Les écologistes qui s’en prennent à la technoscience se trompent !
Mais il faut bien se comprendre, et pour cela sortir de l’approximation dans la saisie de la signification des mots.
Être écologiste, c’est se battre,
– contre le pouvoir mondialisé en place qu’il faut appeler « une
mercatocratie » parce qu’il se nourrit essentiellement du
développement sans limite du marché,
– pour une politique qui ménage la vitalité de la biosphère.
La technoscience, c’est la mutualisation du développement des sciences et des techniques issue de la révolution épistémologique par la méthode expérimentale du début du XVIIe siècle, en Occident.
Les écologistes sont dans un large consensus pour incriminer la technoscience comme une dynamique de recherches scientifiques et d’inventions techniques – ce qu’on appelait naguère familièrement « le Progrès » – qui serait directement la cause des ravages actuellement constatables sur la biosphère.
Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle (l’IA) comme nouvelle technique de production de connaissance, d’apparition récente, et actuellement en plein développement. On a, au début des années 2020, la théorie, issue des neurosciences, de l’accès à une connaissance par modélisation de données à partir d’un réseau de neurones artificiels multicouches (chaque couche s’appuyant sur la précédente pour préciser le modèle) – ce qu’on appelle le « deep learning ». À quoi s’ajoutent les techniques, de la communication électronique mondialisée (Internet), du calculateur électronique rapide (ordinateur), ainsi que celles de stocker et de mobiliser, de façon quasi instantanée, des masses importantes de données. Il en résulte, aujourd ‘hui, l’IA comme technique de production rapide de connaissances accessible à chacun au moyen d’un appareil – un terminal – adéquat.
Posons-nous la question. Qui, en 2020, avait un désir d’IA ? Relisez les flux de communication de l’époque : personne ne s’en souciait en dehors du cercle des spécialistes.
Et pourtant voilà une séquence de technoscience qui aboutit à une technique qui va massivement, mondialement, changer le rapport des individus à la connaissance. D’autre part, du fait de sa goinfrerie en énergie, elle va inévitablement précipiter et amplifier les catastrophes écologiques qui s’annoncent. Mais elle va tout aussi inexorablement amener à des bouleversements profonds dans la société, massivement dans le domaine de l’emploi, mais aussi dans le domaine si sensible de la relation éducative et de la transmission culturelle – on peut déjà anticiper les dangers liés à l’uniformisation des connaissances et à la passivité impliquée pour le quêteur de celles-ci. Et pourtant, jamais cela n’aura été discuté, évalué, choisi, demandé, par tous ceux qui sont concernés.
Et c’est ainsi qu’on est amené à juger la technoscience comme une fatalité maudite.
Et pourtant, en contrepoint, on peut raconter une belle histoire.
C’était dans les années 90. Internet était alors essentiellement animé, nourri par le milieu étudiant et universitaire. C’était alors une autre séquence technoscientifique qui s’était mise en place :
Communication électronique instantanée par Internet + synergie des savoirs particuliers s’échangeant et se confrontant + mise au point en collaboration d’applications et de services de partage = progrès et diffusion des connaissances, d’applications informatiques, et de tout bien numérisable, hors échange marchand et d’extension mondiale.
Il demeure des poches de résistance de cette dynamique de collaboration et de partage sur Internet. Et des lieux du Réseau comme l’univers du logiciel libre et l’encyclopédie Wikipédia, et bien d’autres qu’on peut découvrir avec un peu de curiosité hors des sollicitations intéressées, restent des éléments précieux de cette séquence technoscientifique simplement orientée vers le bien de l’humanité.
C’était très amusant cette fébrilité soudaine et contagieuse des affairistes à la fin des années 90, prenant conscience qu’une part de plus en plus importante de biens se produisaient et circulaient en dehors de leurs lois, les lois du marché, que la ferveur de toute une génération leur échappait parce qu’elle se passionnait ailleurs, dans un espace hors de leur contrôle. Ils se sont alors précipités pour investir dans les petites structures (start-up) qui produisaient et géraient ces nouveaux biens, sans être capables de discerner suffisamment lesquelles étaient porteuses d’avenir. D’où l’explosion de ce qu’on a appelé « la bulle Internet » en l’an 2000, laquelle fut pratiquement un krach boursier retentissant.
Bien sûr, depuis, la mercatocratie n’a pas abandonné la partie. Là où des biens circulent, il y a toujours un marché à ouvrir, n’est-ce pas ? Elle s’y est prise durant les deux dernières décennies de façon plus prudente et progressive. Aujourd’hui, avec l’IA, elle croit pouvoir parachever son triomphe. Et on la voit bien venir ! D’abord cette offre gratuite proliférante actuelle. Il faut bien créer une appétence ! Mais déjà on voit poindre des offres assurées plus performantes mais payantes. Ainsi va l’assujettissement à un nouveau marché.
En réalité le marché des IA, et il en va de même du marché des crypto-monnaies, n’ont pas d’avenir. Ces biens vont vite devenir hors de prix par leur goinfrerie en énergie. Ils accélèrent trop rapidement un processus d’étouffement de la biosphère sous la dynamique tardive de la mercatocratie qui domine aujourd’hui plus que jamais l’humanité. Celle-ci implique dans sa phase finale une débauche toujours plus accélérée de consommation d’énergie, et donc de sa transformation en chaleur.
Mais cela ne nous déprimera pas. Car nous nous savons toujours rattachés à une belle histoire de production et de circulation sociale des biens sur d’autres principes que celui de la compétition pour le profit particulier.
Nous savons qu’il y a aussi une technoscience heureuse !
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