dimanche, novembre 27, 2011

Approche du courtermisme


Le néologisme « courtermisme » désigne le procédé idéologique qui consiste à borner l’horizon humain au court terme.

Le « court terme » est une modalité de la temporalité humaine – la manière dont l’homme aborde son rapport au temps. Elle s’oppose au « long terme ».

On peut donner deux raisons qui établissent que seul l’être humain peut se penser dans le long terme :
  • Parce que l’homme est le seul à avoir un entendement qui lui permet de choisir ses actes en connaissance de cause, c’est-à-dire en pensant leurs conséquences sans limitation dans le temps ;
  • Parce que l’homme  semble bien être le seul animal à choisir délibérément des actes qui ne lui sont pas utiles, c’est-à-dire dont il n’attend pas un profit particulier et prochain.

Ainsi le long terme est proprement humain, non seulement parce qu’il intègre les échéances lointaines de sa propre vie – épargner, préparer sa retraite –, mais aussi l’avenir même de l’espèce humaine – ainsi en est-il quand l'homme crée une œuvre d’art, se soucie de l’avenir de la planète ou éduque ses enfants.

Nous voulons inviter à reconnaître ici que le courtermisme est un élément fondamental du conditionnement des esprits pour les rendre conformes à l’intérêt marchand d’une circulation accélérée des marchandises.

Il semble y avoir deux voies importantes pour insuffler cet état d’esprit courtermiste dans le peuple :
  • Présenter le bien-être, ou même le bonheur, comme étant aisément accessibles en se procurant des « biens » de consommation : « Achète cet objet, il te simplifiera la vie ! » ;
  • Maintenir le plus constamment la communication sur le monde dans le registre de l’émotion : « Renoncer au nucléaire, ce sera payer l’électricité plus chère, perdre des emplois, etc… »

Ces choix, qui sont apparemment positifs à court terme, toujours se renversent en leur contraire, devenant très négatifs à long terme. Il faut gérer un objet de plus dans la maisonnée, et cet objet est destiné à devenir déchet qui aggravera un problème collectif de pollution. Le coût de l’énergie nucléaire est incommensurable aux coût des autres énergies si l’on inclut ses conséquences durables : le démantèlement problématique des centrales et la gestion des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs sur des millénaires.

Si l’on est un peu attentif aux pratiques courtermistes, on remarquera que, comme pour cet exemple du nucléaire, l’émotion la plus régulièrement sollicitée est la peur. En effet, cette émotion est la plus propre à susciter des réflexes de défense très archaïques qui court-circuitent le jugement réfléchi.

Enfin, il est intéressant de mettre en perspective le courtermisme contemporain, comme instrument privilégié du pouvoir marchand, avec les modalités d’autres grandes formes de pouvoir dans l’histoire. C’est en effet toujours en polarisant les consciences sur le long terme que le pouvoir religieux a pu, pendant de nombreux siècles, contrôler le peuple : « Tu souffres, certes, mais si tu es vertueux tu gagneras la vie éternelle au Paradis ! »

En passant ainsi d’un asservissement « longtermiste » à un asservissement courtermiste, le peuple a-t-il gagné au change ? Certes, oui ! Car il est dans une bien meilleure assurance concernant sa vulnérabilité présente par rapport au milieu naturel, tout comme il est moins directement confronté à la violence entre les hommes (le système marchand ne prospère qu’en société pacifiée).
Mais il vit ce mieux-être dans une inquiétude permanente concernant son avenir à long terme, qui vaut presque comme « tâche de fond », et qui est d’autant plus lancinante qu’elle trouve difficilement les voies d’une formulation collective. Car notre esprit, toujours humain, ne peut pas, dans ses moments de disponibilité, éluder la perspective du long terme. Comment investir notre descendance ? Quelles bombes à retardement aurons-nous laissé à nos enfants et petits-enfants ?

Seule la liberté comme autonomie – le fait de recouvrir le plein usage de sa capacité de penser ses buts et  les moyens de les atteindre – peut permettre aux hommes de sortir de ces asservissements temporels.
Articulant alors la pensée du court terme à celle du long terme, ils s’opposeront à l’aberration des choix collectifs actuels et contribueront à ce que l’humanité sorte de si longs errements.

samedi, novembre 26, 2011

Du moins pire usage de l’évaluation des enseignants

 
 
Il est évident que les enseignants doivent évaluer ; il n’est pas évident qu’ils doivent être évalués.

On peut définir ici l’évaluation comme un mécanisme social fondamental qui consiste, pour la société, à tirer le meilleur parti des compétences de chacun. Mieux vaut être soigné par un médecin diplômé que par un charlatan !
L’enseignant titulaire a, lui, déjà été évalué, et, sauf à changer de fonction, pourquoi le serait-il encore ?
Pourtant, non seulement l’enseignant est évalué, mais il est noté. La notation – l’évaluation quantitative – a pour fonction de classer les individus de façon à pouvoir les discriminer pour l’obtention de fonctions ou d’avantages.
L’évaluation quantitative des enseignants a pour but de les discriminer pour l’« avancement », c’est-à-dire, essentiellement l’augmentation de salaire.
Délicat ! Qu’évaluer ? Le but de l’enseignement, ce ne sont pas seulement les résultats des élèves aux examens ! Et de toutes façons, à travers l’alchimie d’un psychisme, qui peut hasarder un déterminisme entre la qualité d’un enseignement et les résultats ?
Si augmentation de salaire au long de la carrière il doit y avoir, ce qui est justifiable, elle pourrait aussi bien être automatique. D’ailleurs, par compromis avec les représentants des enseignants, elle était devenu semi-automatique – la notation, fortement déterminée par l’ancienneté, ayant largement perdu de son sens.
La bonne formule pourrait être pour les enseignants : pas d’évaluation, avancement automatique à l’ancienneté (comme une prime à la fidélité et à l’expérience), mais ouverture de la carrière (l’évaluation serait alors particulière aux candidats et relative à la nouvelle fonction visée).
Si l’enseignement se porterait sans doute mieux sans évaluation des enseignants, il est cependant clair que ceux-ci doivent être contrôlés. Ne frémissez pas collègues ! Qu’une institution soit sérieusement contrôlée est signe de sa bonne santé, et, plus largement de la bonne santé de l’espace public. Et on a tellement besoin d’un espace public solide ! Et cet espace public ne vit que de la contribution des citoyens. Mais le contrôle, c’est très simple et n’a pas à être lourd : il consiste à vérifier que l’enseignement se fait dans les règles. On raisonne ici du point de vue d’une démocratie réelle en laquelle les règles sont issues de votes des représentants du peuple, et non imposées par décret – toujours rappeler l’argument de base contre la réforme actuelle : elle n’est pas démocratique ! (Ainsi l’enseignant ne devrait pas s’opposer au remplissage du cahier de texte, mais exiger qu’il puisse le faire dans les meilleures conditions.)
Il est bien aussi que les enseignants puissent être accompagnés, et cet accompagnement pourrait être fusionné avec la formation permanente. Le rôle des « inspecteurs » pourrait être de piloter ce service.

Mais si l’évaluation des enseignants doit  être maintenue, de grâce, qu’on en reste à l’évaluation pédagogique par les inspecteurs ! Si cette évaluation – surtout en ce qu’elle est quantitative – ne peut qu’être passablement arbitraire, au moins porte-t-elle sur l’essentiel de la fonction enseignante, et est-elle faite par quelqu’un de compétent et d’expérience en la matière !

Rien de pire qu’une évaluation quantitative par le chef d’établissement ! (Quel que soit l’affichage, elle sera finalement quantitative car on va gérer tout ça via les tableurs).
Pourquoi ?
Parce que le chef d’établissement est désormais essentiellement un gestionnaire? C’est-à-dire quelqu’un qui gère à court terme son établissement d’enseignement du point de vue de la satisfaction des parents et de la hiérarchie, ce qui passe essentiellement par les résultats des élèves et l’image publique de l’établissement.

Mais l’enseignement n’est pas essentiellement un investissement à court terme. Pour preuve : ce qui permet de juger de la valeur d’un enseignement, ce n’est pas le diplôme acquis, le niveau de rémunération, le prestige du poste, c’est ce que cet enseignement permet de faire de sa vie, en quoi il permet de lui donner de la valeur. Car une vie, en notre temps, grâce au dieu progrès, est longue, et, pour la société, peu utilisent les mêmes compétences toute leur vie, et d’ailleurs l’évolution contemporaine le permet de moins en moins.
Mieux, l’enseignement a une fonction humaine vitale qui est d’entretenir le monde humain par transmission de la culture aux nouvelles générations. La culture ? Les savoirs et valeurs qui rendent l’humanité fière d’être humaine. Parmi ces valeurs : la valeur de justice et donc la démocratie.
Ce qui vaut, dans l’enseignement, c’est le long terme de l’individu, et même le long terme de l’espèce !
Il se trouve que nous sommes aujourd’hui soumis à un empire marchand, lequel fait régresser ces valeurs de justice et de démocratie, au profit des valeurs de plaisir et bien-être individuel par le moyen d’objets consommés.
La réforme actuelle de la notation des enseignants ? Une mesure de grande importance stratégique pour réduire les enseignants, et donc l’enseignement, aux valeurs du marché : former des individus conformes à la circulation accélérée des marchandises ! C’est-à-dire marginaliser, sinon effacer (il faut garder encore, pour le moment, un vernis de culture) les buts proprement humains de l’enseignement.

S’opposer à la réforme de l’évaluation des enseignants au nom de leur liberté face au pouvoir du chef d’établissement, au nom de leur solidarité face aux phénomènes de cour ? Oui, bien sûr !
Mais, n’est-ce pas, on vous répond : « c’est bien comme ça dans le privé, on n’en meurt pas, pourquoi garderiez-vous vos privilèges ? »

Mais s’opposer à la réforme de l’évaluation des enseignants au nom des valeurs humaines de l’enseignement : on vous écoutera !
Aujourd’hui le peuple, par-delà ses petites béatitudes consommatrices, est secrètement taraudé par une défiance incontrôlable face à l’avenir (qui n’a jamais eu d’équivalent dans l’histoire). Il sera heureux – ce sera un motif d’espoir – d’entendre les voix des enseignants défendre les valeurs d’avenir.

Au moins, le système actuel d’évaluation, tout insatisfaisant qu’il soit (la seule solution satisfaisante :  pas d’évaluation) reconnaît cette dimension à long terme de l’acte pédagogique !

mercredi, novembre 23, 2011

Le besoin de justice et la barbarie contemporaine



Le principal problème auquel sont confrontés les hommes est, et a toujours été, la violence.
Par exemple, en nos contrées occidentales, l’homme s’est assez bien sorti des épisodes de violence collective incontrôlable (les guerres) qui ont désolé l’existence de nos aïeux.

Mais il faut quand même dire clairement que, dans les pays occidentaux, depuis un peu plus d’une décennie, nous sommes confrontés à une nouvelle forme de violence qui nous pose un grave problème. Il s’agit d‘actes individuels extrêmement violents sur personnes vulnérables, perpétrés pour des motifs pulsionnels, et qui ne sont plus exceptionnels. Il n’y a plus de mois, en France, sans nouvelle victime d’un crime qui relève de cette violence : une joggeuse, une fillette un moment isolée, une adolescente qui s’est laissée entraîner dans la nature, etc. Ce pur rapport de force du fort sur le faible, qui court-circuite toute règle culturelle comme toute compassion humaine, doit être désigné, me semble-t-il, comme symptôme d’une barbarie contemporaine.

Ce phénomène pose dès à présent un problème de liberté publique puisque des secteurs entiers de la population perdent leur liberté de circuler un peu loin de leurs proches ou dans des endroits un peu isolés. La confiance en autrui inconnu et le droit collectif incontesté à la protection du vulnérable, autant de caractères qui font la solidité d’un tissu social, sont ici remis en cause. 

Il est vain de vouloir s’accrocher à l’interprétation de la répétition de ces actes comme un mauvais hasard. C’est aussi un problème culturel : un problème qui a à voir avec les valeurs régnantes dans notre société mercatocratique (mise en forme par le pouvoir marchand) – individualisme et priorité au plaisir –, comme avec son mode de fonctionnement – insuffisante présence des adultes (remplacés par des écrans) pour accompagner le processus éducatif des enfants. J’avais écrit sur ce problème, il y a une dizaine d’années, un article – À propos d'une nouvelle forme de violence – que l’on peut consulter pour une analyse plus précise.
Quoique chaque cas de cette violence barbare puisse être considéré comme l’expression d’une psychopathologie, c’est quand même un problème social alarmant que le passage du désir à l’acte atroce puisse se faire si fréquemment. Je remarque que ce problème social est soigneusement écarté par les discours publics.

Pourtant le peuple est mécontent, et c’est légitime. Il vit une insécurité sournoise, et il sent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Face à ce mécontentement, on lui désigne, comme objet à sa vindicte, l’institution de Justice, comme on l’a fait dans les plus hautes sphères du pouvoir d’État, et comme le fait aujourd’hui un certain « Institut pour la Justice ».

Cette attitude – s’en prendre globalement à l’institution de Justice – n’a pas de sens et est extrêmement dangereuse.
Il est en effet absurde de dire, comme le fait cet « Institut pour la Justice » que les magistrats protègent les délinquants. Pourquoi ? En vérité, ces fonctionnaires font un travail fort difficile, avec des moyens insuffisants, trop vite parce que l’institution est embouteillée, avec un cadre juridique complexe et peu cohérent (on empile les lois), et en devant répondre à des injonctions sociales contradictoires (protéger les gens, ne pas incarcérer trop vite, penser la réinsertion, etc.) Et ils prennent malgré tout le plus souvent les bonnes décisions, celles qui sauvegardent le mieux l’ordre social.
En effet, il est extrêmement dangereux de dénigrer en tant que telle l’institution de Justice parce qu’elle est l’institution la plus fondamentale, la plus vitale, d’une société. Tout le reste, tous les autres aspects de notre vie en commun, repose sur la confiance collective dans la Justice. Car c’est grâce au crédit qu’on accorde à la Justice que la société ne s’embrase pas du fait des actes individuels violents qui peuvent survenir. La Justice, en effet, peut alors remplir efficacement sa fonction qui est de clore définitivement, par sa décision, le litige social, en se substituant au cycle sans fin de la vengeance – la vengeance, parce qu’elle est mue par l’émotion, n’est jamais la réponse appropriée au dommage subi ; du coup, elle reconduit le sentiment d'injustice sur la partie adverse et alimente le recours à une vengeance réciproque, et ainsi de suite...
C’est pour cela qu’on accompagne les audiences de justice de tous ces apparats, et de toute cette solennité… et que l’on punit la remise en cause de la chose jugée.

Il faut interpréter la dureté des attaques que subit aujourd’hui la Justice comme le désir de faire prévaloir, par certains groupes de citoyens, la logique de la vengeance contre celle de la Justice ; l’appel à l’émotion suscite le désir de vengeance, alors que la Justice fait appel à la raison pour examiner les faits, situer les responsabilités et leur appliquer la loi.
Non la Justice ne doit pas venger les victimes, elle doit réparer l’accroc fait par le crime dans le tissu social ! Et c’est là l’essentiel !
Il faut toujours respecter la Justice, et la défendre contre ceux qui l’attaquent globalement – surtout si l’on a des hautes responsabilités politiques.
Pour autant, respecter la Justice ce n’est pas renoncer à toute critique des décisions des magistrats. Respecter la Justice, c’est ne les critiquer que dans le cadre de la loi (procédures de recours) – ce qui est bien renforcer la Justice, puisque celle-ci doit imposer la loi.

Notre besoin de justice face à ces actes barbares doit nous amener à soutenir la Justice comme institution. Pour cela, il faut d’abord lui donner les moyens nécessaires pour être à la hauteur de ses taches, mais aussi faire les bonnes lois tout en rendant le Code Pénal lisible. Ensuite, il faut discuter entre nous tous sur les valeurs en fonction desquelles on veut vivre ensemble pour qu’elles ne laissent pas de possibilités à la barbarie. Par exemple : cet idéal, purement individualiste, d’une vie de plaisirs et de bien-être, promu par le système marchand et les médias qui le servent, est-il vraiment humain ?

mercredi, juin 15, 2011

Bilan media de mai 2011

D'un côté : un déferlement mondial d'articles, de reportages, de commentaires, sur une fuite spermatique, ô combien fugace, d'un homme politique français très en vue !

De l'autre : une quasi absence d'informations, sur une fuite continue de radioactivité artificielle, liée à trois réacteurs nucléaires en perdition à Fukushima, et dont la gestion, ô combien durable, devait s'étendre sur des dizaines et des dizaines d'années.

Au début du XX° siècle, c'était la Belle Époque. Au début du XXI° siècle, était-ce la Bête Époque ?

mercredi, juin 01, 2011

Considérations sur la radioactivité et l'homme

Je reprends, dans cet article, une argumentation initiée dans l'article précédent, mais de manière, me semble-t-il, plus mûrie.


Une des clefs de l’épanouissement de la vie sur terre, c’est l’adaptation. Un être vivant est toujours déjà adapté grâce à ses instincts (ainsi l’abeille sait repérer le pollen). Mais un être vivant peut aussi s’adapter de façon beaucoup plus précise grâce à sa conscience (ainsi un chien adapte son comportement aux exigences de son maître). Mais avec le développement d’une connaissance rationnelle du monde, l’homme est capable de s’adapter à des réalités abstraites. Le virus du sida, on ne le voit pas, mais on connaît rationnellement la menace qu’il représente et les conditions de sa transmission, et donc on adapte son comportement à ce savoir.

Or, plus d’un siècle après sa découverte, l’homme ne s’est toujours pas adapté à la radioactivité. Il ne sait toujours pas à quoi s’en tenir. Il ne parvient pas à définir collectivement des règles de comportement vis à vis de cette réalité qui compose indéniablement son environnement. Les jugements les plus alarmistes côtoient les jugements anodins. Il ne sait quel parti prendre. Ce qui se passe aujourd’hui à Fukushima est-il un dommage local ou global, à court terme ou à long terme ? Y a-t-il ou non danger à vivre dans le voisinage d’une centrale nucléaire ? A consommer des légumes conservés par irradiations etc. ? Car la radioactivité soigne et guérit aussi. Et elle est depuis toujours une composante de l’environnement naturel. Mais que penser de l’accumulation de radioactivité artificielle depuis quelques décennies ? Les considérations suivantes voudraient éclairer ce rapport très particulier entre la radioactivité et l’homme.


L’espèce humaine n’a prospéré sur Terre que lorsque le niveau de radioactivité est devenu résiduel

La radioactivité est l’horloge fondamentale de notre planète. Car les éléments radioactifs ont une émission qui décroît de manière régulière selon une progression géométrique – de moitié pendant des laps de temps égaux. Elle est l’horloge radioactive qui nous permet de dater la naissance de la Terre vers environ moins 4,5 milliards d’années.
Au début la Terre était extrêmement radioactive parce qu’elle héritait des éléments lourds créés par fusion dans le cœur des étoiles. Il faut savoir qu’on a retrouvé d’infimes traces de plutonium dans des minerais radioactifs. L’homme n’a donc pas inventé le plutonium. Il le réintroduit alors qu’il avait disparu, transmuté en uranium, puis en plomb, par émission radioactive. D’autre part on a retrouvé des signes fossiles d’explosion nucléaire naturelle, ce qui signifie qu’il fut un temps où la masse critique d’uranium pouvait naturellement être réunie dans le minerai. L’homme n’a pas non plus inventé la bombe atomique !
Vers moins 3,8 milliards d’année, la radioactivité tellurique avait fortement décrue, et les premières formes de vie étaient apparues, dans l’eau. Pourquoi dans l’eau ? Parce que les émissions radioactives les plus dommageables pour le vivant sont arrêtées par l’eau. Pendant les 9/10 de son histoire la vie n’a pas quitté l’eau.
Ces premières cellules vivantes ne renfermaient pas de code génétique tel que nous le connaissons aujourd’hui, car elles n’avaient pas de noyau. A partir du moment où des molécules d’acides aminés très complexes et donc sensibles aux rayonnements ont porté les informations de reproduction de l’organisme, il fallait une nouvelle enveloppe pour les protéger : c’est vers moins 2,5 milliards d’années que sont apparues les premières cellules à noyau (Eucaryotes).
Ensuite se sont développées des bactéries capables par leur métabolisme de produire de l’oxygène (algues bleues). Au long des millions d’années ces bactéries ont saturé l’océan d’oxygène qui s’est ensuite répandu au dehors pour entourer la Terre et former l’atmosphère. Cet oxygène atmosphérique, bombardé par les rayons cosmiques, a formé une variété particulière de l’oxygène appelée ozone. Or l’ozone s’installe dans la haute atmosphère où il absorbe la plus grande part de l’énergie des rayonnements cosmiques radioactifs.
Il a donc fallu la constitution d’une atmosphère oxygénée surmontée d’une couche d’ozone pour que les premiers organismes vivants, à un moment où la radioactivité tellurique avait fortement décrue (il y a environ 500 millions d’années), se lancent sur la terre ferme.
Ce n’est donc qu’à partir de l’établissement d’un environnement radioactif apaisé qu’ont pu se développer les organismes vivants de structure plus complexe dont l’espèce humaine est issue. Aujourd’hui le vivant évolue dans une espèce de bruit de fond de radioactivité naturelle auquel il adapté. Il n’a aucun équipement physiologique pour s’en apercevoir et adapter un comportement à un événement radioactif, car il n’y a pas de tels événements, et il ne peut y en avoir. En effet, la loi d’évolution de la radioactivité tellurique est la plus déterminée qui soit : après avoir rapidement décru au début, et de plus en plus lentement ensuite, celle-ci est désormais résiduelle. D’autre part la couche d’ozone protège des variations de la radioactivité d’origine cosmique.
Il ne pouvait y avoir d’événement radioactif, jusqu’à ce que l’homme, il y a un peu plus d’un siècle, découvre la radioactivité, et s’avise de la produire artificiellement pour en utiliser l’énergie. Il faut prendre la mesure du fait nouveau que présente l’accumulation d’une radioactivité artificielle.

La radioactivité est littéralement inhumaine

En effet, la radioactivité produite par l’homme s’accumule. Le principe d’une industrie énergétique nucléaire est celui-ci : de l’électricité qui s’utilise ou se dissipe tout de suite, … et des déchets dont il faut se garder pendant des milliers d’années.
Il faut s’en garder parce qu’un surcroît de radioactivité crée du désordre dans les cellules vivantes, en altérant leurs molécules fonctionnelles. Ce sont les tissus à reproduction rapide qui sont les plus vulnérables : globules rouges et blancs (anémies, leucémies), cellules épithéliales – qui constituent le tissu protecteur d’un organe (cancer de la peau, de l’intestin), cellules germinales (malformations). Si les molécules d’acides aminés qui codent l’information génétique sont endommagées, ce seront l’ensemble des cellules reproduites à partir de cet ADN qui le seront également.
Que peut l’homme face à la menace d’une sur-radioactivité artificielle ?
·        La radioactivité échappe au contrôle humain en ce qu'elle traverse l’organisme de l’individu sans que la sensation puisse jouer son rôle de filtre de ce qui lui est nocif.
·        Supposons que l'État, dans un sursaut de transparence sanitaire, octroie à chacun un compteur Geiger pour remédier à cette impuissance sensorielle : notre raison, dans son usage le plus basique – mettre de l'ordre dans les phénomènes en décelant des rapports de causalité – serait elle-même impuissante. En effet les dommages de la radioactivité sont provoqués à un niveau infra moléculaire dans l’organisme. À ce niveau les phénomènes ne relèvent plus du principe de causalité, mais du principe d’incertitude. Conséquence : comme il n'y a pas de relation de causalité assignable entre une irradiation et un dommage physiologique, du point de vue juridique, la preuve d’une responsabilité dans le dommage est impossible à établir. Jamais un responsable de contamination par irradiation – un rejet illégal de convenance dans une centrale, un non respect des règles d’entreposage de déchets, un défaut d’information du public d’un événement d’irradiation – n’a été condamné. En matière nucléaire, les régulations pénales ne jouent pas, la société est impuissante à se défendre contre les menées nuisibles liées aux intérêts particuliers.
·        Au-delà de cette impuissance de la maîtrise consciente, la radioactivité trompe l'organisme lui-même, puisque les éléments contaminant sont accueillis comme bénéfiques, et s'installent en lui durablement, l'irradiant de l'intérieur. L'isotope radioactif se fixe dans l'organisme en prenant la place de l'élément non radioactif. Le strontium 90 se fixe à la place du calcium dans les os, l’iode 131 se fixe dans la glande thyroïde à la place de son isotope stable.
·        La radioactivité est inaccommodable à la temporalité humaine puisque la durabilité de sa nocivité dépasse tout horizon de projets humains. Il faudrait confiner durant au moins 200 000 ans le plutonium 239 (élément radioactif très agressif qui est utilisé comme combustible à Fukushima) !

Nul ne peut garantir le confinement de la radioactivité artificielle

L’homme ne peut pas s’adapter à un événement radioactif. Tout simplement parce que l’espèce humaine est inadaptable à une sur-radioactivité notable de son environnement. Ne se retrouverait-elle pas, alors, dans la condition d’une recréation d’un environnement terrestre impropre à la vie humaine ? C’est ce qu’illustrent la confusion et l’angoisse engendrés par les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima.
L’irradiation artificielle est le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme parce qu’il se trouve confronté à des dommages par rapport auxquels il est totalement impuissant.
Il faut donc absolument confiner toute radioactivité artificielle. Or, l’industrie nucléaire a déjà accumulé des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs de longue durée, et n’a toujours pas trouvé de solution pour un confinement durable. La longue durée ici, c’est une nocivité supérieure à 1000 ans. Même si l’on trouvait enfin des solutions plus pérennes que l’entreposage en surface actuel, qui peut garantir, raisonnablement, un confinement sur un millier d’années ?
Symptomatique est le problème de la fin de vie des centrales nucléaires. Rien ne se passe comme prévu. Il y a, en France, une douzaine de réacteurs industriels arrêtés, certains depuis des décennies. Aucun n’est définitivement démantelé. Tout dément les annonces faites lors de leur construction : la difficulté du démantèlement surtout lorsqu’on approche du bâtiment du réacteur, les problèmes de gestion d’énormes quantités de matériaux contaminés, les surcoûts pharamineux, les délais indéfiniment prolongés.

Il faut cesser de produire de la radioactivité artificielle

L’utilisation industrielle de l’énergie nucléaire a fait entrer l’humanité dans un danger qu’elle ne peut pas maîtriser. Le souci de préserver l’avenir des générations futures a toujours été un élément fondamental des cultures humaines. C’est aux citoyens d’imposer que ce souci soit pris en compte dans leur société. C’est ce qu’ont fait nos proches voisins allemands en renonçant à leur industrie nucléaire. Mais la contamination radioactive n’a pas de frontières. Leur décision n’a donc de sens que si les autres pays suivent, en particulier la France, le pays le plus nucléarisé au monde. Il faut imposer à nos gouvernants la sortie du nucléaire !

samedi, mai 14, 2011

Accumulation de radioactivité artificielle : Il faut arrêter. Tout de suite !

L'industrie nucléaire produit en grande quantité des matériaux radioactifs ; et ceci de manière inexorablement cumulative, car une grande partie de ces déchets ont une très longue durée de nocivité –  des centaines, voire des milliers d'années.

Ainsi le plutonium 239 (qu'il faudra confiner pendant 200 000 ans !) est sous-produit, par tonnes, dans les centrales nucléaires alors même qu'une simple poussière ingérée peut provoquer un cancer du poumon. Il s'agit ici du genre de produit qui, si l'on en rassemble plus de quelques kilos (5,3 kg semble-t-il), explose.

On entrepose on ne sait trop où, on ne sait trop comment, des tonnes de matériaux radioactifs (il y aurait plus de 60 tonnes de plutonium entreposées à La Hague dans le Cotentin). On sait qu'on les transporte à travers les zones habitées dans la plus grande opacité.

On cache la saleté sous le tapis.

Mais il s'agit ici de la pire saleté qui soit.

Car il faut bien comprendre que la radioactivité est littéralement inhumaine :
  •  elle échappe au contrôle humain en ce qu'elle le traverse sans que la sensation puisse jouer son rôle de filtre de ce qui est nocif pour l'organisme ;
  • supposons que l'État, dans un sursaut de transparence sanitaire, octroie à chacun un compteur Geiger pour remédier à cette impuissance naturelle : notre raison, dans son usage le plus basique – mettre de l'ordre dans les phénomènes en décelant des rapports de causalité – serait elle-même impuissante. Car il n'y a pas de relation de causalité assignable entre une irradiation et un dommage physiologique ;
  • mais au-delà de cette impuissance à la maîtrise consciente, elle trompe l'organisme lui-même, puisque les éléments contaminant peuvent être accueillis comme bénéfiques, et s'installer en lui durablement, l'irradiant de l'intérieur : l'isotope radioactif se fixe dans l'organisme en prenant la place de l'élément non radioactif (comme le strontium 90 à la place du calcium dans les os) ;
  • elle est inaccommodable à la temporalité humaine puisque la durabilité de sa nocivité dépasse tout horizon de projets humains.
J'ai montré dans Radioactivité & expérience humaine que les organismes vivants aérobies n'ont pu apparaître sur notre planète qu'au bout de 4 milliards d'années dans l'histoire de celle-ci –  hé oui ! le vivant a attendu environ 3 milliards d'années avant de sortir de l'eau. Pourquoi ? Parce que la radioactivité naturelle était trop importante pour être compatible avec la viabilité de tels organismes.
Il faut savoir qu'aux premiers âges de la Terre, la radioactivité naturelle était très intense, tout simplement parce que les éléments lourds et très radioactifs, produits par fusion dans les étoiles, étaient encore présents.
Progressivement, ces éléments ont été transmutés en éléments moins lourds en émettant de l'énergie sous forme de radioactivité. Si bien que la radioactivité a décru selon un progression géométrique : diminution de 1/2 par laps de temps égaux.

Aujourd'hui, il y a une radioactivité naturelle résiduelle qui est comme un bruit de fond dont l'homme ne s'aperçoit pas, mais auquel il est adapté.

D'autre part les organisme les plus évolués, ceux qui ont le code génétique le plus riche, sont les plus vulnérables à une sur-irradiation (telle que la délivre la radioactivité artificielle lors d'accidents nucléaires).

Le principal problème contemporain est tout simple :

En accumulant de la radioactivité artificielle, ne recrée-t-on pas la condition d'un environnement terrestre impropre à la vie humaine ?

N'oublions jamais, comme le montre Fukushima, que la radioactivité qui se libère finit par se diffuser partout (par exemple, lorsque l'on prétend décontaminer, il faut ensuite décontaminer les instruments de décontamination, etc.).

Il n'est en effet pas sérieux de prétendre garantir le confinement de tonnes déchets hautement radioactifs pendant des dizaines de milliers d'années !

Il faut arrêter. Tout de suite !

jeudi, avril 28, 2011

Le critère d'universalité à l'œuvre

Nous disons, à la suite d'Hannah Arendt, que la vie active de l'homme moderne est caractérisée par l'envahissement du travail-consommation. Celui-ci, commandé non seulement par l'entretien de la vie, mais aussi par une motivation passionnelle, implique prélèvements et déjections sans limites sur l'environnement naturel. Nous défendons la thèse que c'est par l'activisme généralisé engendré par ce phénomène qu'il faut rendre compte de la crise écologique mondiale qui commence.

Dès lors la seule véritable issue ne peut consister qu'en une conversion de l'activité. Il faut retrouver le sens de l'œuvre, c'est-à-dire d'un mode d'activité qui vaille essentiellement pour ce que son produit apporte durablement à la vie collective.

Mais l'œuvre a déjà été politiquement valorisée contre les méfaits du libéralisme, quoique de manière indirecte, par les mouvements fascistes. En effet dans la notion italienne de fascio, comme dans celle, espagnole, de phalange, il y avait l'idée d'une organisation corporative de la vie sociale selon le type d'œuvre produite.

Seulement cette organisation était considérée comme devant prendre place dans une conception de la vie sociale hiérarchisée et intangible. Elle nourrissait un nationalisme, c'est-à-dire qu'elle amenait les individus, non seulement à rester à leur place assignée, mais à défendre l'ensemble "organique" ainsi conçu – la nation – contre tout ce qui pouvait le menacer.

C'est pour cela qu'il est important de rappeler ici le critère d'universalité. Réfléchir politiquement, comme le rappelait Aristote, c'est d'abord "réfléchir sur le Bien et le Juste" (Politiques), autrement dit sur les valeurs finales en fonction desquelles on veut vivre ensemble.

Le critère d'universalité implique que les valeurs choisies en fonction desquelles on veut vivre ensemble doivent valoir universellement, c'est-à-dire que n'importe quel être humain doit pouvoir les faire siennes.

Ce n'est pas le cas des valeurs fascistes puisqu'elles impliquent que tout étranger à ce système corporatif est une menace qu'il faut éliminer.

C'est bien le cas de l'œuvre, comme valeur qu'il faut promouvoir pour remplacer la valeur d'échange couplée au travail-consommation. Tout être humain peut faire œuvre. Mieux, tout être humain a vocation à s'épanouir en faisant œuvre, en toute liberté.

C'est d'ailleurs pour cela que l'œuvre est inséparable de l'action. Cet autre mode d'activité est défini par Arendt comme celui par lequel les hommes organisent leur liberté par des règles communes afin que la vie sociale bénéficie au mieux des œuvres de chacun.

 Il faut rappeler ici que travail, œuvre, action, du point de vue d'Arendt, parce qu'ils concernent le sens de l'activité, ne sont pas exclusifs les uns des autres. Une activité peut avoir plusieurs sens. Par exemple, en écrivant cet article, je suis dans l'action (je prends position sur les valeurs de la société) ;  mais je fais aussi une œuvre (cet article veut être un petit apport à la culture commune) ; et si j'étais rémunéré pour sa production (ce n'est pas le cas), ce serait aussi du travail.

samedi, avril 16, 2011

Sur la possibilité de normer le rapport de l'homme à la nature

Traditionnellement la nature – l'ordre manifesté par la vitalité de son environnement – était vécue par l'homme comme transcendance.
L'homme délimitait, au moyen de croyances, un domaine sacré qu'il excluait de son appropriation utilitaire.
La philosophie antique des Grecs s'est efforcée de rationaliser cette limitation en décrivant l'ordre de la nature auquel l'homme doit se conformer.
D'où le précepte stoïcien de "vivre en conformité avec la nature".
Il reste que l'ubris – l'excès dans le comportement humain – était toujours la pire faute, car, transgressant l'ordre, elle appelait les catastrophes.
Il convient aujourd'hui de convoquer de nouveau cette notion d'ubris à propos des agissements de l'homme vis-à-vis de son environnement naturel. C'est ce qu'exprime la notion d'activisme.
Mais l'excès n'est plus alors déterminé a priori, comme naguère, il est déterminé a posteriori, au vu des dommages causés, et des évolutions scientifiquement prévisibles déduites expérimentalement. Ce sont les comportements qui modifient les paramètres favorables aux flux d'échanges qui constituent la vitalité de la biosphère.
Faut-il en tirer des normes ? Cela est délicat car ce n'est pas tant la nature de l'activité qui est dommageable que son caractère généralisé. Et ce caractère généralisé est lié à la manière dont est organisée la vie sociale – le libéralisme marchand – et aux valeurs qui la sous-tendent, tout particulièrement la primauté de la valeur d'échange.
Si bien que je préconise de ne pas s'arrêter sur ce problème de normes écologiques, qui n'est pas le plus fondamental, pour investir le problème des valeurs selon lesquelles il convient de vivre ensemble.
J'ai essayé de montrer dans "Pourquoi l'homme épuise-t-il sa planète ?" qu'elles devaient sortir de la détermination de notre passif hérité du passé – ne plus être d'origine passionnelle – pour devenir pleinement humaines ; et qu'elles nous feraient alors spontanément sortir de l'activisme.
Il n'y aurait alors plus de problème écologique (étant supposé que la nature ait rétabli ses équilibres) car il est certain que la nature a une vitalité suffisante pour intégrer les entreprises de connaissances et plus généralement d'œuvres de l'espèce humaine.
Je précise qu'il me paraît dépourvu de sens de parler de violence à l'encontre de la nature, celle-ci ne pouvant être considérée comme une personne (ni comme un objet d'ailleurs). Celle-ci est un être à part, analogiquement d'ailleurs au ciel qui est un être à part parmi les réalités sensibles.
Il ne reste donc que la nécessité d'une règle qui préviennent des comportements excessifs, ainsi jugés du point de vue de leurs effets (a posteriori). Cette règle se trouve chez H. Jonas :
« Agis de telle sorte que les conséquences de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la Terre. »
L'expression "authentiquement humaine" étant entendue au sens d'une vie qui puisse consacrer l'essentiel de son énergie aux activités proprement humaines, c'est-à-dire à l'action et à l'œuvre, au sens que donne à ces mots Hannah Arendt dans La condition de l'homme moderne.

mardi, février 22, 2011

Impasse de l'écoféminisme ?

 L'écoféminisme c'est la thèse que le combat contre la domination tyrannisante de la nature et le combat contre la domination des femmes sont un même combat, car il s'agit dans les deux cas d'une même domination qui est qualifiée de masculine.
Le sexisme, c'est d'attribuer une valeur négative à un être humain, a priori, du fait de son sexe.
On connaît trop bien le si répandu et lourd sexisme contre les femmes.
Il faut être également lucide sur le sexisme contre les hommes.
Attribuer aux hommes la responsabilité des dommages à la planète, et plus globalement de la violence dans l'histoire, relève de ce dernier sexisme. Si bien que l'écoféminisme exprime assez régulièrement des jugements sexistes.
Tout le problème réside dans la facilité à faire l'amalgame entre la distinction de valeurs masculines/féminines, et le sexe des individus.
Il est vrai que l'adjectif "féminisé" pour les valeurs de solidarité, d'écoute, de réciprocité, de désintéressement, etc., est justifié par l'importance de leur expression dans le rôle maternel. Mais il faut remarquer que cela concerne aussi les valeurs paternelles, tant il est vrai que toute éducation, et de manière privilégiée celle concernant la prime enfance, relève du don.
Et que l'enfant ait besoin, pour grandir, de ces deux sources, cela est vrai. Mais c'est là qu'il faut récuser un dualisme de valeurs opposées.
Les valeurs de repli sur l'espace privé, comme celle de prise de risque dans le monde extérieur sont toutes nécessaires à la vie humaine, et d'ailleurs elles ne sont pas l'apanage de l'un ou l'autre sexe. Simplement, la femme-mère est d'abord en position de privilégier l'aménagement de l'espace privé sécurisé.
Ce qui importe ici c'est la nécessité du don qui concerne aussi bien l'homme que la femme.
Je propose de renoncer à ces déterminations sexualisantes - valeurs féminines/masculines - comme invitant trop aisément les esprits paresseux aux amalgames sexistes.
Car ce sont des valeurs présentes virtuellement chez tous, et plus ou moins favorisées par chacun.
Mais justement la manière ou non de les favoriser est déterminante pour le cours de l'histoire.
Et si l'on condamne le guerrier, pourquoi valoriser l'amazone ?
Et si l'on valorise le désintéressement, pourquoi dévaloriser le rôle de mère ?
L'important, c'est que soit reconnu le rôle du don dans le rapport de l'individu humain à son environnement et à ses congénères.
Nous vivons humainement par ce que l'environnement naturel nous donne, et par ce que nos parents et d'autres adultes nous ont donné.
Le véritable problème est alors l'impérialisme de la valeur d'échange qui élide le don.

lundi, février 21, 2011

Non aux ressources humaines !

Je les entends, les activistes du libéralisme : les "ressources humaines", c'est l'approche enfin rationalisée de la gestion des compétences de chacun.
Ah, ce rêve d'une société de gens qu'on déplace, insère, ou évacue, en fonction des besoins, qu'on intègre de façon transparente dans les courbes et les diagrammes produits par les tableurs de nos ordinateurs !
Fantasme de marchand passionné que celui d'un humain sans au-delà de sa valeur d'échange quantifiable. Fantasme de celui qui a oublié qu'il est né et qu'il a été lancé dans la vie grâce au don, parce que sa vie n'avait d'abord aucune valeur d'échange.
Légèreté de celui qui n'anticipe pas qu'à un moment ou à un autre il faudra bien qu'il attende le don d'autrui, alors que sa vie n'aura plus aucune valeur d'échange.
Grand pitié me font ces individus qui ont acquis un peu de pouvoir dans un champ social particulier et s'appliquent à détruire tout ce qui déborde la pure valeur d'échange quantifiable de l'activité des individus dont ils gèrent le travail. C'est eux-mêmes que le plus sûrement ils appauvrissent.
Qu'ils sachent que même dans l'échange marchand, il est nécessaire qu'il y ait du don.
La bonne transaction est celle en laquelle l'estime mutuelle, la confiance réciproque dans le contrat (que l'on n'a pas besoin de décliner à l'infini en écrit juridique anticipant toutes les défiances), président à la fixation du prix et à l'échange.
Qu'en une entreprise, où les "ressources humaines" ont trop bien réussi à supprimer la part de don dans les interactions entre individus, on se jette par les fenêtres pour sortir du cauchemar, cela est parfaitement prévisible.
C'est ce que je propose d'appeler la "francetélécomisation" d'une entreprise (ou de tout groupe social de travail).
La vie est humaine, c'est-à-dire essentiellement sociale, par le don
C'est par l'échange de dons que, fondamentalement, se construit et s'entretient une société.

Les ressources humaines, plus jamais ! Mais les relations humaines, toujours !

lundi, janvier 10, 2011

Intolérable intolérance ?

C'est une déclaration du shérif de Tucson, Arizona, suite à la fusillade dans laquelle une parlementaire démocrate, Gabrielle Giffords, a été grièvement blessée et qui a fait six morts samedi.
Ce qui est en cause est le climat d'intolérance, paraît-il particulièrement aigu dans cet État, entretenu par certaines forces très conservatrices.
Voilà ce qu'il dit, entendu dans le reportage du journal vespéral d'ARTE, hier soir  :
"Dans ce pays, l'intolérance a atteint un niveau intolérable !"
Aie ! Comment s'en sortir ?

Peut-être l'antidote est-elle ici :

samedi, janvier 08, 2011

Un devoir de s'indigner est-il possible ?

La réponse est non.
L'indignation est un sentiment. On n'est jamais responsable de ses sentiments. Le comble de l'impuissance ? La demande "Aime-moi !" Le sentiment, c'est le donné, comme la sensation. Le sentiment, c'est la part intérieure du donné ; comme la sensation en est la part extérieure. Il faut faire avec. Et là, on est libre !
On n'est jamais responsable de ses sentiments, donc ; mais on est toujours responsable de ce qu'on en fait.


Le succès de l'ouvrage de Stéphane Hessel – "Indignez-vous !" – est étonnant , parce qu'il se présente comme une injonction impossible : on ne peut décider de s'indigner. On ne peut s'indigner par choix.

Et, effectivement, le contenu du fascicule tient bien la promesse du titre. L'indignation est présentée comme "une des composantes essentielles qui fait l'humain" (p. 14).De cette position comme valeur humaine essentielle, l'auteur en déduit un devoir de s'indigner : la violation des droits "doit provoquer notre indignation" (p.20).
Or, peuvent être très dommageables ces indignations sur commande, car nécessairement elles impliquent des intentions non dites, lesquelles, forcément amèneront à des comportements qui n'auront rien à voir avec ceux impliqués par une réelle indignation. Imaginez que pour répondre à la demande "Aime-moi !" vous simuliez l'amour. Où iriez-vous sinon dans la direction d'une manipulation de l'autre ? À cent mille lieues du véritable amour !

Alors, dangereux, le fascicule de Stéphane Hessel si unanimement salué ? Ce serait un bien surprenant paradoxe !
La seule possibilité de sauver l'ouvrage serait de reconnaître l'existence d'un véritable sentiment d'indignation partagé.
Nous affirmons que c'est bien le cas. Mais alors pourquoi, y a-t-il, de fait, si peu d'indignation exprimée ? Pour deux raisons :
  • parce que toute l'organisation communicationnelle du pouvoir marchand en direction du peuple tend à l'en divertir – voir mon très ancien, mais bien confirmé, article sur le dérivertissement ;
  • parce que les opinions d'origine idéologique qui font valoir l'individualisme, les situations de bien-être, l'impuissance sinon l'infaisabilité de la révolte, amènent à la refouler.
 Nous sommes des indignés refoulés et divertis. D'où nous vient cette indignation ? De l'injustice. L'injustice vécue ou dont on est le témoin engendre nécessairement un sentiment d'indignation. L'"in-dignation", étymologiquement, et fondamentalement, c'est l'impossibilité d'accepter que soit bafouée la dignité humaine. Et l'on sait, depuis Kant, que personne de raisonnable n'est sauf de ce sentiment. Laissons, à ce propos, la parole à Proudhon (De la justice dans la révolution et dans l’Église, 1858) :
"L'homme, en vertu de la raison dont il est doué, a la faculté de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne, de s'affirmer tout à la fois comme individu et comme espèce.
La JUSTICE est le produit de cette faculté."
Ainsi Hessel se trompe dans sa manière de poser le problème du déficit d'esprit de résistance. Ce n'est pas par insuffisance d'indignation. En fait l'indignation est bien là, omniprésente, débordant même les divertissements et refoulements, à la mesure de l'omniprésence des situations d'injustice, à tel point qu'elle doit être incessamment calfeutrée par les antidépresseurs.
Ce qui fait problème, c'est ce qu'on en fait, ou plutôt ce qu'on refuse d'en faire : de la crier, de la partager, de la métamorphoser collectivement en projet social –comme les Résistants en 1944 !
Il faut interpréter le succès de l'ouvrage de Hessel parce qu'il touche juste si l'on comprend "Indignez-vous !"comme "Cessez de taire votre indignation !"
Et, au vrai, Hessel nous invite à faire spontanément ce glissement interprétatif, parce que son fascicule est un authentique cri d'indignation.
La raison du succès de "Indignez-vous !"de Stéphane Hessel ? Enfin il donne voix à un refoulé trop lourd à porter.