mardi, octobre 13, 2020

Chroniques démasquées 3 – Au-delà des yakassements

  

–    L’interlocuteur : J’entends vitupérer de-ci de-là, de façon très passionnée et insistante, contre l’obligation de porter le masque. Toi-même tu soulignais, lors de nos derniers entretiens, ce que pouvait avoir de déshumanisante une société où se généralise le port du masque sanitaire dans l’espace public. Prends-tu clairement position contre le port obligatoire du masque ?
–    L’anti-somnambulique (a-s) : Si le sens de ta question est : faut-il se ranger du côté des anti-masques tels qu’ils se manifestent dans l’espace public, tels qu’ils se font approuver sur les réseaux sociaux ? La réponse est non.
–    Pourquoi condamnes-tu de manière si catégorique les anti-masques ?
–    (a-s) : Parce que leurs arguments ne sont pas convaincants.
–    Je suis étonné par ta réponse ! Comment peux-tu écarter d’un revers de main des arguments qui sont forcément variés et devraient être pris en considération chacun pour lui-même ?
–    (a-s) : Disons que je rejette cette opposition au port du masque, ou à d’autres contraintes lourdes comme les mesures de confinement, de couvre-feu, de fermetures d’établissements qui valent comme lieux de vie sociale, dans la mesure où elle procède de tout argument qui a cette forme commune : il est catégorique, réactif, simple, et clivant.
Catégorique : on affirme sans nuances et sans laisser le moindre espace au doute et à la discussion, enjoignant quiconque de faire sienne cette thèse. Par exemple : « le coronavirus a perdu de sa virulence printanière et il n’est, aujourd’hui, guère plus létal que la grippe saisonnière »
Réactif :  bien que l’argument soit de portée générale, il apparaît toujours en réaction à une circonstance particulière ; sans elle, il ne serait pas apparu. L’affirmation de la vertu anti-coronavirus de l’hydrochloroquine ne serait jamais apparue sans la contrainte du confinement.
Simple : l’argument implique toujours une seule interprétation sur le comportement à adopter, lequel est toujours un comportement d’opposition.
Clivant : c’est pour cela que ce type d’affirmation est socialement néfaste. Il conduit toujours à s’opposer sans possibilité de discussion, sans perspective de compromis, à tous ceux qui n’y adhèrent pas.
–    Je te trouve toi-même très catégorique. N’y aurait-il pas des arguments valables et à prendre en considération dans toutes ces critiques qui se font entendre dans l’espace public ?
–    (a-s) : Si l'on part des critères que j'ai détaillés, je ne puis te répondre positivement. Ces quatre critères forment un tout car ils sont l’expression nécessaire d’une finalité unique qui définit ce type de discours critique : c’est un discours propre à offrir une solution simple et définitive à un problème social en positionnant ceux qui l’adoptent comme victimes innocentes de responsables extérieurs.
–    Je ne suis pas sûr de bien te suivre.
–    (a-s) : À chaque fois, les tenants de ce type de critique disent « Il n’y a qu’à …. » ; et ce peut être prendre tel remède miracle et accessible à tous, ou ne pas toucher ceux qui nous sont étrangers, ou simplement laisser faire, etc.; et si ce n’est pas possible, c’est parce qu’il y a des gens extérieurs à notre milieu social, qui ont des intérêts de pouvoir qui les ont amenés à nous créer ces problèmes qui nous compliquent la vie. Et ces intérêts ne sont le plus souvent pas clairs, mais peu importe puisqu’il est dans la logique de cette interprétation qu’ils soient délibérément cachés.
–    Veux-tu dire que ce genre d’interprétation à des affinités avec le complotisme ?
–    (a-s) : Tout-à-fait, une telle critique y mène tout droit pour les esprits imaginatifs qui veulent aller jusqu’au bout de l’histoire à raconter qu’elle devient alors. C’est ainsi qu’on peut retrouver, lorsque les échanges se poursuivent, les Illuminati, les Juifs, le "Deep State", Bill Gates, etc.
–    Tu m’inquiètes, j’ai quelques ami(e)s qui expriment ce type de critique des masques !
–    (a-s) : Non, ne t’inquiète pas ! ils ne sont pas pour autant des tenants du complotisme. La plupart sont simplement des « yakas », manière ramassée pour le début de la phrase qui soulage : « Il n’y a qu’à… ». Peut-être sommes-nous tous un peu des yakas, c’est-à-dire des aspirants à la solution toute simple, face à des problèmes non maîtrisés mais qui provoquent de sérieux dégâts sociaux, comme cette pandémie de la covid-19.
–    Certes. Mais on peut quand même critiquer les mesures contraignantes des pouvoirs publics contre l’épidémie sans tomber dans le yaka. Ne le fais-tu pas toi-même ?
–    (a-s) : Bien sûr, il y a une alternative aux « yakassements » ! Le yaka ne vaut que par la gratification qu’il donne sur le champ en livrant à portée de main une solution au problème social. Mais il ne tient jamais la distance ! Tout simplement parce qu’il n’analyse pas en profondeur la réalité sur laquelle il se prononce. Un tel examen amène à des propositions beaucoup plus nuancées et hypothétiques, ce qui est beaucoup moins gratifiant. C’est pourquoi on voit que les yakas se succèdent et se contredisent, quelquefois chez la même personne. Ce qui autorise à parler globalement de « yakassements » pour désigner cette succession de yakas qui surenchérissent pour être la solution de problèmes sociaux qui dépassent notre capacité de maîtrise.
–    D’accord. Mais alors quelle est l’alternative ?
–    (a-s) : C’est la critique qui a pour finalité la vérité (et non la solution toute simple). Il s’agit de s’approcher au mieux de la vérité sur le coronavirus et sa manière de nous atteindre afin que se dégagent des voies de solution. Ici la construction du savoir est collective, et la critique rationnelle est opérative de cette construction. Le savoir implique alors le doute et les propositions hypothétiques. Il s’accompagne d’une zone grise d’incertitudes. Il convient de noter que cette critique comme quête de la vérité est fondamentalement démocratique, car tout le monde possède également l’accès aux sources d’information et la raison pour y participer – il est vrai qu’il faut du temps et des efforts. Alors que le yaka installe une stricte hiérarchie entre le ou les sachants et les autres qui n’ont que le choix du « oui » ou du « non », ce qui est la réduction au plus minime de leur liberté de penser. D’ailleurs on pourrait très bien argumenter que ce choix se fait le plus souvent sur des critères plutôt affectifs que rationnels[1].
–    Il me semble que tu oublies qu’il y a aussi matière à une critique politique de la manière dont le pouvoir gère cette pandémie.
–    (a-s) : Non, je ne l’oublie pas. Mais il faut bien partir d’un savoir partagé – avec les incertitudes qui l’accompagnent – sur la manière dont nous sommes affectés par l’épidémie, pour évaluer la pertinence des mesures coercitives prises par les pouvoirs publics. Et il est indubitable qu’il y a amplement matière à contestation. Ne serait-ce que parce qu’il est attesté que, depuis l’irruption de l’épidémie, l’écart s’est encore creusé entre les plus riches et les plus pauvres. Mais de cela, nous pourrons parler plus tard, maintenant que l’on s’est placé au-delà des yakassements.

 

 

[1] Pour approfondir cet aspect : Pour une diététique de la croyance

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