« Aujourd’hui,
ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la
Cisjordanie. »
Stéphane Hessel, Indignez-vous ! , 2010.
Stéphane Hessel, Indignez-vous ! , 2010.
La période de 1792 à 1815, qui a vu s’enchaîner en Europe
occidentale les guerres liées à la nouvelle république française puis à
l’empire napoléonien, a été nommée rétrospectivement par nos voisins
européens la période de La Grande Guerre.
On estime son bilan global à environ 4,5 millions de tués dans
l’Europe d’alors, Russie comprise (Haegele, Bey et Guillerat, Infographie
de l'Empire napoléonien, Perrin, 2023).
Il n’y eut plus de guerre en Europe
pour près d’un demi-siècle après le Congrès de Vienne (1815).
Puis un nouveau cycle de violences s’initia, d’abord avec la guerre de
Crimée (1853), puis, la décennie suivante, avec les guerres de la
Prusse contre l’Autriche (1866) puis contre la France (1870). Ce
nouveau cycle de violences s’exaspéra entre 1914 et 1945 par les deux
guerres mondiales avec L’Europe pour épicentre.
Dans cet épisode de violence de la première moitié du XXe siècle, on peut évaluer à
près de 100 millions le nombre de tués – ce qui inclut, outre le
victimes militaires, toutes les victimes civiles, en particulier les
victimes génocidaires des nazis et les massacres de la guerre menée par
les Japonais en Asie.
Mais il faut toujours, à un moment ou à un autre, revenir des
désolations laissées par la violence qui s’est généralisée. Les
bravades de la force qui annonce qu’elle « éradiquera »
l’ennemi ne sont jamais les derniers mots. Les humains finissent
toujours par prendre la mesure de l’absurdité de cette violence qui
s’auto-alimente et se mettre à reconstruire.
Comment sommes-nous revenus de l’épisode de violence du tournant du
XIXe siècle ? Par la
promotion du commerce et de l’industrie – Benjamin Constant : « il
doit venir une époque où le commerce remplace la guerre. Nous sommes
arrivés à cette époque. » (De la liberté des anciens comparée à
celle des modernes, 1819). Il
s’en est suivi une nouvelle forme de pouvoir qui a pris la place du
pouvoir fondé sur la domination de lignées autoproclamées supérieures.
C’est le pouvoir mercatocratique, fondé sur l’enrichissement pécuniaire
privé, et auquel nous sommes encore assujettis.
Nous avons, dans Démocratie
… ou mercatocratie ?, explicité les procédés de ce pouvoir et
montré en quoi ils tendaient à nier l’humanité des individus. C’est en
cela que l’emprise grandissante de la mercatocratie sur les
populations, à la fois en intensité (intrusion dans les consciences par
propagande et réclame), et en extension (exode rural et
prolétarisation, colonisation), en engendrant une épidémie de
frustrations humaines, a pu être le terreau de l’épisode des violences
démesurées qui caractérisent la première moitié du XXe siècle.
Nous ne sommes revenus de cette violence que par la mise en place de
l’Etat-providence qui ambitionnait d’encadrer les menées
mercatocratiques en fonction de la préservation d’un minimum de dignité
et de bien-être pour tous, en particulier en sauvegardant un domaine de
biens publics assumé par l’État (cf. le programme du Conseil National
de la Résistance, 1944).
Mais l’État-providence a progressivement été démonté au profit du
pouvoir mercatocratique à partir du tournant libéral des années
quatre-vingt. La mercatocratie a pu démultiplier son emprise sur les
consciences grâce à la massification de la communication numérique par
écran interposé qu’elle maîtrise désormais largement. C’est ainsi que
les valeurs spécifiquement mercatocratiques – l’individualisme réduit
au pouvoir qu’apporterait l’enrichissement pécuniaire – n’ont jamais
été aussi prégnantes dans le monde, comme elles n’ont jamais été vécues
aussi violemment par les populations les moins bien placées dans la
compétition qu’elles impliquent. Ce qui ouvre des boulevards aux
prétendants populistes qui s’aménagent des situations de pouvoir en
désignant des ennemis à détruire comme condition du soulagement des
frustrations populaires.
C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui dans une période de montée de
la violence qui est assez parallèle à celle de nos ancêtres des années
vingt du siècle dernier. Avec cette différence que le terreau de la
violence contemporaine est beaucoup plus ample. On voit bien que de
nouvelles guerres surviennent, durent, et s’intensifient, que d’autres
son prêtes à exploser. Oui, il faut envisager un avenir de progression
de la violence à un degré inconnu…
Tout se passe comme si nous étions entrés dans un nouveau cycle
séculaire, celui du XXIe
siècle, de la violence humaine se généralisant.
Mais quel sens peut avoir cette notion de cycle séculaire ? Quel
rapport y a-t-il entre ces violences révolutionnaires et
post-révolutionnaires d’il y a plus de deux siècles, qui réagissaient à
la domination plus que millénaire de la force et de la peur de la part
de lignées autoproclamées nobles sur les humbles qu’elles mettaient à
leur service, et la violence présente qui est largement le contrecoup
de la manipulation des consciences par la communication mercatocratique
?
Et si le rapport était exclusivement temporel ? Ou, plus
précisément, de mémoire ? Un siècle n’est-ce pas le temps requis pour
perdre le contact avec la mémoire vivante des témoins ayant survécu à
ces violences ?
Or, aujourd’hui disparaissent les derniers témoins vivants de
l’épisode violent du siècle dernier. C’est pour cela que nous citons
en exergue Stéphane Hessel s’indignant de la violence qui était imposée
aux palestiniens. Car lui-même était témoin de la violence de
l’occupation allemande. Il savait vers quel nuit de malheurs elle ne
manquerait pas de précipiter cette partie du monde. Les événements
actuels lui donnent raison !
Sa voix, en 2010, avait été écoutée. Mais insuffisamment, elle était
trop seule. Le pouvoir politique était déjà trop largement occupé par
des oublieux de cette mémoire de leurs ascendants.
Ce cycle de violence du XXIe
siècle est désormais enclenché, on le voit bien. Et il peut nous
précipiter vers des abîmes.
Alors quels vœux pour 2024 ?
Que cette conscience des cycles centenaires déterminés par la
disparition inévitable des mémoires vivantes, nous permette de ne plus
en être simplement des victimes passives. Qu’en 2024, face à
l’actualité violente sans cesse assénée, nous ayons le recul d’une
mémoire plus longue qui nous maintienne dans la pensée du malheur des déchainements de violence des siècles passés.
Mais j’entends l’argument des fatalistes : « Il faut bien qu’un
certain nombre d’humains disparaissent puisque nous sommes trop
nombreux ! ». Il faut leur rappeler que nous disposons des moyens
bien moins coûteux, moins malheureux, pour contrôler notre démographie !
Mais, nous le savons, la pensée ne peut rien contre la force qui ne
veut qu’être la plus forte !
Alors, qu’au moins, en 2024 nous anticipions que, quel que
dramatique soit le nombre de ses victimes, il faudra bien un jour que
nous humains du XXIe
siècle revenions de ce nouvel épisode d’égarement dans la violence. Il
est sage alors de se mettre dès à présent dans la perspective du monde
plus humain à construire par lequel nous en reviendrons.
souhaitons nous quelques victoires , même petites, des moments joyeux et des rencontres
RépondreSupprimer