Au lendemain du 23 avril , nous sommes, comme Gérard Filloche, navrés d’avoir « supporté » – et plutôt dans le sens passif du terme – « les deux candidats de gauche les plus bêtes du monde ». Hamon et Mélenchon n’ont pas été capables d’être conséquents, alors qu’il était clair dès fin janvier pour tous – sauf pour eux ? – qu’en candidature solo aucun ne passerait, alors que réunis, ils avaient toutes les chances de faire accéder une gauche de réelle rupture avec la loi du marché au pouvoir (lire aussi Cher Benoît, cher Jean-Luc de Philippe Torreton).
Nous sommes aujourd’hui, avant le second tour, contraints d’entendre l’espace public résonner des impostures verbales que madame Le Pen déverse dans les esprits, et qui consistent à travestir systématiquement la réalité de façon à alimenter la peur. Nous voterons donc résolument Macron, non pas que nous ayons la moindre illusion sur sa vision irénique de l’expansion du marché grâce à la « nouvelle économie », mais parce qu’il faut absolument préserver l’espace citoyen de débat démocratique.
Car, si désolant que puisse paraître cet épisode électoral, si déroutantes soient les avanies que l’investissement dans la politique nous fait subir depuis quelques temps, il ne faut surtout pas renoncer : une présidence Le Pen, avec ses pouvoirs exorbitants constitutionnellement possibles, alors que ladite dame se pose comme volonté « au nom du peuple », ne manquerait pas de réduire par les grands moyens l’espace politique vivant.
En fait on ne peut pas démissionner de la politique. Démissionner de la politique serait démissionner de notre humanité. Si cela a pu advenir dans l’histoire, ce ne fût toujours que par parenthèses, en des épisodes laissant de lourdes traînées de violence et de sang derrière eux. Nous ne pouvons pas démissionner de la politique parce que c’est lorsque nous pensons et visons collectivement un Bien Commun que nous vivons le plus humainement.
C’est pourquoi il ne faut pas envisager une présidence Macron comme un moindre mal, mais viser, à travers une présidence Macron, et en toute indépendance de son programme, une reviviscence de la politique. Car l’existence d’un espace politique vivant porte toujours en lui l’espoir d’un avenir comme authentique épanouissement dans la politique. Et cet espoir est le meilleur antidote à la menace que l’ombre épaisse de l’extrême-droite retombe sur la société au prochain coup – lors de la prochaine échéance électorale importante.
Ce qui se peut exprimer ainsi : misons sur la longanimité de la politique. Le beau mot « longanimité » – qui par son étymologie associe les notions de patience et d’âme – apparaît dépareillé en un monde où domine la logique du courtermisme. Il désigne en effet la capacité de patience, d’endurance dans l'affirmation de ce qu'on est, qui permet finalement de surmonter ce qui nous malmène. La longanimité de la politique, cela signifie que, si malmenée que soit la politique aujourd’hui – par les calculs partisans des uns, par les mensonges répétés des autres, par la prévalence de l’émotionnel dans l’espace public – il faut se placer dans la perspective de sa reviviscence à venir.
La longanimité de la politique, c’est ce qui nous motive à continuer à être des citoyens actifs qui font vivre un espace politique ouvert – dénoncer les injustices, les mensonges, les manipulations, s’informer et prendre position sur les choix techniques importants, mettre les discours techniques du pouvoir dans la perspective des intérêts humains, en somme toujours discuter de ce qui conditionne le bien commun. Jusqu’à ce que le ressac de la conscience collective permette, quelque jour, le réinvestissement collectif du Bien Commun pour une réelle maîtrise populaire de l’orientation de la société.
Car si, comme on l’a vu, des candidats de gauche délaissent ainsi l’intérêt public au profit de leurs calculs partisans, si environ un tiers des citoyens sont susceptibles de choisir les impostures Le Pen au prétexte qu’à part le Front National « on a déjà tout essayé », c’est bien que la conscience collective est dans de basses eaux, là où le champ des possibles lui apparaît fort pauvre, ce qui est exactement l’indice d’un abaissement des valeurs d’humanité – celles qui amènent à agir au-delà des comportements réactifs et bêtes. Et c’est là le résultat des dernières décennies de laminage intensif des consciences par les puissances dominantes – les intérêts marchands transnationaux – qui s’efforcent de formater les individus en adéquation au statut rêvé, parce que parfaitement apolitique, de travailleurs/consommateurs.
On n’aura rien compris à la misère présente de la politique, si l’on ne reconnaît pas la contradiction entre le statut de citoyen et le statut de travailleur/consommateur tel que le pouvoir marchand l’induit à travers la pression incessante de sa propagande. La seule voie pour une société apaisée, comme pour une population où les individus redonnent du sens à leur vie et du même coup réinvestissent positivement l’avenir, c’est qu’en chacun de nous le citoyen domine l’homme qui travaille et qui consomme – ce qui veut dire que la politique reprenne la main sur l’économie.
La longanimité de la politique c’est la confiance que le temps de cette réappropriation collective viendra, et qu’il faut s’impliquer dans l’espace public dans cette perspective. En ce temps-là, il sera évident pour les forces progressistes (il s’agit du progrès vers plus de justice entre humains et plus de respect de la biosphère) qu’elles fassent alliance pour accéder au pouvoir, et les vociférations de l’extrême-droite seront reléguées à la marge comme divagations.
Car qu’est-ce que la politique, sinon l’art d’amener librement les volontés à se coordonner pour que les activités de chacun s’encadrent dans une vision collective du Bien Commun ? L’édifice du Droit positif constitue ce cadre avec, comme clé de voûte, la si bien nommée Constitution. Faire de la politique de manière efficace, c’est être capable de réaliser des consensus – c’est-à-dire être intéressé à rassembler au mieux et au plus large les gens en dégageant une perspective d’avenir commune. Et chacun sait que pour ce faire il faut sortir des impulsions émotionnelles qui enferment dans les particularismes, et faire valoir la raison qui élabore à partir de la reconnaissance des faits objectifs. Parce qu’elle est la même pour tous, la raison permet alors la discussion et l’accord durable.
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