vendredi, novembre 19, 2010

Sur l'annonce de l'enseignement de la philosophie en Seconde

L'enseignement de la philosophie en Seconde, c'est d'abord un acte de communication d'un gouvernement qui a besoin de faire accroire sa nouveauté et d'un ministre qui espère ainsi positiver son image et celle de sa réforme.
À regarder de près, cela se réduit à pas grand chose : seulement la possibilité d'enseigner la philosophie dans le cadre des horaires fourre-tout-et-n'importe-quoi – "enseignements personnalisés", "enseignements d'exploration", ECJS – que l'on multiplie depuis quelques temps, au détriment des enseignements disciplinaires. Donc pas d'horaire dédié, pas de budget, pas de recrutement, pas de programme.
Mais au-delà de ces petites stratégies d'autopromotion à l'économie, regardons-en le principe.

Indépendamment des problèmes de conceptualisation et de lecture des textes de la tradition, philosopher c'est au moins avoir la capacité de prendre du recul par rapport à ses passions pour les penser et les mettre en perspectives en fonction de valeurs finales réfléchies.
Or l'expérience nous apprend que, même en Terminale, un certain nombre d'élèves sont incapables d'entrer dans cette prise de recul, tout simplement parce que ça n'est pas leur problème.Et ça ne peut pas l'être parce qu'ils ont des problèmes autrement plus urgents à résoudre, problèmes que l'on peut globalement ranger sous la catégorie des problèmes d'identité.

C'est assez normal. Chaque individu a son propre cheminement de maturation. Mais ce qui est certain, c'est que cette maturation passe par une phase d'appropriation de son identité contre le statut de l'enfant-à-ses-parents, et par la quête de reconnaissance par ses pairs et plus largement par la société extérieure à la famille.
C'est ce qu'on appelle l'adolescence.
Elle a sa phase critique lorsque l'essentiel du désir de l'individu est capté par cette quête. C'est la crise d'adolescence. Or, pour philosopher, je veux dire, pour que ça ne soit pas un exercice seulement contraint, il faut être passablement dégagé de ces passions de l'adolescence.

Il faut cesser de se considérer sans arrêt dans le miroir, pour considérer de manière objective le sens de sa vie et les valeurs en fonction desquelles on doit vivre !

Il est certain que, généralement, on n'est pas encore sorti de cette phase égocentrée à 15-16 ans, en Seconde.
Il est tout à fait possible que le lycéen concerné soit enthousiasmé par ce projet. Mais il est fort possible que ce soit pour de mauvaises raisons : le gain pour son identité de s'afficher comme participant à cet enseignement pour plus grands. Cet enthousiasme risque vite alors de retomber devant les exigences de la réflexion conceptuelle.

Ce dont a d'abord besoin le lycéen de Seconde, c'est d'une présence suffisante d'adultes pour l'aider à se positionner et s'affirmer par rapport à la pression des valeurs proposées par la société. Ces adultes l'aideront à la fois par leur exemplarité, et comme interlocuteurs pour leurs interrogations.

En tant que prof de philo, ce que je demande au gouvernement, ce n'est pas l'introduction de la philosophie en Seconde :
  •  c'est l'arrêt de la réduction du nombre d'adultes relativement au nombre de lycéens dans les établissements. Il faut moins d'élèves par classe, plus de surveillants, pour que la relation éducative dont l'adolescent a besoin soit possible.
  • c'est l'abandon de cette "réforme" déstructurante qui multiplie les sollicitations du professeur pour des taches qui l'éloignent de la relation à l'élève. Quel mépris de penser faire croire qu'on institue des heures d'"enseignement personnalisé" alors qu'on réduit jusqu'au point de rupture le nombre de professeurs, documentalistes, surveillant(e)s assistant(e)s sociaux(ales), infirmières !
Mais cela coûte, alors que l'introduction de la philosophie en Seconde proposée ne coûte rien.

L'État doit décider si le surplus de richesses créé par la croissance économique continue depuis plusieurs décennies – c'est-à-dire d'abord par le travail populaire – peut être aussi investi dans l'éducation.

La philosophie devrait plutôt être introduite en Ministère : "faire des économies" peut-il valoir comme valeur finale pour l'Éducation ?

3 commentaires:

  1. je reviens lire cet article dès que possible ! ça m'intéresse !

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  2. Je partage ta colère et ta conclusion ! L'article est intéressant. Toutefois, bien que n'y ayant jamais participé ou n'y ayant jamais assisté, j'ai entendu dire que l'on fait des cours de philo à des enfants de l'école primaire et que c'est très intéressant. Penses-tu que la problématique de l'enfant de primaire est différente dans son développement de celle de l'enfant de 2e, permettant là l'enseignement de la philosophie ( à moins que ce ne soit une initiation à une démarche philosophique, je doute que l'on enseigne les concepts philosophiques à l'école primaire) et ici ne le permettant plus, du moins le suspendant pour le temps où l'ado fait sa "crise d'identité" ?

    Mais je suis bien d'accord avec toi, on pourra lancer toutes les idées de réformes des enseignements que l'on veut, si l'on ne donne pas de moyens décents à l'éducation, je veux dire de moyens humains décents, l'éducation ne pourra pas se faire dans de bonnes conditions. Et c'est très grave pour l'avenir!

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  3. Pour ce qui concerne "la philosophie en maternelle".
    Soit. Mais il ne faut pas s'abuser sur le mot.
    Le petit enfant se pose et pose des questions philosophiques au sens où il cherche des réponses concernant les "grands mots" utilisés par les adultes, tout particulièrement ceux qui désignent des valeur finales : "c'est beau ?" "Pourquoi c'est beau ?"...
    Mais il cherche des réponses concernant ce qu'il sent avoir une grande valeur pour l'adulte, il ne philosophe pas au sens où il réfléchirait avec du recul à la question en opposant plusieurs réponses.
    Il vise à s'approprier le monde adulte, donc notre monde commun, et ceci d'abord avec les mots importants qui le structurent.
    Donc, à ce niveau là, on n'est pas dans le concept, mais plus simplement dans le vocabulaire. Simplement il y a un vocabulaire qui a une portée philosophique au sens où il déploie un horizon de valeurs qui donnent sens au monde. Le petit enfant est tout spécialement intéressé à entrer dans la maîtrise de ce vocabulaire. Et il est bien qu'on prenne le temps pour bien répondre à sa demande.

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