde. Il faut imposer à nos gouvernants la sortie du nucléaire !

1 commentaire:

  1. Très instructif. Merci Pierre-Jean. Une occasion de te dire bonjour.
    bises et amitié

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