jeudi, mai 12, 2022

Peut-on vivre sans avenir ?

 

AgroParisTech 2022

Ce qui nous réunit en cette troisième décennie du XXIème siècle, c’est un vécu de crise.
Il faut comprendre cette proposition en donnant au « nous » l’ampleur de l’humanité, et en reconnaissant dans le « vécu de crise » une incapacité de se projeter dans l’avenir.
Or, c’est le propre de la condition humaine que de ne pouvoir se dispenser d’espérer, et donc de se projeter dans l’avenir.
Pour une raison simple : l’individu humain se sait mortel. Il sait donc que le temps de vie qui lui est alloué est limité, au mieux, à quelques dizaines de circonvolutions de la Terre autour du soleil, ce qui l’amène inévitablement à se poser la question du sens qu’il veut donner à ce temps de participation à l’aventure humaine. C’est pourquoi il est mu, comme l’écrivait Ernst Bloch, par « le principe espérance », investissant l’avenir bien au-delà de son temps de vie, dans la perspective d’un avenir meilleur de l’humanité. Car il sait que c’est seulement dans une telle ouverture de son vécu temporel qu’il peut donner un sens à sa vie – voir une illustration dans mon billet Quand je serai riche !…
Ce rapport humain à l’avenir doit être clairement différencié d’une certain rapport à l’à-venir que nous partageons avec les animaux, et qui est leur exclusif rapport au futur. Il consiste à capter dans le présent des signes de satisfactions à venir possibles et donc de gérer le présent à partir de ces signes afin de les faire advenir –  pensons au chat qui chasse une souris, mais aussi à la stratégie du petit enfant qui veut se faire acheter un jouet par l’adulte dans le centre commercial.
On peut appeler cette attitude de vie, qui ne décolle pas véritablement du présent, encore sous-humaine,  le courtermisme.
N’est-ce pas aussi massivement en courtermistes qu’agissent les gouvernants comme les majors du monde industrialo-marchand aujourd’hui ?
Le « Canard enchaîné » du 11 mai 2022 :

« Plus ça va mal, mieux ça va aller

ELLE N'EST PAS sortie de l'auberge, la toute flambant neuve « nation écologique » qu'a promis d'inventer Macron. Mardi 3 mai, à la grande satisfaction du lobby de la pêche industrielle, les députés européens ont autorisé la pêche au chalut dans les « aires marines protégées ». Et ce à l'initiative d'un eurodéputé macroniste, Pierre Karleskind, lequel préside la commission de la Pêche au Parlement européen. Une eurodéputée Verte belge ayant proposé d'y interdire cette pêche très destructrice, il s'est empressé de la contrer. Son amendement, qui se veut « pragmatique » (« Le Monde », 5/5) et permet de la maintenir telle quelle, l'a emporté. Rappelons que seules les « aires strictement protégées » le sont réellement. Dans les autres, on peut continuer de pratiquer le tourisme, les transports, les activités nautiques. Et le chalutage de fond. « Un désastre pour le climat et la biodiversité, a tweeté Claire Nouvian, de l'ONG Bloom. Votre "nation écologique" est une imposture. » Tout de suite les grands mots !
Deux jours plus tard, jeudi 5, l'Autorité environnementale rend public son rapport annuel. Les 149 avis qu'elle a rendus tout au long de l'année passée sur les projets autoroutiers, aéroportuaires, nucléaires ou d'aménagement pour lesquels elle a été consultée sont tous fondés sur le même vieux modèle, « avec les mêmes programmes, les mêmes financements » : rares sont ceux qui tiennent compte de la biodiversité et du climat. Bilan : « la transition écologique n'est pas amorcée en France ». Tout de suite les jugements lapidaires !
Le même jour, deux instituts de recherche, l'Inrae et l'Ifremer, publient l'expertise qui leur a été commandée par le gouvernement sur l'impact des pesticides. Bilan : une catastrophe. On en trouve partout, jusqu'à 3 000 mètres de profondeur, dans les océans, jusqu'aux pôles et, même si les produits chimiques les plus dangereux ont été bannis en Europe, les effets des plus de 50 000 tonnes balancées chaque année en France restent massifs (la pollution est la troisième cause de l'effondrement du vivant) et sous-estimés (on néglige l'impact de l'effet cocktail).
Ces pesticides entraînent « une fragilisation de la biodiversité et des services qu'elle rend ». Tout de suite de l'agribashing !
Ce même maudit jour, le WWF indique que ce 5 mai 2022 est le « jour du dépassement » (lire « Plouf », p. 5). La France consomme, pollue, bétonne désormais au-dessus de ses moyens, elle prélève plus de ressources que la nature ne lui en fournit.
Heureusement que « planification écologique » rime avec « baguette magique »...
J.-L. P. »

Car, en effet, ne viser l’après qu’en fonction de la croissance du PIB ou du chiffre d’affaires, c’est ne pas voir plus loin que les possibilités d’enrichissement présentes et les satisfactions à court terme qu’elles promettent.
Épictète enseignait il y a 20 siècles (Entretiens) : « Il est des gens qui, comme les bêtes, ne s'inquiètent de rien que de l'herbe ; c'est vous tous, qui vous occupez de votre avoir, de vos champs, de vos serviteurs, de vos magistratures ; tout cela n'est rien que votre herbe ». Et il ajoutait : « Parmi ceux qui sont dans cette foire, bien peu ont le rôle de la contemplation et se demandent ce qu'est le monde et qui le gouverne. »
Il semble bien que, de manière analogue, les gens de pouvoir actuels, je veux dire ceux qui ont le plus de responsabilités sociales quant aux décisions qu’ils prennent, « ne s’occupent que de leur herbe », et ont une forte réticence à lever la tête pour voir vers quel avenir ils s’orientent et orientent la société.
Et s’ils leur arrivent de parler réellement de l’avenir, c’est pure rhétorique, histoire de faire pare-feu à la propagation des expressions de désaveu populaire, afin de pouvoir continuer à brouter leur herbe.
Ce ne sont pas des arrivistes de la politique ou des milieux d’affaires que viendra une quelconque ouverture à l’avenir.
La réhabilitation de l’avenir viendra uniquement des milieux populaires.
En voici un bel exemple :

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