Silence ….
Articles périodiques de réflexion philosophique sur les problèmes posés par les
transformations du monde contemporain.
"Une vie dépourvue de pensée n'a rien d'impossible ; elle ne réussit pas à développer sa propre essence, c'est tout... Les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules." Hannah Arendt
Cf le site L'anti-somnambulique
lundi, novembre 16, 2020
Chroniques démasquées 6 – C’est quoi l’essentiel ?
Silence ….
dimanche, novembre 08, 2020
Chroniques démasquées 5 – Tant de paires d’yeux orphelines !
C’est pour cela que la rencontre du regard – c’est-à-dire du visage qui a une intention vers soi – est l’expérience perceptive la plus prégnante qui soit pour l’individu humain !
Il semble qu’au contraire l’isolement des yeux renverse la valeur du regard. La paire d’yeux seule, c’est le regard qui vient de la nuit, c’est-à-dire de celui qui vous voit sans être vu. C’est donc le regard sans réciprocité, unilatéral. C’est le regard menaçant. Or, on ne peut soustraire totalement cette tonalité menaçante de l’usage généralisé du masque sanitaire. Nul ne peut savoir en effet, dans les paires d’yeux qu’il croise, quel sentiment porte à son égard ce regard tronqué de sa modulation faciale.
Il faut comprendre par là que le visage humain est fondamentalement vulnérable. La « nudité » dont parle Lévinas renvoie à la nudité essentielle de l’espèce humaine qui est la marque d’une vulnérabilité particulière qui la distingue des autres espèces vivantes. Contrairement aux autres animaux qui naissent tout armés – cornes, poils, crocs, griffes, venin, etc., – « l’homme n’est environné que de faiblesse » (Sénèque) ! Cette vulnérabilité spécifique se manifeste tout particulièrement dans le visage. Dans toute la biosphère, le visage humain, grâce à sa mobilité propre, est le livre le plus ouvert sur la vie intérieure d’un individu vivant. Cette lisibilité de son état affectif se conjugue avec une absence totale d’équipements de défense aux avant-postes de son champ antéro-facial : il n’a ni membres antérieurs armés (griffes, pinces), ni museau muni de système d’alerte (naseaux, moustache), ni prognathisme avec crocs proéminents, etc. Et, ce qui empire sa situation, cette nudité faciale est particulièrement exposée aux agressions puisqu’elle se découpe clairement, comme une cible, au-dessus de la verticalité du corps.
C’est pourquoi la rencontre du visage humain nous oblige, ce que veut dire Lévinas en écrivant que le visage d’autrui est « ce qui s’oppose à mon pouvoir sur lui, à ma violence ». La présence du visage d’autrui m’enjoint à renoncer à l’agression violente ou à la manipulation comme pur moyen, si cela correspondait à ce que je juge être mon intérêt, abstraction faite de toute menace de sanction juridique. C’est la thèse que le visage d’autrui est d’emblée éthique, autrement dit qu’il nous confronte d’emblée à ce qui est le Bien et le Mal. C’est dans cette expérience du visage d’autrui, selon Lévinas, que se trouve la racine du sens éthique humain.
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E. Mach, Autoportrait |
Mais on ne comprendra pas correctement l’enjeu du port du masque si l’on ne prend pas en compte une autre dimension cachée du visage d’autrui, et qui est peut-être la plus importante, c’est sa contribution à l’image de soi-même. Dans la construction de soi, on ne peut se dispenser de se figurer soi-même. Mais où prendra-t-on la figure de soi-même si ce qui en constitue la part la plus significative, son regard modulé par son visage, échappe à jamais à sa perception directe ?
Son regard est la seule réalité qu’on ne peut jamais voir ! Certes, je puis me voir dans un miroir. Mais c’est un faux qui me livre une symétrie inversée, est contredit par l’essai de vérification par le toucher, et, bougeant systématiquement quand je bouge, m’interdit une inspection en variant les points de vue. Le même type de limitations rédhibitoires se retrouve face à une photographie ou à une vidéo. Le seul véritable objet de perception sur lequel on puisse s’appuyer pour se figurer soi-même est la perception du visage d’autrui. C’est d’ailleurs ce que confirment les études de psychologie génétique sur « le stade du miroir ». Le tout petit enfant (entre 8 et 12 mois) voit dans le miroir un autre enfant. Et c’est en procédant à une élaboration mentale à partir du comportement systématiquement mimétique de cet autre qu’il identifie cette image comme image de soi. Ainsi c’est bien à partir de l’image tirée de la perception d’autrui que se construit l’image de soi.
Notre préconisation pratique : faire pour le port obligatoire du masque sanitaire comme pour le confinement, puisque imposer le masque c’est comme confiner le concentré d’humanité de notre corps. Donc ne pas le prescrire sans donner une échéance de sortie, quitte à devoir le prolonger.
La sauvegarde de notre humanité vaut bien la sauvegarde de notre économie !
samedi, octobre 24, 2020
Chroniques démasquées 4 – Envisager la solidarité
Oui, dans la mesure où c’est une société qui prétend fonder sa prospérité sur la compétition entre particuliers pour s’approprier des richesses.
Non lorsque, comme aujourd’hui, cette société se trouve dans une situation telle qu’elle est obligée de se donner des règles de comportements qui permettent de contrer une menace qui la met globalement en péril.
Du point de vue humaniste, nous avons dénoncé la perte de la relation sensible au visage d’autrui. Mais lorsque nous vivons sans masque dans l’espace public, savons-nous toujours profiter de cette possibilité de se dévisager mutuellement alors qu’il est devenu si commun de détourner le regard de ceux/celles qui nous côtoient pour ne s’intéresser qu’à son smartphone ? L’obligation du port du masque qui nous est faite ne doit-elle pas nous amener à reconsidérer l’importance humaine de la prise en compte sensible du visage d’autrui – et donc de sa présence singulière – quand nous sommes dans l’espace public ?
Du point de vue politique, les errements passés et présents des pouvoirs sociaux conduisent à penser la vie sociale selon d’autres principes de gouvernance, pour qu’elle ne soit plus manipulatrice, mais respectueuse de la volonté des citoyens. Ce sont ces principes que les citoyens doivent maintenant élaborer – ce que l’on faisait quand on invoquait le « monde d’après » lors du confinement de printemps – et en fonction desquels ils pourront demander des comptes, plus tard, à ceux qui nous gouvernent actuellement.
▪ démonter les fausses certitudes sur la dangerosité et la diffusion du virus – ce que j’ai appelé les yakas ;
▪ prendre conscience des conséquences possibles d’une contamination concernant ses relations affectives avec son entourage proche.
C’est en quelque sorte les engager à dévisager la solidarité aujourd’hui.
Une valeur, c'est comme une jeune fille, il faut l'avoir dévisagée pour envisager son avenir avec elle.
[1] « Fraternité » dit quelque chose de plus que « solidarité » (malgré son handicap d’être genré) : se sentir solidaire de tout autre humain n’est pas un devoir, c’est la révélation d’une tendance intérieure qui a un fondement naturel.
mardi, octobre 13, 2020
Chroniques démasquées 3 – Au-delà des yakassements
• Catégorique : on affirme sans nuances et sans laisser le moindre espace au doute et à la discussion, enjoignant quiconque de faire sienne cette thèse. Par exemple : « le coronavirus a perdu de sa virulence printanière et il n’est, aujourd’hui, guère plus létal que la grippe saisonnière »
• Réactif : bien que l’argument soit de portée générale, il apparaît toujours en réaction à une circonstance particulière ; sans elle, il ne serait pas apparu. L’affirmation de la vertu anti-coronavirus de l’hydrochloroquine ne serait jamais apparue sans la contrainte du confinement.
• Simple : l’argument implique toujours une seule interprétation sur le comportement à adopter, lequel est toujours un comportement d’opposition.
• Clivant : c’est pour cela que ce type d’affirmation est socialement néfaste. Il conduit toujours à s’opposer sans possibilité de discussion, sans perspective de compromis, à tous ceux qui n’y adhèrent pas.
[1] Pour approfondir cet aspect : Pour une diététique de la croyance
jeudi, octobre 01, 2020
Chroniques démasquées 2 – La démocratie somnambule
Le problème moral porte sur notre responsabilité quant à ce qui peut être jugé bien universellement, c’est-à-dire indépendamment de tous nos intérêts particuliers. Or, en parlant de dignité humaine, le législateur s’appuie sur le seul pilier solide et incontestable qui permette de penser un bien universel. On doit à Kant d’avoir clarifié ce fondement absolu de la morale. L’idée de dignité humaine, c’est l’idée que chaque individu humain doit être reconnu comme une valeur absolue, et donc être respecté en tant que tel – c’est pourquoi il ne doit jamais être utilisé simplement comme un moyen. Or la reconnaissance d’autrui comme valeur absolue se fait fondamentalement dans la perception de son visage car c’est là qu’il se montre à la fois comme mon semblable et comme irréductiblement singulier.
L’idée de dignité humaine contient déjà implicitement le principe de liberté – ne pas être un simple moyen, c’est poser ses fins (ses propres buts dans la vie) ; et aussi le principe d’égalité – nous sommes tous également dignes de respect. C’est pourquoi le texte législatif cité associe si simplement « les principes de liberté, d'égalité et de dignité humaine ».
Cela montre que l’enjeu est aussi politique – au sens le plus noble de ce terme. C’est parce que nous sommes également dignes, c’est-à-dire également libres et doués de raison, que nous avons une égale vocation à nous occuper des affaires de la cité, que nous sommes concitoyens. On est donc amené à conclure que, de par les attendus mêmes posés par le droit positif français, la dissimulation systématique du visage dans l’espace public, que ce soit par le masque sanitaire, le niqab, ou tout autre moyen, est incompatible avec l’exercice de la citoyenneté.
[1] Vue perspective sur la démocratie.(2019).
samedi, septembre 12, 2020
Chroniques démasquées 1 – La révélation des masques
On est donc très loin d’une normalisation de l’usage des masques de protection sanitaire.
1– la contrainte imposée par le masque sur la fonction de respiration peut-elle devenir normale ?
2– la contrainte imposée par le masque sur les relations à autrui peut-elle devenir normale ?
Or, rappelons-nous ce qui nous avons acquis de notre précédente discussion : nous considérons normal ce qui peut être intégré dans notre vision du monde.
D’où la première question : pouvons-nous intégrer l’obstacle à une respiration normale qu’est le masque dans notre vision du monde ?
Mais en ce qui concerne le second point – la relation à autrui – pouvons-nous intégrer un monde où elle est entravée par le port du masque ?
Mais le plus décisif est dans la question : que connaît-on vraiment d’autrui sans les sensations liées à sa présence physique ?
« Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie. »
Il faut prendre d’autant plus au sérieux cette prédiction qu’elle a été corroborée par un essai célèbre d’un sociologue américain, David Riesman, paru sous le titre The Lonely Crowd (La foule solitaire) en 1950. Comme le suggère la citation de Tocqueville, il y a deux facteurs principaux qui se conjuguent pour détourner de l’intérêt pour autrui dans l’espace public : l’égalité dans la conformité (« semblables et égaux ») et l’égoïsme individualiste (« se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme »).
L’égalité dans la conformité est façonnée par l’éducation pour tous, et par le bain envahissant des médias de masse. Elle prend la forme de notre statut social commun de travailleurs-consommateurs et nous constitue collectivement en cette fameuse « classe moyenne » dont la prévalence numérique est si importante pour la stabilité des sociétés modernes. Du coup, dès lors que la classe moyenne se délite par ses franges les plus basses (en revenus), la société industrielle s’en trouve déstabilisée (comme l’illustre le mouvement des « gilets jaunes »).
L’égoïsme individualiste est tout simplement l’expression première du conformisme de la société industrielle : il consiste à assimiler la réussite de sa vie à sa capacité de se donner les moyens d’accès aux sensations bonnes, plus nombreuses et meilleures que le peuvent les autres.
Ainsi, dès lors que je vis dans la cité en tant que travailleur-consommateur, que je m’y déplace dans les transports en commun ou individuellement, que je sillonne un centre commercial, que j’attende à la caisse d’un hypermarché, ou que j’exerce mon activité professionnelle, l’inconnu que je côtoie ou avec qui je suis amené à interagir ne suscite pas ma curiosité. Il m’est bien trop semblable. Que m’importe alors, lorsque je suis dans une file d’attente pour un quelconque service ou paiement, s’il porte ou non un masque, puisque je fais comme lui : j’interagis avec mon smartphone comme si se jouait sur cet étroit écran la possibilité de vraies relations humaines ? Remémores-toi les gens dans un bus ou dans une rame de métro avant le port obligatoire du masque. Était-ce différent ? N’était-ce pas tout comme s’ils portaient des masques invisibles ?
mardi, août 18, 2020
Comment peut-on être contre le progrès ?
