Nous humains sommes des mammifères, donc des êtres à sang chaud. Ce qui signifie que nous sommes, en nos corps, des foyers d’échanges énergétiques importants. Car la chaleur est toujours l’état final d’un processus de transformations de l’énergie.
Ainsi, si ça chauffe de manière exagérée aujourd’hui sur la surface de notre planète, c’est parce que nous lui imposons une suractivité énergétique par l’économie industrielle – avec, en prime, les feux de forêts au Canada parvenus jusqu’à obscurcir plusieurs jours le ciel en Europe occidentale, plus des bombardements quotidiens sur une partie non négligeable de cette si malmenée surface terrestre. Ce sont les faits, et lois de la physique. Exit le climato-scepticisme !
À ce propos, il est opportun de rappeler que Claude Levi-Strauss, naguère, distinguait entre deux pôles d’organisation d’une société : la société « froide » et la société « chaude ».
La société froide a pour principaux représentantes les sociétés, aujourd’hui qualifiées de « premières » (on disait « primitives », il y a encore quelques décennies), celles qui ont traversé l’histoire avec une incomparable stabilité (jusqu’à l’irruption de la société occidentale). Concernant ces sociétés, « en dépit de leur diversité, les règles de mariage qu'elles appliquent, présentent, aux yeux des démographes, un caractère commun qui est de limiter à l'extrême et de garder constant le taux de fécondité. Enfin, une vie politique fondée sur le consentement, et n'admettant d'autres décisions que celles prises à l'unanimité, semble conçue pour exclure l'emploi de ce moteur de la vie collective qui utilise des écarts différentiels entre pouvoir et opposition, majorité et minorité, exploiteurs et exploités. »[1] Donc maîtrise de la démographie afin qu’elle soit adaptée aux ressources, refus d’un pouvoir politique séparé, donc refus de tout assujettissement avec la conséquence de toute surenchère de dépenses énergétiques liées à la compétition qu’engendre nécessairement la convoitise du pouvoir.
Car, toujours, c’est la compétition pour un but indéfinissable qui engendre l’excès dans une société. Et rappelons cet avertissement de l’orateur grec Démosthène : « En vain il criera, en vain il invectivera, il sera puni comme nous autres, s'il se porte à quelque excès (ubris). »[2]
C’est pourquoi la société chaude n’a pas de durabilité. Levi-Strauss pense d’abord aux grands empires apparus « à la suite de la révolution néolithique, et où des différenciations entre castes et entre classes sont sollicitées sans trêve, pour en extraire du devenir et de l'énergie. » Il considère que notre empire occidental quasiment mondial n’est que la dernière manifestation, en phase finissante, d’une société chaude.
Cette distinction entre la société froide, énergétiquement maîtrisée, et la société chaude, énergétiquement incontinente, est éclairante, en particulier pour comprendre notre propre rapport à l’énergie, et donc à la chaleur ambiante aujourd’hui. Mais il faut savoir la relativiser, ce que fait Levi-Strauss : il y a du chaud et du froid dans toute société. C’est pourquoi toutes les sociétés premières ont quand même une histoire, et notre société moderne, si chaude qu’elle soit, n’est pas sans une composante stabilisatrice qu’il faut chercher du côté de la mémoire populaire, et même plus précisément de ce qu’Orwell nommait la décence ordinaire (common decency).
On le comprend, avec Levi-Strauss, la chaleur devient une catégorie sociale, disons-même politique, puisqu’elle caractérise un certain type d’organisation de la société – société de compétition, de pouvoir et de différenciation entre maîtres et asservis, de conquête de territoires, mais aussi de violences ravageuses et, finalement, de durabilité réduite.
Nous vivons dans la société qui semble réaliser la visée ultime de tout impérialisme : l’empire mondial. Mais ne sera-t-elle pas le dernier empire ? Et si un empire mondial disparaît, que peut-il rester ?
Levi-Strauss accordait volontiers à l’expression « société chaude » (ou froide) qu’il proposait une valeur métaphorique. Nous savons aujourd’hui qu’elle ne l’est pas du tout : notre société est chaude parce qu’elle est « chaude », et réciproquement. Le lien de nécessité est dans la voracité énergétique insatiable qui est requise par notre organisation sociale.
Cette société, il faut l’appeler une mercatocratie parce qu’elle est toute entière inféodée à l’expansion du « marché » entendu au sens de l’économie politique moderne, soit l’espace à ouvert à l’échange de biens marchands suivant la loi de l’offre et de la demande. Cette définition a peut-être un air de liberté, mais elle masque une réalité de servitude. Le marché est le lieu de la compétition pour l’enrichissement – plus tu es riche plus tu peux investir dans l’offre qui sera la plus profitable et dans la communication qui créera la demande. Ainsi c’est l’offre qui précède et commande la demande. Le moyen est la communication commerciale, la méthode est la manipulation réactive – imposer la réception d’une communication, le plus souvent par l’image, qui touche affectivement de telle sorte qu’on aie besoin de réagir en associant l’acquisition du produit à cette réaction.
On comprend qu’une telle logique sociale implique toujours plus de besoins, donc la mise sur le marché de toujours plus de produits pour y répondre, et le plus souvent possible renouvelés, donc un rythme toujours plus accéléré de circulation des biens, donc toujours plus de déchets, et toujours plus d’énergie nécessaire pour gérer tout cela – c’est-à-dire produire, communiquer, vendre, gérer les déchets, et donc aussi les pollutions. C'est tout cela qu'on appelle "la croissance" !
De tout cet activisme, le seul résultat assuré – celui de la loi physique universelle – c'est l'augmentation de la chaleur !
L'effet de serre dû aux rejets carbonés n'en est qu'un avatar accélérateur conséquence de l'utilisation de certaines sources d'énergie. Même l'énergie nucléaire ne saurait être exempte de la loi physique ! Les centrales atomiques productrices d’électricité ont l’air bien propres et n’émettent pas de fumées, mais elles réchauffent fortement les cours d’eau ou la mer servant à les refroidir. D’autre part elles rejettent des déchets radioactifs dont certains – les déchets HAVL (haute activité à vie longue) resteront dangereusement radioactifs, donc émettront – au mieux si on contient la radioactivité – de la chaleur pendant des milliers d’années ; il y a des centaines de milliers de tonnes de ces déchets entreposés, à droite et à gauche (même dans les mers et océans) sur la planète.
Nos descendants auront le temps de maudire leurs aïeux ! 😡
Donc continuons comme çà, et on aura, pour le mieux, de plus en plus chaud ! 😜
À moins que nous tempérions, c’est-à-dire que nous valorisions des pratiques de fraîcheur, celles que l’on peut tirer du modèle de société froide.
Alors voir ci-dessus ! 😊
[1] Cl. Levi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 40 (ainsi que la citation suivante de L-S).
[2] Contre Midias, IVe siècle av. J.-C.
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